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par Régis de Castelnau
Le terme «fait divers» a dans l’esprit de l’opinion une connotation péjorative. Il renvoie souvent dans la presse à ce que l’on appelle avec mépris la rubrique des «chiens écrasés». C’est une erreur, car les faits divers ont un mérite considérable, celui de raconter une société, d’en décoder les ressorts sociaux et souvent d’en révéler les enjeux de pouvoir. Cela explique le succès de la littérature policière, ce «second rayon» ou les chefs-d’œuvre côtoient le pire. Et également la passion de l’opinion pour ces histoires qui mettent en scène l’humanité et la société, passion évidemment utilisée par l’argent pour y placer ses propres marchandises.
La tragédie de Poissy, qui a vu un adolescent de 15 ans poussé au suicide par un harcèlement scolaire, est une terrible leçon de choses. Au-delà de la violence qu’elle expose, elle raconte de façon caricaturale le macronisme. Dans la façon dont le phénomène du harcèlement scolaire, symptôme des dérèglements d’une société en crise, est pris en charge et traité par la caste. Où le mépris et l’arrogance sont les outils qu’elle utilise pour les traiter. Auxquels s’ajoutent, en cas de scandale devenant public, l’utilisation de toutes les méthodes permettant aux protagonistes de se mettre à l’abri. La rectrice de l’académie de Versailles sous la responsabilité de laquelle la tragédie s’est nouée, connaîtra peut-être quelques jours difficiles, mais pas d’inquiétude, l’étouffoir fonctionnera et elle pourra poursuivre sans problème sa carrière dans la confortable pantoufle qu’elle s’est octroyée.
Gabriel Attal est un politicien rusé. Par exemple, pour masquer les aspects catastrophiques d’une rentrée scolaire qui voit l’Éducation nationale réduite à gérer une pénurie dramatique, il a lancé la polémique sur l’abaya. Grâce au système médiatique et aux surenchères de Mélenchon, la diversion a fonctionné à plein. Cette fois-ci, confronté à la tragédie de Poissy, et face au comportement scandaleux de l’administration dont il vient de prendre la direction, il a lâché celle-ci en rase campagne en qualifiant sa conduite de «honteuse». En n’hésitant pas à peut-être prendre quelques risques vis-à-vis de son patron Emmanuel Macron puisque la carrière de la principale responsable avait bénéficié de toutes ses attentions.
Petit rappel des faits
Les parents de cet adolescent de 15 ans, confrontés au harcèlement scolaire dont faisait l’objet leur enfant, se démenaient pour essayer de mettre celui-ci à l’abri. Ils ont sollicité le soutien de l’Éducation nationale. De rendez-vous avec l’équipe éducative en déplacements au commissariat, ils se sont heurtés à une inertie administrative bornée et ont manifesté leur désarroi. Que n’avaient-il fait ! Le rectorat de l’académie de Versailles leur a rappelé qu’ils devaient rester à leur place, sinon gare ! Ils ont reçu sous l’en-tête de ce rectorat un courrier de menaces – celui qualifié de «honteux» par l’actuel ministre de l’Éducation nationale – dont il convient de rapporter les termes pour mesurer le mépris et l’arrogance qui caractérise de plus en plus la haute fonction publique d’État.
Voici ce que dit le courrier. «Il convient de vous rappeler que si votre qualité de parents d’élèves vous octroie le statut de membre de la communauté éducative en application des articles L-111-3 et L 111-4 du code de l’éducation, cette qualité implique également que vous respectiez l’ensemble des professeurs personnels de l’éducation nationale et l’institution scolaire conformément à l’article 111 –3– 1 du même code». En d’autres termes : «dites donc les gueux, ce n’est pas parce que l’on vous «octroie» (!) un statut, que vous êtes autorisés à l’ouvrir et à vous plaindre sous prétexte que votre enfant est en danger. Alors on va vous citer des articles de loi dont vous n’avez pas idée pour vous impressionner et que vous appreniez à rester à votre place».
Mais malheureusement, il y a pire, puisque le courrier poursuit par une menace explicite :
«Par ailleurs, conformément à l’article 226 – 10 du code pénal : «La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne dénoncée est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende».
On imagine la réaction de ces parents dans la souffrance, et n’ayant aucune culture juridique, face à cette menace explicite et littéralement terrifiante. Et pour faire bon poids, le courrier du rectorat rappelle que pour les plaintes pénales déposées contre eux, l’administration financera la défense des plaignants. Non pas d’ailleurs en rappelant le principe de l’article 11 du statut général de la fonction publique mais pour faire joli et susciter encore plus d’angoisse, en faisant état d’une référence d’un arrêt de la Cour de cassation.
«Honteux», le mot est vraiment très faible pour ce qui constitue purement et simplement un chantage. Certes, les juges admettent en général qu’il n’y a pas de chantage en cas de menace d’une action pénale, du moment que l’auteur de la menace est une victime qui vise à obtenir la mise en œuvre d’un droit légitime. Mais en la circonstance, les personnels de l’Éducation nationale n’apparaissent vraiment pas comme des victimes visant à obtenir la mise en œuvre d’un droit légitime. Et ce d’autant que pour être prononcée, cette condamnation implique que l’auteur de la dénonciation calomnieuse ait su de manière certaine que sa plainte était infondée. C’est-à-dire qu’il savait que les faits invoqués n’existaient pas. Les condamnations pour dénonciation calomnieuse sont rarissimes. Le seul objectif poursuivi était donc l’intimidation, de faire peur afin d’obtenir la résignation des parents.
Il faut lire les autres échanges de courriers avec le proviseur du collège pour imaginer leur désarroi et leur sentiment d’impuissance devant cette indifférence hostile, et menaçante. Comment ne pas imaginer que cela ait pu jouer un rôle dans la tragédie qui s’est déroulée au moment de la rentrée ?
Non-assistance à personne en danger
Alors, on va rappeler aux fonctionnaires (si prompts à brandir la menace judiciaire) que le Code pénal comporte quelques autres articles sur lesquels il serait normal qu’ils aient à répondre, en n’oubliant pas que tout ceci s’est déroulé sous la responsabilité de Charline Avenel, rectrice de l’académie de Versailles déjà en fonction au moment de l’affaire Paty. Pour rappel, Avenel est une camarade de promotion de Emmanuel Macron, lors de son passage à l’ENA, qui fut nommée à ce poste sur décision du prince et grâce à un passe-droit, car elle ne remplissait pas les conditions légales pour accéder à cette responsabilité. Conformément au cursus de la haute fonction publique macronienne, elle vient de quitter le service public pour rejoindre une confortable pantoufle dans un des premiers groupes de l’enseignement supérieur privé. Le service public, c’est pour constituer le carnet d’adresses que l’on va faire fructifier après. Stéphane Simon, dans son ouvrage «Les derniers jours de Samuel Paty», a pointé les responsabilités écrasantes de la hiérarchie de l’Éducation nationale dans le drame. Et en particulier celle d’un rectorat plus soucieux de rappeler au malheureux professeur «les règles de la laïcité qu’il ne semblait pas maîtriser», que de le protéger de la barbarie islamiste.
Tant qu’à parler d’articles : rappelons également aux magistrats, ceux qui sont allés violer leur devoir de réserve à la fête de l’Huma ces 16 et 17 septembre, que l’on aimerait les voir se remettre au boulot. En effet, en avril 2022,10 membres de la famille de Samuel Paty ont déposé une plainte pour non-assistance à personne en danger. Le parquet de Paris aurait pu demander l’ouverture d’une information judiciaire et la nomination d’un juge d’instruction. Il s’est contenté d’ouvrir une enquête. A priori, il ne semble pas que Charline Avenel ait été entendue.
Rappelons pourtant ce que dit l’article 223 –6 du Code pénal : «Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours».
La responsabilité des personnels de l’Éducation nationale impliqués dans la rebuffade et les menaces adressées aux parents de l’adolescent de 15 ans sautent aux yeux à la lecture des échanges de courriers. Qui ne sont pas seulement «honteux», pour reprendre le mot de Gabriel Attal, mais constituent en eux-mêmes l’infraction de chantage, et caractérisent un refus volontaire de porter secours à une personne en péril. Charline Avenel, habilement exfiltrée vers le privé en juillet 2023, sera-t-elle entendue après ce deuxième mort ?
On peut malheureusement avoir quelques doutes quant à la célérité de la Justice, en tout cas lorsque cela concerne les amis de Emmanuel Macron, bénéficiaires réguliers de passe-droits et d’une immunité judiciaire confortable.
source : Vu du Droit
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