Abdel Fattah Abou Srour, est à l’origine de la création du centre socio-culturel Al Rowwad, dont il est directeur, dans le camp de réfugiés d’Aida (près de Bethléem). Il se condamne.
Chers amis,
J’aimerais remercier tous ceux qui m’ont contacté pour m’assurer de leur solidarité et s’enquérir de moi, de ma famille, de ma communauté et de mon peuple. Je suis infiniment reconnaissant envers ceux qui nous soutiennent dans ces temps si difficiles.
Les journalistes des medias, les interviewers des télés viennent à nous, pointant le doigt vers nous et nous posant sans cesse la même question : condamnez-vous le terrorisme palestinien ? Condamnez-vous le Hamas ?
Répondons
Je me condamne vraiment moi-même, je condamne toute mon existence
Je condamne ma propre naissance dans un camp de réfugiés dans mon propre pays. Comment est-ce que j’ose être un réfugié et vous charger de remettre en question votre humanité ?
Je condamne ma propre naissance de m’avoir fait naître Palestinien, alors que selon bien des gens la Palestine n’existe pas.
Je condamne mes parents, qui furent déracinés de leurs villages détruits et me donnèrent naissance dans un camp de réfugiés.
Je condamne toute ma vie, avoir grandi, obtenu une éducation, avoir eu des espoirs et des rêves de devenir un grand biologiste, un grand chercheur qui sauverait des vies, d’être un peintre extraordinaire, un merveilleux photographe, un écrivain talentueux qui inspirerait le monde entier. Rien de ce que j’ai fait ne m’a fait devenir célèbre.
Je me condamne pour clamer et continuer à clamer que je suis un être humain, que je défend mon humanité et ma dignité ainsi que celles des autres. On dirait que je ne suis qu’un animal humain ou, encore moins, que je suis un extraterrestre imaginant qu’il a une place sur cette terre. Comment est-ce que j’ose même penser que je suis un être humain tout comme vous ?
Je me condamne pour croire que les valeurs et les droits humains nous incluent, nous les extraterrestres. Comment est-ce que j’ose même penser que nous faisons partie de ces valeurs ?
Je me condamne pour croire au droit international et aux résolutions de l’ONU et à toutes ces déclarations qui disent que : les peuples sous occupation ont le droit légitime de résister par tous les moyens. Comment est-ce que j’ose considérer que nous sommes occupés, même par une entité illégale qui est représentée comme l’unique démocratie du Moyen Orient.
Je vous demande pardon
Je me condamne pour parler de cette occupation comme d’une entité. Je lis que ce qui définit un État est d’avoir : une constitution, des frontières définies, et une nationalité. Et puisque ce que vous appelez État d’Israël ne possède pas jusqu’à aujourd’hui de constitution, ni de frontières définies, et bien qu’ ils aient voté la loi de Nationalité c’est un pays uniquement pour les Juifs.
Mais apparemment vous pouvez vous proclamer État sans aucun de ces critères. Pardonnez s’il vous plaît mon ignorance.
Que puis-je dire ? Je suis si ignorant.
Je croyais qu’une victime de viol avait le droit de se défendre. Mais il semble que je me sois trompé. Je n’ai pas compris que l’on doive féliciter le violeur et condamner la victime si il ou elle ose résister, si il ou elle prend plaisir au viol et en redemande.
Je croyais qu’être solidaire avec les opprimés était une attitude juste. Erreur encore car je ne devrais jamais m’identifier aux autres peuples opprimés. Il n’y a qu’une entité opprimée au monde et aucune autre.
Je devrais féliciter les Israéliens pour opprimer les soi-disant Palestiniens et leur apprendre qui ils sont et quelle est leur valeur aux yeux de la communauté internationale. Que leurs vies sont égales à zéro.
Alors
Monde !
Je suis vraiment désolé.
Je ne me suis pas rendu compte que j’étais induit en erreur et mal informé.
Devrais-je m’excuser ?
Je m’excuse profondément.
Monde !
Toutes mes excuses.
Mes parents m’ont toujours dit que je devais soutenir les opprimés et empêcher les oppresseurs de continuer leur oppression.
Je m’excuse.
On m’a dit que je devais soutenir les méchants Sud-Africains noirs contre le gentil système d’apartheid blanc censé les humaniser.
Je m’excuse.
On m’a dit que je devais soutenir les sauvages Amérindiens contre ces merveilleux colonisateurs blancs arrivés pour les civiliser et les débarrasser du fardeau de leurs terres et de leurs propriétés.
On m’a dit de soutenir les Aborigènes retardés d’Australie contre ces extraordinaires colonisateurs britanniques, civilisateurs blancs qui vinrent les instruire.
Je m’excuse.
On m’a dit de soutenir les terroristes vietnamiens contre les très civilisés colonisateurs français ou étasuniens qui savaient comment exploiter les pays colonisés et domestiquer leurs habitants.
Je m’excuse.
On m’a dit de soutenir les Indiens en Inde, les Irlandais, les Ecossais.
les Sud-Américains.
les Cubains.
Les Espagnols et les Italiens contre les dictatures et les fascistes.
Les Allemands et les Européens contre les nazis.
Les Arabes contre les colonisations française et britanniques.
Les Palestiniens contre l’occupation britannique et sioniste.
On m’a même dit de soutenir les Ukrainiens contre les Russes.
Mes parents m’ont même parlé des pauvres juifs qui arrivèrent en Palestine dans les années 1900.
Et dans ce temps-là on avait pitié d’eux et on les aidait avec de la nourriture et plus encore.
Je m’excuse.
On m’a dit de soutenir la résistance de l’opprimé contre l’oppresseur.
Je ne savais rien du droit international et des droits de l’homme.
Je ne savais pas que tout ceci était faux et que c’est juste un mensonge qui convient à certains et pas à d’autres.
Donc,
Monde,
Laisse-moi me condamner et m’excuser encore et encore.
Je me condamne pour être ce que je suis.
Je m’excuse d’être Palestinien. D’être né dans un pays que mes parents appellent Palestine.
Je m’excuse d’être né dans un camp de réfugiés. Dans mon propre pays. Et de n’avoir pu oublier les villages de mes parents qui furent détruits en octobre 1948.
Je m’excuse de n’avoir ni cheveux blonds ni yeux bleus. Bien que certains de mes cousins aient des cheveux blonds et des yeux bleus ou verts.
Je m’excuse de toujours m’identifier comme Palestinien alors qu’on me dénie cette nationalité.
Je m’excuse d’encore appeler mon pays du nom de Palestine bien qu’il ait été émietté en morceaux disjoints, et je ne peux toujours pas l’oublier.
Je m’excuse de pas pouvoir oublier que je suis encore un réfugié dans mon propre pays.
De ne pas avoir jeté la vieille clé rouillée de la maison de mes parents dans leur village détruit.
Je condamne la revendication obstinée de mon droit à revenir aux villages détruits de mes parents.
Comment est-ce que j’ose faire ça ? Comment tous ces Palestiniens obstinés osent-ils revendiquer leur droit au retour ? Nous sommes si aveugles que nous ne pouvons même pas voir les faits sur le terrain après les 75 années d’existence de la seule démocratie du Moyen-Orient.
Je condamne mes parents qui m’ont élevé selon « Celui qui est consumé par la haine perd son humanité ».
Comment n’ont-ils pas osé m’enseigner la haine ?
Je condamne tout acte de résistance contre l’injustice et l’oppression, l’occupation. Comment les opprimés osent)ils défier les oppresseurs ?
Je condamne chaque victime de viol ayant résisté au violeur. Ne peux-tu pas simplement ouvrir les jambes et l’accepter ? Comment oses-tu refuser le plaisir du viol ?
Je condamne les assassinats de tout système terroriste. Les oppresseurs devraient avoir carte blanche pour continuer leur oppression sans avoir à en rendre compte.
Je condamne ces Palestiniens et leurs supporters. Pourquoi ne peuvent-ils pas juste se taire et accepter que cette occupation illégale est le seul super pouvoir de la région et que lui résister est un acte raciste.
Je m’excuse réellement auprès de vous tous de ne pas avoir été capable de coexister avec l’oppression et de n’avoir pas été capable d’accepter de prendre plaisir à la torture, à l’oppression et à l’humiliation. Certains y prennent plaisir. Pourquoi pas moi ?
Je m’excuse de ne pas accepter l’exil de mon frère, l’emprisonnement de mes frères, de mes cousins, neveux, voisins, et tant d’autres. Je ne m’étais pas rendu compte que c’était pour leur bien, et qu’ils étaient mieux en prison ou en exil que dehors au soleil.
Je m’excuse de ma stupidité. Je n’ai pas compris vos droits de l’homme et votre droit international. Je pensais que j’étais comme vous autres, et non pas un animal humain. Je m’excuse de mon ignorance. Je ne comprends même pas comment on peut être un animal humain. Je pensais qu’il y avait des êtres humains, et des animaux, bien que certains de ces animaux soient plus humains que les soi-disant humains.
Je m’excuse, je me suis trompé.
J’ai vu comment vous souteniez des résistances comme l’Ukraine et acclamiez ces combattants pour la liberté. Et combien héroïques étaient ces enfants entraînés pour résister aux Russes et qui pensaient que c’était normal. Je suis vraiment stupide et je m’excuse de ma stupidité. Je devrais aussi condamner la résistance ukrainienne.
Je le promets, je fêterais l’apartheid, je célébrerais la violations des valeurs et des droits humains.
Je louerai tous les oppresseurs et les dictateurs.
Je devrais louer tous les violeurs pour qu’ils continuent leurs viols.
Je devrais louer tous les menteurs et les manipulateurs pour leur distorsions des faits et de la vérité.
Je suis vraiment désolé d’avoir tant échoué. Vraiment désolé de n’avoir pas su comment coexister avec ces doubles critères. Comment coexister avec l’occupation, l’oppression, la déshumanisation et en être heureux ?
Avez-vous un entraînement spécial ? J’aimerais vous rejoindre. Ou plutôt vous pourriez me rejoindre, porter ma peau et me montrer comment je peux être le gentil animal que vous pourriez domestiquer ?
Ou devrais-je simplement dire, non merci.
Je ne peux jamais accepter vos ordres et votre chantage.
Je ne peux jamais accepter que les opprimés s’habituent à l’oppression et coexistent avec l’oppresseur tant que l’oppression durera.
Nous n’oublierons pas. Nous nous souviendrons.
Nous n’oublierons pas le silence, l’hypocrisie, les ordres et le chantage.
Nous n’oublierons pas ceux qui ont élevé la voix et se sont levés pour ce qui est juste.
Nous n’oublierons rien.
Vous pouvez continuer à nous pousser au désespoir et nous continuerons à faire épanouir l’espoir.
Vous pouvez continuer à promouvoir la mort. Nous continuerons à promouvoir la vie.
Vous continuerez à faire le pire. Nous continuerons à faire le meilleur.
Abdel Fattah Abou Srour
Le 14 octobre 2023.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir