Fabien Roussel, candidat du Parti communiste français à l’élection présidentielle, a une hype incroyable dans les dîners mondains. En quelques jours, il a reçu les hommages d’Alain Finkielkraut (éditocrate prolophobe), Christophe Castaner (éborgneur de gilets jaunes), Jean-Michel Blanquer (ministre de l’instruction patriotique), David Le Bars (syndicat des commissaires de police), Laurent Alexandre (éditocrate eugéniste décomplexé), Jean Quatremer (éditocrate eurobéat), Michel Onfray (éditocrate anarcho-réac) et même Gérald Darmanin (ministre du sexisme et de la répression des masses). Mais aussi Raphaël Enthoven, Bernard Guetta. Bref, les représentants idéologiques et politiques de la classe bourgeoise adorent… un communiste ?! Mais que s’est-il donc passé pour que le grand parti des travailleurs, celui qui fit trembler la classe dominante française pendant des décennies, ait engendré en 2022 un candidat qui reçoit tous ses honneurs ?
1 – Un programme politique “communiste” qui n’effraie plus le bourgeois
Longtemps, le Parti Communiste a incarné les intérêts de la classe laborieuse face à ceux de la bourgeoisie. Mais ça, c’était avant.
Sur le papier, le programme du Parti Communiste n’est pas révolutionnaire mais il porte sérieusement atteinte à la grande marche néolibérale. En effet, il contient une hausse du SMIC, le retour à la retraite à 60 ans, plusieurs grandes nationalisations. De quoi donner de sévères coups à la fuite en avant actuelle, ce qui devrait refroidir les ardeurs de ceux qui célèbrent son candidat à la télévision. Pourquoi n’ont-ils pas plus peur de ce terrifiant programme ?
Sans doute parce que Fabien Roussel tient un tout autre discours lors de ses passages médiatiques et qu’il n’a de cesse de rassurer les possédants sur ses intentions. Ainsi, en août dernier, il se défendait de vouloir « chasser les grandes fortunes » en les taxant trop. « Ils sont très intelligents, disait-il au sujet des grandes fortunes, ils ont créé, inventé, et ne pourront refuser un pacte pour la jeunesse, de participation à l’amélioration du système éducatif et d’augmentation des salaires ». On se demande bien ce que nos riches possédants, majoritairement héritiers, ont « créé » et « inventé » pour mériter de tels égards, mais Roussel ne le sait sans doute pas non plus : il se contente de répéter le discours dominant, à rebours de ce qu’on pourrait attendre d’un représentant des travailleurs.
Il faut dire qu’il a intérêt à rester poli puisque le « pacte » avec les possédants est au cœur des discours de Roussel, qui compte faire la même chose que Taubira ou Jadot sur la question des bas salaires : « ouvrir des négociations sur le sujet avec les salariés et le patronat, branche par branche » annonçait-il en octobre dernier. La négociation branche par branche, une méthode que ne désapprouve pas le MEDEF, vu les bons résultats qu’elle présente jusqu’à présent pour le patronat. En effet, le rapport de force est tellement défavorable aux syndicats et aux représentants des travailleurs en général que la négociation, dans la France de 2022, s’apparente le plus souvent à un monologue patronal.
Pourquoi le candidat du Parti Communiste feint-il d’ignorer cette réalité ? Comment peut-il croire que son « pacte » a une chance d’aboutir dans le contexte actuel ? Parce que, comme nombre de politiques de gauche, Roussel n’a pas la moindre notion de lutte des classes. Il suffit de voir le vocabulaire qu’il utilise pour décrire le monde social : d’un côté les « classes populaires » (qui aiment la bonne barbaque, on y reviendra), de l’autre « la finance ». La question de l’exploitation, pourtant à la racine du combat communiste, est relativement absente chez lui au profit d’une théorisation mollassonne des antagonismes sociaux.
2 – De l’anti-écologisme faussement populo au diapason de Fleury-Michon
Mais qu’importe la lutte des classes, puisque l’obsession principale de Fabien Roussel c’est la bonne viande. Depuis janvier, le candidat du PCF est plus remonté que le patron d’un Hippopotamus : tout heureux d’une polémique médiatique l’opposant à l’écologiste Sandrine Rousseau au sujet de la nécessité de donner accès aux « classes populaires » à de la « bonne viande », il en a fait son sujet de prédilection. Dans un meeting récent, il précise ses intentions : ce qu’il veut, c’est offrir de la « bonne vieille viande bien de chez nous » au bas peuple. Merci mon seigneur, vous êtes bien bon.
Au-delà de la blague, la focalisation politique sur la question de la viande est un tournant stratégique opéré par Roussel et son équipe pour exister médiatiquement. L’objectif est de s’en prendre aux végétariens, aux écologistes et autres personnes qui pensent (à juste titre) que l’élevage est l’une des principales causes de pollution dans le monde et un problème majeur de santé publique, pour les ridiculiser et surtout les accuser de s’en prendre aux braves gens qui aiment la viande. Bref, l’écologie, ce serait un truc de bobo déconnecté. En cela, Roussel n’innove en rien. Il ne fait que reprendre une bonne vieille rhétorique, parfaitement au diapason de la propagande orchestrée depuis plusieurs années par les lobbys de la viande industrielle.
Avec Roussel, on assiste à une propagande anti-écologiste classique, traditionnellement l’apanage de la droite et des industriels de la viande, du sucre et de la malbouffe : « mais on va manger quoi ?! du tofu et du soja ? » disait-il en meeting. On ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien manger.
Ce serait drôle si une telle sortie n’était pas carrément criminelle, à l’heure où le sucre et la viande rendent malade et tuent des milliers de personnes par an, au profit des actionnaires de ces secteurs très lucratifs. En France, nous surconsommons dramatiquement du sucre et de la charcuterie, selon Santé Publique France. Pas seulement par amour pour nos bonnes vieilles traditions, mais bien parce que le lobbying des industriels est très puissant et que nos habitudes alimentaires ont été transformées par une action concertée de ces entreprises, avec la bienveillance des gouvernements successifs. La dernière enquête en date, menée par Greenpeace, fait froid dans le dos puisque même les écoles publiques accueillent les groupes de pression de la viande.
Et pour contrer les tentatives de limitation de ces produits, rien de mieux que de défendre le terroir, les traditions, l’amour de la bonne chair et d’opposer la quantité à la qualité. Cet article de Mr Mondialisation explique bien comment l’industrie de la viande utilise désormais la rhétorique du « manger moins, manger mieux » pour promouvoir ses activités. Une créativité marketing liée à la baisse continue de la consommation de viande, chez les cadres comme chez les ouvriers. Roussel semble être en mission pro bono pour ces industriels puisqu’il emprunte exactement les mêmes codes qu’eux.
Il apporte quant à lui la caution « classes populaires » à cette défense de produits dangereux et d’industrie polluante. Aaaah, ces « classes populaires », qu’est-ce qu’on ne se permet pas de dire en leur nom, hein ? Plus elles disparaissent de la scène politique, plus les politiques se permettent de les instrumentaliser pour faire passer leurs obsessions. Des mesures sécuritaires à l’islamophobie, en passant par la viande donc, notre classe politique adore utiliser l’avis du peuple – sans le consulter, faut pas déconner – pour légitimer son programme.
Il est vrai qu’en France, les plus pauvres mangent davantage de viande et de produits sucrés que les plus riches. Pas parce qu’ils aiment ça culturellement, mais parce que l’addition de sucre est une technique bien connue des industriels pour combler le manque de goût de leurs produits. La viande, quant à elle, ne nous a pas tant été imposée par les traditions que par les cantines scolaires et les industriels qui matraquent l’idée qu’à chaque repas, elle est source de bonne alimentation, comme le montre Greenpeace dans son dernier rapport. A l’origine, le matraquage sur la nécessité de consommer de la viande fait partie du contrôle social de la classe ouvrière par la bourgeoisie au XIXe siècle, comme le montre le sociologue Arnaud Frauenfelder. L’injonction à finir sa viande et aimer ça pèse davantage sur les hommes que sur les femmes, et ce, dès l’enfance. Que faire de cette réalité sociale ? La défendre comme un trait culturel de la classe laborieuse, alors même que notre alimentation nous a été largement imposée d’en haut et limitée par notre portefeuille ? Il ne viendrait à l’idée à aucun politique de défendre le faible recours à des soins et une mauvaise santé comme un trait culturel des « classes populaires », alors même qu’elles y sont davantage exposées. Alors pourquoi le faire pour la consommation de sucre et de viande ?
En empêchant toute régulation politique de la consommation alimentaire, associée donc à du mépris social et de l’atteinte à la joie de vivre (celle des actionnaires de l’agro-alimentaire, en réalité) Roussel et ses semblables renforcent sa dimension de classe : si ce n’est pas réglé collectivement, alors c’est à chaque individu de faire les bons choix. Et devinez qui gagne à ce jeu-là ? Les bourgeois.
3 – Derrière le candidat communiste, un éditocrate pro-capitaliste
Roussel est journaliste, fils de journaliste, mais n’a de cesse de défendre ses origines “populaires” en insistant dès qu’il le peut sur son appartenance à la “France périphérique”. S’il plaît tant aux bourgeois, c’est qu’en dépit de son extraction, il apporte la même pseudo-caution « classes populaires » aux questions dites « sécuritaires », où son positionnement est au diapason de toute la classe dominante. Ainsi, il s’est rendu, comme Eric Zemmour ou Yannick Jadot, au rassemblement des syndicats de policiers à Paris, en mai 2021, où avait été notamment attaquée l’institution judiciaire accusée de laxisme. En juin, il affirmait que les réfugiés déboutés du droit d’asile avaient vocation à repartir chez eux, à rebours des positions habituelles de son parti sur le sujet. A la pointe du combat idéologique (non), Roussel n’hésite pas à parler d’assistanat, donnant une caution communiste à ce terme que les idéologues bourgeois ont mis des décennies à construire pour culpabiliser les bénéficiaires des assurances collectives. Ambroise Croizat, créateur communiste de la Sécurité sociale, doit se retourner dans sa tombe. Bref, Fabien Roussel est parfaitement aligné sur la pensée dominante en matière d’immigration, de sécurité et même de social et l’on comprend mieux pourquoi il plaît tant aux bourgeois.
Oui mais quid des 500 000 postes de fonctionnaires qu’il veut créer ? Ça devrait refroidir les ardeurs des éditocrates de CNews en sa faveur non ? Mettre en PLS le MEDEF ? Eh bien non. D’abord parce que la classe bourgeoise sait que Fabien Roussel ne va pas gagner. Petit candidat sans grand potentiel, il n’est plus à la tête d’un parti susceptible de gouverner la France. Son programme n’a donc pas d’importance, contrairement à celui de Jean-Luc Mélenchon qui est mieux positionné, et mérite donc que les bourgeois s’y attardent (la détestation que ce dernier suscite chez eux aurait-il quelque chose à voir avec leur amour subi pour son rival “communiste” ? Nous n’oserions pas…). Ensuite parce que ce qui compte d’abord, c’est ce que ce candidat produit médiatiquement. Et il produit deux choses :
C’est quelqu’un qui est labellisé « de gauche » qui dit des trucs de droite, et ça, les bourgeois adorent, parce que ça montrerait que les trucs de droite sont tellement vrais que même les gens « de gauche » le pensent. Régulièrement France Info ou le JDD nous gratifient d’un article sur “ces gens de gauche” qui veulent en fait voter Macron, c’est dire comme vraiment il faut voter Macron. Donc si Roussel, qui est super de gauche, dit que les écolos veulent nous priver de frites, c’est que c’est vrai.
C’est quelqu’un qui se prétend « défenseur des classes populaires », et que lorsqu’il défend la viande et les flics, ça crée davantage de surprise que lorsque c’est Gérald Darmanin qui s’en charge (en février 2021, Darmanin dénonçait ainsi « l’idéologie scandaleuse » qui guiderait la constitution de menus végétariens dans les cantines scolaires : Gérald et Fabien main dans la main pour sauver Fleury Michon).
4 – Sauver la petite entreprise PCF et donner des jobs aux copains : Roussel, un petit patron comme les autres
Mais alors, pourquoi fait-il tout ça ? Ne faut-il pas être porté par des idéaux pour sacrifier comme ça sa vie, sa tranquillité, à se lancer ainsi dans une campagne électorale qui vous fera affronter en direct Léa Salamé, Nathalie Saint-Cricq ou Cyril Hanouna ? C’est épuisant rien que d’en parler, alors pourquoi Fabien Roussel se donnerait-il tout ce mal, si c’est pour être simplement un énième idéologue de la bourgeoisie, même pas payé en plus ?
Eh bien c’est qu’il a un business à faire tourner, ce que n’importe quel bourgeois peut comprendre. Le Parti Communiste est une grosse entreprise endettée, qui a besoin de sa candidature et de la façon dont il pourra monnayer son soutien pour pouvoir continuer à rémunérer sa classe dirigeante. Si Roussel fait un score pas trop dégueulasse, il pourra réclamer des circonscriptions à la France Insoumise, et continuer de filer la becquée à ses députés et milliers d’élus locaux, ou bien en s’alliant avec le PS, selon les circonstances. Ouch, bah alors Frustration, ça va pas de cracher sur les camarades ?
Je crois qu’on n’est plus camarades depuis un certain temps, ami “communiste”. Petit retour en arrière, pour celles et ceux qui accorderaient encore le bénéfice du doute au PCF, parce que quand même ces petits papis qui vendent l’Huma au marché le dimanche sont quand même bien sympathiques.
En 1920, le Parti Communiste est créé, issu d’une scission avec la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière), futur Parti socialiste et futur repère de pisse-froid sociaux-traîtres dont on ne parlera pas dans cet article (pour une fois). En 1936, le PC participe au Front populaire, moment très badass de notre histoire sociale où un combo grève et occupation d’usine + majorité parlementaire permettent de très grands progrès sociaux. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Parti Communiste compte des milliers et des milliers de résistants et, à la Libération, met en œuvre le communisme de façon effective via la Sécurité sociale. Entre ça et les nationalisations, les bourgeois qui ont majoritairement collaboré sont en PLS. Génial ! En 1946, l’Assemblée Nationale contient la plus forte proportion de son histoire de députés ouvriers et employés (seulement 22% mais bon, actuellement c’est 3%) grâce au PCF. Car à l’époque, le parti est ouvriériste : on fait monter des ouvriers, on se méfie des bourgeois et des intellos.
Ensuite, c’est moins reluisant, car le parti est quand même l’allié inconditionnel de l’Union Soviétique et soutient sans vergogne les exactions de ses troupes pour réprimer le peuple en Hongrie. La suite, c’est le sociologue Julian Mischi qui le raconte le mieux dans son livre Le communisme désarmé (2014) : à partir des années 1970, le parti s’embourgeoise. Doucement au début, puis férocement à partir des années 1990. Le parti d’ouvriers des années 1920 devient un parti d’élus : ce sont eux qui sont la principale préoccupation de ses dirigeants. Et la principale préoccupation de 95% des élus c’est quoi ? Etre réélu. Et pour ça, tout est bon dans le cochon (hum de la bonne viande Fabien !). Il suffit de regarder le parcours tortueux d’un élu comme Ian Brossat, figure médiatique du PCF, tantôt fan de Jean-Luc Mélenchon (quand il tente d’être élu député), tantôt fan du PS (quand il faut gouverner avec lui à la mairie de Paris). Parfois, l’appétit de mandat et de poste est tellement fort que certains passent carrément à l’ennemi de classe. C’est le cas de Robert Hue, ex-candidat du PCF aux présidentielles, devenu carrément macroniste.
Cette obsession de la tambouille, dont Fabien Roussel est un pur produit, explique que le PCF ne soit plus du tout à la pointe de la lutte des classes. Le vocabulaire de son candidat, son renoncement à tout combat culturel (on peut dire que quand tu te mets à dire « assistanat » tu as tout lâché) explique sa situation actuelle. Pour autant, les communistes restent très attachés à leurs symboles, entre la couleur rouge, le poing levé, le journal L’Humanité fondé par Jean Jaurès… Hélas, ce n’est pas tant grâce à la force des convictions que par le poids des habitudes que les communistes restent défenseurs de leur folklore. Comme Roussel lui-même, en France on est communiste de père en fils. Ce qui passe pour un idéal de société n’est devenu, en réalité, qu’une tradition familiale. Certains ont la chasse, d’autres ont l’amour de la flicaille, d’autres le communisme… et parfois les trois à la fois, comme Fabien.
En attendant, la bourgeoisie dort sur ses deux oreilles, pensant qu’il en faudrait plus, des communistes comme celui-là.
Nicolas Framont
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir