Au tout début des années 20, se met en place la stratégie classe contre classe au niveau du Komintern (la Troisième Internationale), promouvant, en adéquation avec les partis communistes de certains pays, d’une ligne dur de regroupement de la classe ouvrière et de sa conscience propre contre la social-démocratie et la bourgeoisie en général.
Une stratégie qui ne différencie pas les différents courants bourgeois et qui, par exemple, ne faisait pas de distinguo clair entre la social démocratie et le fascisme, l’un étant simplement la continuité de l’autre. Avec cette stratégie, l’alliance de partis était très peu recommandée. Dans les années 30, les organisations communistes commencent à abandonner cette stratégie pour celle du « front uni antifasciste » sous l’égide notamment des communistes français et du bulgare Georgi Dimitrov. Cette nouvelle stratégie fait prévaloir la défense de la démocratie formelle (bourgeoise) face au fascisme, en passant par une alliance large au sein de la société, notamment avec les petits-bourgeois. Pour les communistes il s’agit de mener cette alliance et de pouvoir critiquer de l’intérieur tout atermoiement de la social-démocratie, en montrant que pour aller jusqu’au bout de la logique de front et de la défense de la démocratie, il faut passer par des réformes sociales dures et même à terme par une révolution.
En Allemagne avant l’arrivée au pouvoir des nazis, c’était la stratégie classe contre classe qui était forte. Le KPD, suite à la répression de la révolution spartakiste, était un parti très puissant et influent. L’Allemagne avant 1918 était considérée comme l’endroit où la révolution socialiste devait avoir lieu à cause de son puissant Parti social démocrate dans les masses.
En 1932 sort Kuhle Wampe (Ventres glacés) de Slatan Dudow avec pour scénariste le grand dramaturge Bertolt Brecht (dont je parle souvent ici). La première partie décrit un jeune homme au chômage. La deuxième partie, sa famille est expulsée de son logement et s’installe dans un terrain de campement tenu par d’autres ouvriers, la Kuhle Wampe. Anni, la fille, seule à disposer d’un travail, tombe enceinte de Fritz, qui explique qu’on le force au mariage à cause de la grossesse d’Anni. Celle-ci le quitte et s’installe chez son amie Gerda. La troisième partie met en scène une fête sportive organisée par les ouvriers, où Anni renoue sa relation avec Fritz, qui vient de perdre son travail. La dernière partie représente le retour du couple.
On y retrouve des éléments tout à fait brechtien comme des chants cassant le récit, lors de la scène où les deux amoureux vont se balader dans les bois, et dont les conséquences nous sont fait sentir par le chant. La première scène du film avec le vélo, sans parole, fait référence par son esthétisme au cinéma muet allemand, juste avant que le retour à la maison nous fasse entendre les paroles des personnages. Un silence qui se marie bien avec le personnage du chômeur dont personne, ni la société ni sa famille ne semble vouloir l’écouter et le comprendre. Le ballet des vélos allant de droite à gauche aux annonces d’emplois pour trouver toujours porte close est tout simplement magnifique. Le jeune chômeur finira par se suicider à cause des reproches du père fait à son fils concernant son manque d’ambition à trouver du travail. La scène la plus importante du film se trouve à la fin, lors de la confrontation dans le train entre les ouvriers en masse et les bourgeois au cours d’une discussion sur le commerce du café et de la raréfaction de certaines denrées par le capitalisme pour faire monter les prix. Le constat du désastre est le même, celui de la crise, mais où les bourgeois ne veulent rien remettre en cause, juste une domination de l’Allemagne, ce qui leur vaut l’hostilité des ouvriers enfermés et serrés avec eux dans ce vase clos. Les jeunes ouvriers souhaitent ne plus avoir de crise, par le socialisme. A la question qui changera le monde, car ce n’est pas les bourgeois qui la feront, ils répondent : « Ceux qui n’en sont pas satisfait ! »
Avec Kuhle Wampe, on assiste à une valorisation à outrance de la classe ouvrière solidaire, au détriment des petits-bourgeois déclassés montré comme ridicule même dans la d’échéance, ainsi que les bourgeois incapable de faire avancer le monde.
Autre lieu, autre stratégie, la France fut la terre mère de la mise en place de la stratégie du Front populaire et c’est donc bien normal d’en trouver trace dans son cinéma militant.
La vie est à nous de Jean Renoir (1936) en est l’exemple parfait. Œuvre de propagande commandée par le Parti communiste et réalisée collectivement (mais sous la direction de Jean Renoir) dans le cadre de la coopérative Ciné-Liberté. Le long-métrage n’a pas d’histoire à proprement dite mais une série d’événements. Le film commence par un cours en classe de primaire sur l’économie française, enchaîne avec des vidéos d’archives des marches fascistes et de la manifestation d’extrême-droite du 6 février 1934, passe par des récits de fictions sur la vie et la lutte dans les usines et les campagnes, se termine par les discours des principaux chefs communistes de l’époque.
L’utilisation d’images d’archives n’empêche pas le détournement de celle-ci : l’exemple le plus frappant est le discours de Hitler remplacé par les aboiements d’un chien ! La vie est à nous glorifie l’action des communistes dans les usines pour sauver leurs camarades ouvriers ou à la campagne pour empêcher la vente de tous les biens d’une pauvre famille paysanne endettée, la volonté étant au PCF de pouvoir représenter l’ensemble de la population française en excluant la grande bourgeoisie. En plus du fond, c’est aussi en terme esthétique que le film s’inscrit parfaitement dans son époque. La mode était alors à l’aspect presque documentaire (voire les documentaires de la CGT produit à l’époque) d’une œuvre militante afin de retranscrire le plus la réalité, à offrir des moments pédagogiques, sans oublier de les mélanger à des aspects purement fictionnels. Le long-métrage se termine sur une scène de foule, comme notre film allemand, mais ne regroupant pas seulement des ouvriers, mais aussi des paysans, des artistes, des fonctionnaires, des petits-bourgeois, tous unis contre le fascisme et pour un monde meilleur.
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