L’auteur est professeur à la retraite de Polytechnique Montréal.
La vallée de la batterie, usine de Northvolt, usine de GM, usine de Ford, et d’autres « bonnes » nouvelles affluent au Québec depuis peu de temps, mais toutes ces bonnes idées ont un prix et recèlent également une idéologie. Entendons-nous immédiatement, je suis en faveur de l’électrification des transports, c’est une nécessité pour diminuer les émissions de GES, mais de quel transport parle-t-on ?
Le gouvernement de la CAQ n’arrête pas d’annoncer de nouveaux investissements de compagnies étrangères qui sont avides de venir s’installer dans la province, dont l’électricité est la plus verte du continent, pour développer toute une filière de production de batteries dédiées principalement au transport routier. Mais ces millions de batteries fabriquées chaque année iront où par la suite ? Elles seront exportées en Ontario ou aux États-Unis pour être intégrées dans des véhicules construits ailleurs, surtout des VUS surdimensionnés et gourmands d’énergie dont la provenance est loin d’être verte. Le courant électrique américain est principalement de source fossile.
En plus d’exporter des batteries, le Québec verra également l’exportation des profits. Est-ce que ces investissements lui permettront de récupérer sa mise ? On nous dit que cela prendra de 12 à 15 ans. C’est long et pendant ce temps les technologies peuvent changer, les compagnies peuvent se délocaliser et les investissements de la province s’envoler. Aucune garantie ne peut se prémunir contre cela, surtout que l’installation de ces nouvelles usines sera fortement financée par des fonds publics.
Alors pourquoi les deux paliers de gouvernement investissent tant d’argent dans ces filières ? On nous dit qu’il faut offrir à chaque citoyen un véhicule électrique qu’il demande. Mais les données du GIEC, de la Banque mondiale et d’autres organismes ne vont vraiment pas dans cette voie, c’est une voie de garage. Une autre approche aurait pu être mise en place depuis plusieurs années, c’est celle du développement du transport collectif électrique. Ce mode de transport permet de diminuer de façon substantielle l’énergie utilisée pour le déplacement des personnes. Sur le territoire de la province, il existe déjà des infrastructures qui auraient bénéficié d’investissements pour assurer leur avenir. Bombardier Transport construit des trains, tramways et métros, possède l’expertise et les installations. Mais on a préféré investir dans la section aéronautique qui a fini par être donnée à Airbus, mais la section transport terrestre a périclité et a été vendue à vil prix à Alstom en janvier 2021. L’usine de La Pocatière a obtenu une subvention de 56 millions du provincial pour permettre sa modernisation et sa survie pour quelques années, ceci après sa vente. C’est un tout petit montant comparé aux milliards distribués à des compagnies de fabrication d’une seule composante.
Comment interpréter ces choix si peu pertinents à long terme ? D’un côté, il y a le transport collectif produit ici et avec une maison mère locale et dont le gouvernement aurait pu compter parmi les actionnaires prioritaires. D’un autre côté, il y a le transport individuel dont les véhicules sont construits en très grande partie à l’extérieur du Québec par des compagnies privées où la province ne contrôle presque rien. Le choix est donc, en simplifiant un peu, entre le public et le collectif, contre le privé et l’individuel. Un autre exemple du peu de clairvoyance de ce gouvernement, le matériel roulant du REM et du réseau de l’AMT, a été accordé à des fabricants indiens et chinois. On nous parle des emplois dans la vallée de la batterie, mais on ne nous parle pas des emplois perdus dans d’autres secteurs par des choix à saveur idéologiques.
Ce sont des décisions politiques prises par des personnes ayant une certaine vision de la société et de l’avenir. Même si ces nouvelles usines sont à la fine pointe de la science et de la technologie, la vision qui est portée par ce gouvernement est une vision archaïque. Ces investissements massifs dans l’auto individuelle ne peuvent que nuire à une évolution nécessitant également des capitaux, par exemple le déploiement d’un réseau de transport collectif électrique urbain et interurbain, ou l’amélioration thermique du parc de bâtiments pour diminuer les demandes d’électricité en pointe hivernale.
On construira des batteries au Québec, oui, mais on n’a toujours pas de système permettant une mobilité peu énergivore, ayant peu d’impact environnemental et à prix abordable. Margaret Thatcher a déclaré « la société n’existe pas », le gouvernement de la CAQ reprend à son compte cette déclaration par la mobilité. Dans un monde subissant des contraintes environnementales de plus en plus importantes, la solidarité sociale doit être une réponse et non l’individualisme. Espérons que la vallée de la batterie ne devienne pas la vallée des larmes.
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