L’Australie est le premier producteur mondial de lithium — un minéral très convoité pour la production des batteries de voitures électriques. Au coeur de cette ruée vers « l’or blanc », un village dans l’ouest du pays accueille la plus grande mine de roche dure de lithium au monde. Incursion.
Greenbushes. À un peu moins de trois heures de route au sud de Perth. Dans le silence assourdissant de l’endroit, on peine à croire que l’on se trouve dans un des carrefours mondiaux de l’électrification des transports.
En pleine semaine, un mardi, l’endroit est désert. Les rares édifices commerciaux sont placardés ou vides. Il n’y a qu’à l’Exchange Hotel que l’on trouve un peu de vie. Des travailleurs de la mine, encore vêtus de leur tenue de sécurité poussiéreuse et d’un orange pétant, commandent des pintes de bière au bar de l’établissement hôtelier.
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Colin Gray et son beau-père, Rodney Holroyd, ont été recrutés il y a quelques mois par un sous-entrepreneur de Talison Lithium, l’entreprise privée qui gère la mine de Greenbushes. Ils conduisent les camions de chantier sur la mine.
« Ce sont de bonnes jobs, avec de bons salaires », lance Rodney Holroyd en prenant une gorgée. Sans vouloir révéler son revenu, le travailleur affirme que celui-ci a augmenté de 20 000 $ quand il a changé d’emploi.
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Sa fille, Jessi Gray, derrière le bar, explique qu’ils habitent à Bridgton, un village situé à environ 15 kilomètres de là. « C’est très calme par ici. La plupart des travailleurs ne viennent à Greenbushes que pour le travail. Ils ne vivent pas ici », explique-t-elle.
Le petit village compte en effet moins de 400 habitants, alors que la mine emploie plus du double de personnes, soit au-delà de 800.
Steven Dowling, un autre client du bar, travaille lui aussi à la mine. Celui qui supervise les opérations au sein de l’usine de traitement du spodumène (silicate d’aluminium) de Talison n’exprime pas particulièrement de fierté à travailler dans ce secteur, pourtant essentiel à l’électrification du parc automobile mondial.
« C’est juste une fichue mine pour moi », dit Steven Dowling à la blague. « Si c’était autre chose que du lithium, ça ne changerait pas grand-chose. C’est très populaire en ce moment, mais l’engouement peut retomber aussi vite qu’il est monté si la technologie change », estime-t-il.
Toujours est-il que, selon les projections actuelles, la demande pour l’« or blanc » n’est pas près de se tarir. Au contraire. D’ici 2040, l’Agence internationale de l’énergie s’attend à ce que, pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, la demande pour le lithium soit 40 fois supérieure à ce qu’elle était en 2020.
55 % de la production mondiale
Dans la course au lithium, l’Australie tire bien son épingle du jeu. Bien qu’elle ne possède pas les plus grandes réserves de lithium — c’est au Chili qu’elles se trouvent —, l’île-continent est actuellement la première productrice de ce minéral, accaparant 55 % de la production mondiale.
À elle seule, la mine de Greenbushes représentait en 2021 environ 40 % de la production de lithium de roche dure en Australie et 22 % de celle du marché mondial.
Malgré son importance, Talison Lithium ne cherche pas la lumière. L’entreprise privée, détenue à 51 % par la chinoise Tianqi et à 49 % par l’américaine Albemarle, se montre frileuse à l’idée d’ouvrir ses portes aux médias.
Un accès public perché en hauteur permet tout de même d’avoir un aperçu du site minier. Au bout d’une petite rue où se trouve l’école primaire du village, il suffit de grimper quelques marches pour contempler le « Cornwall Pit ». Cette fosse à ciel ouvert n’est plus exploitée depuis 2003. Mais, juste derrière, on parvient à distinguer les fosses en fonction et le jeu des camions qui s’activent.
« Greenbushes a toujours été une ville minière. On y extrayait l’étain et le tentale à l’époque », raconte Steven Dowling, l’employé de Talison rencontré au bar.
Les travaux miniers, dont témoignent les vestiges du « Cornwall Pit », ont commencé en 1888. Mais ce n’est que près d’un siècle plus tard, soit vers 1980, que l’on commence à considérer l’intérêt du lithium qui se trouve dans la région.
« C’est un très grand site. Il y a trois autres fosses d’excavation qui sont actives, en plus des usines de traitement », explique M. Dowling.
Un métal léger, aux lourdes implications géopolitiques
Le métal le plus léger du tableau périodique des éléments de Mendeleïev est l’objet de toutes les convoitises. Le lithium, au même titre que le cobalt, le graphite, le nickel et les métaux rares, se classe dans la famille des minéraux critiques. Et pour cause : ils sont non seulement essentiels pour la production des batteries de voitures électriques, des panneaux solaires ou des turbines éoliennes, ils sont également cruciaux pour les technologies de défense.
La domination australienne dans la production de lithium lui confère ainsi « une position stratégique sur la scène internationale », souligne Marina Zhang, professeure associée à l’Institut sur les relations Chine-Australie à l’Université de Technologie de Sydney.
Toutefois, actuellement, la quasi-totalité du lithium extrait en Australie est envoyée en Chine. Une dépendance que le gouvernement australien espère limiter au fil des prochaines années en se tournant vers d’autres marchés.
L’Australie, au même titre, notamment, que le Canada ou l’Union européenne, a intégré le Partenariat pour la sécurité des minéraux (« Minerals Security Partnership ») en 2022. L’initiative, lancée par les États-Unis, vise précisément cet objectif : renforcer les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques entre pays partenaires.
La professeure Zhang estime que l’Australie se trouve « un peu coincée dans une compétition » entre les superpuissances américaine et chinoise, qui cherchent chacune à sécuriser leurs approvisionnements en minéraux critiques.
« Les exportations de lithium sont une manne financière pour l’Australie. Est-ce qu’il y a un avantage à produire les batteries ici plutôt qu’en Chine ? Il y a l’argument de la sécurité, pour réduire la vulnérabilité des échanges. Par contre, d’un point de vue économique, il n’est pas dit que les batteries australiennes seraient compétitives par rapport aux batteries chinoises, où la main-d’oeuvre coûte moins cher », affirme Mme Zhang.
Le travailleur Steven Dowling, lui, exprime un autre point de vue. « Dans ce pays, c’est comme ça qu’on a l’habitude de fonctionner : on extrait nos ressources et on les envoie ailleurs. C’est important aussi qu’on crée de la valeur ajoutée ici. »
Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.
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