LA RÉVOLTE DES ESCLAVES À GAZA, et Bernie Sanders
Par Norman Finkelstein
Source : normanfinkelstein.com, le 13 octobre 2023
Traduction : lecridespeuples.fr
Note : les remarques de Norman Finkelstein, qui expriment un soutien TOTAL à la résistance de Gaza et dénoncent la position indigne de Bernie Sanders, sont tout à fait applicables, en France, à Jean-Luc Mélenchon et son parti, qui présentent le Hamas comme l’agresseur et qualifient ses opérations de résistance de « crime de guerre ».
L’ancien candidat progressiste à la présidence, Bernie Sanders, a publié hier (12 octobre 2023) une deuxième déclaration sur l’hécatombe en Israël et à Gaza. L’essentiel de ce qu’il avait à dire était qu’avant le 7 octobre, tout se passait plus ou moins bien dans la lutte pour la justice :
« Pendant des années, des personnes de bonne volonté du monde entier, y compris des Israéliens courageux, ont lutté contre le blocus de Gaza, les humiliations quotidiennes de l’occupation en Cisjordanie et les conditions de vie épouvantables auxquelles sont confrontés tant de Palestiniens. »
Mais voilà que survient « l’assaut terroriste du Hamas », qui constitue « un revers majeur pour tout espoir de justice pour le peuple palestinien » et « rendra beaucoup plus difficile la prise en compte de cette réalité tragique ».
Revenons à la réalité. « Pendant des années », personne n’a fait quoi que ce soit pour mettre fin au blocus de Gaza. Pas Bernie. Pas moi. Personne. Les habitants de Gaza, dont 70 % sont des réfugiés (de la guerre de 1948) et dont la moitié sont des enfants, ont été laissés à l’abandon et à la mort dans ce que le sociologue de l’université hébraïque Baruch Kimmerling a appelé « le plus grand camp de concentration qui ait jamais existé ». Les « personnes de bonne volonté à travers le monde » ne « luttent pas contre le blocus ». Le monde est passé à autre chose.
À la veille du 7 octobre, l’administration Biden était en train de bricoler un accord avec l’Arabie saoudite qui aurait rendu nulle et non avenue toute perspective de « justice pour le peuple palestinien ».
Israël n’est pas « en guerre » contre une entité étrangère, et encore moins contre un État étranger. Gaza fait partie intégrante d’Israël. Il y a quelques années, B’Tselem, la principale organisation israélienne de défense des droits de l’homme, observait que « un seul régime gouverne l’ensemble de la région, du Jourdain à la mer Méditerranée, sur la base d’un principe d’organisation unique, à savoir la suprématie juive ». Ce qui s’est passé le 7 octobre est une révolte d’esclaves à l’intérieur d’Israël.
Voir Norman Finkelstein : à Gaza, Israël commet un triple crime contre l’humanité
La plus grande révolte d’esclaves de l’histoire des États-Unis contre la « suprématie blanche » a été menée par Nat Turner. Turner était un fanatique religieux ; il pensait que la révolte était divinement inspirée et validée. Voici comment Wikipédia décrit ce qui s’est passé :
« Les rebelles allaient de maison en maison, libérant les esclaves et tuant de nombreux Blancs qu’ils rencontraient… L’historien Stephen B. Oates affirme que Turner a demandé à son groupe de « tuer tous les Blancs » … Turner pensait que la violence révolutionnaire ferait prendre conscience aux Blancs de la brutalité inhérente à la détention d’esclaves. Turner a déclaré qu’il voulait répandre « la terreur et l’alarme » parmi les Blancs.
Des dizaines de Blancs innocents ont été délibérément tués. Néanmoins, la rébellion de Nat Turner occupe aujourd’hui une place de choix dans l’histoire américaine.
La rébellion de Turner a provoqué une hystérie génocidaire de masse chez les Blancs. Pour se donner des repères moraux en ce moment délicat, il est bon de lire la déclaration du grand abolitionniste William Lloyd Garrison au lendemain de la révolte :
« Ce que nous avons prédit depuis si longtemps, au risque d’être stigmatisés comme alarmistes et déclamateurs, a commencé à se réaliser. Le premier pas du tremblement de terre, qui doit finalement ébranler le tissu de l’oppression, ne laissant pas une pierre sur l’autre, a été fait. Les premières gouttes de sang, qui ne sont que le prélude d’un déluge venant des nuages qui s’amoncellent, sont tombées. Le premier éclair, qui doit frapper et consumer, s’est fait sentir. Les premiers gémissements de deuil, qui doivent revêtir la terre d’un sac, nous sont parvenus aux oreilles. […]
Le crime d’oppression est national. Le Sud n’est que l’agent de ce trafic coupable. Mais, souvenez-vous ! Les mêmes causes sont à l’œuvre et doivent inévitablement produire les mêmes effets ; et lorsque la lutte aura repris, ce sera à nouveau une guerre d’extermination. Dans le cas présent, nous n’avons ni demandé ni donné de quartiers. Mais nous les avons tués et mis en déroute, nous pouvons le faire encore et encore, nous sommes invincibles ! Un triomphe ignoble, bien à l’image d’une nation d’oppresseurs. Détestable complaisance, qui peut penser, sans émotion, à l’extermination des Noirs ! Nous avons le pouvoir de tout tuer, continuons donc à donner le fouet et à forger de nouvelles entraves !
Dans sa fureur contre les révoltés, qui se souviendra de leurs torts ? Que leur vaudra le catalogue de leurs souffrances, ruisselant du sang chaud de leurs corps lacérés, pour excuser leur conduite ? Il suffit que les victimes soient noires pour qu’elles soient moins précieuses que les chiens tués dans nos rues ! C’étaient des brutes noires, qui se faisaient passer pour des hommes — des légions de malédictions sur leurs mémoires ! Ils étaient Noirs — Dieu les a faits pour nous servir !
Hypocrites patriotes ! Panégyristes des Français, des Grecs et des Polonais ! Fustigeurs de la liberté ! Vaillants défenseurs de l’égalité des droits entre vous ! Détracteurs de l’aristocratie ! Assaillants des monarchies ! Annulateurs de la république ! Traîtres désunionistes ! Soyez muets ! Ne jetez pas l’opprobre sur la conduite des esclaves, mais laissez vos lèvres et vos joues porter les boursouflures de la condamnation !
Vous accusez les pacifiques amis de l’émancipation de pousser les esclaves à la révolte. Reprenez cette accusation comme une calomnie infâme. Les esclaves n’ont pas besoin d’incitations de notre part. Ils les trouveront dans leurs cicatrices, dans leurs corps décharnés, dans leur labeur incessant, dans leurs esprits ignorants, dans chaque champ, dans chaque vallée, au sommet de chaque colline et de chaque montagne, partout où vous et vos pères avez combattu pour la liberté, dans vos discours, vos conversations, vos célébrations, vos pamphlets, vos journaux — des voix dans l’air, des sons venant d’au-delà de l’océan, des invitations à la résistance au-dessus, au-dessous, autour d’eux ! Que leur faut-il de plus ? Entourés par de telles influences, et souffrant de leurs nouvelles blessures, est-il merveilleux qu’ils se lèvent pour contester — comme d’autres héros l’ont fait — leurs droits perdus ? Ce n’est pas merveilleux.
Dans tout ce que nous avons écrit, y a-t-il quelque chose qui justifie les excès des esclaves ? Non. Cependant, ils ne méritent pas plus de blâme que les Grecs en détruisant les Turcs, ou les Polonais en exterminant les Russes, ou nos pères en massacrant les Anglais. Effroyable, en effet, est l’étendard érigé par le patriotisme mondain !
En ce qui nous concerne, nous sommes horrifiés par les dernières nouvelles. Nous avons déployé tous nos efforts pour éviter cette calamité. Nous avons averti nos compatriotes du danger qu’il y avait à persister dans leur conduite injuste.
Nous avons prêché aux esclaves les préceptes pacifiques de Jésus-Christ. Nous avons fait appel aux chrétiens, aux philanthropes et aux patriotes pour qu’ils nous aident à accomplir la grande œuvre de rédemption nationale par l’intermédiaire du pouvoir moral, de l’opinion publique et du devoir individuel. Comment avons-nous été accueillis ? Nous avons été menacés, proscrits, vilipendés et emprisonnés — la risée et l’opprobre. Fléchissons-nous devant ces faits ? Laissons le temps répondre. Si nous avons été jusqu’ici pressants, audacieux et dénonciateurs dans nos efforts, nous deviendrons plus véhéments et plus actifs à mesure que le danger augmentera. Nous crierons, au son de la trompette, nuit et jour, Malheur à ce pays coupable, à moins qu’il ne se repente rapidement de ses mauvaises actions ! Le sang de millions de ses fils réclame à haute voix réparation ! L’ÉMANCIPATION IMMÉDIATE peut seule la sauver de la vengeance du Ciel et annuler la dette des siècles ! »
Il convient de noter que, bien qu’il ait déclaré que les « excès des esclaves » ne pouvaient être justifiés et qu’il ait été « horrifié par les dernières nouvelles », William Lloyd Garrison n’a pas condamné la révolte des esclaves.
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