Auteur : Christian Leray M.A.
Ce texte est le premier d’une série d’articles sur la démocratie. Dans celui-ci, nous montrons que loin de vivre dans une démocratie comme nous pourrions le croire, nous sommes en fait dans un régime oligarchique. Nous publierons par la suite d’autres articles traitant par exemple de la séparation des pouvoirs, de la légitimité que confère l’élection, etc. Puis nous proposerons des solutions.
Identité numérique, 5G, monnaies numériques de banque centrale, loi C-11 (obligation pour les réseaux sociaux de retirer les contenus haineux et faux), on en passe et des meilleures : la liste de lois et règlements contestés mais votés par nos dirigeants sans que l’on ne les souhaite vraiment ou que l’on n’en connaisse les véritables tenants et aboutissants ne cesse de s’allonger.
C’est rendu au point où même le grand public commence à douter. Ainsi, posez la question autour de vous à savoir si l’on est en démocratie… et il se pourrait que l’on vous réponde que non. Pourtant, médias et autorités ne cessent de répéter que c’est bien le cas. Comment cela est-il possible?
Deux systèmes opposés
Quand on parle de démocratie, on pense généralement à la liberté, à la liberté d’expression, aux partis politiques, à des élections libres, etc. Mais est-ce vraiment cela? Pour comprendre ce qui se passe, il est important de revenir à la définition des mots.
En fait, le mot démocratie vient des deux mots grecs « demos » (le peuple) et « kratos » (le pouvoir). La démocratie est donc le pouvoir au peuple.
Mais quel est notre système politique? Au Québec et au Canada nous sommes en « monarchie constitutionnelle », tandis que la plupart des pays se déclarant être des « démocraties libérales » (il existerait donc des « démocraties » qui ne le seraient pas…) sont des républiques [1]. Et quelle est la définition du mot république? Il s’agit d’un système politique dans lequel le pouvoir est exercé par des représentants.
Résumons :
- La démocratie est le pouvoir au peuple
- Dans une république le pouvoir est exercé par des représentants
On comprend donc qu’il y a une différence majeure, pour ne pas dire abyssale, entre les deux systèmes : dans l’un, le peuple est le souverain, dans l’autre, ce sont des « représentants » qui ont le pouvoir. Cela n’a rien à voir. Rendu là, on réalise soudainement que des pays comme la Chine (la République populaire de Chine) ou l’ex-URSS (Union des républiques socialistes soviétiques)… bien que se proclamant être des républiques ne sont pas des démocraties.
On comprend donc que contrairement à ce que l’on nous a toujours dit (nos parents, nos professeurs, les médias et les politiciens) que les mots ne sont pas synonymes. Démocratie et république, ce n’est pas la même chose. Au contraire, il s’agit d’antonymes. Car soit le peuple a le pouvoir et c’est une démocratie, soit il ne l’a pas et il faut alors trouver un autre mot pour décrire la réalité.
Comprendre l’élection
Pour réaliser le « tour de passe-passe », il faut s’intéresser à ceux qui exercent le pouvoir, c’est-à-dire les « représentants ». Dans les « démocraties libérales », ils sont élus. Il faut donc comprendre l’élection.
Les républiques les plus célèbres qui inspirent le reste du monde sont sans conteste la France et les États-Unis. Les deux ont été mises en place vers 1790. Il est important de souligner que ce système politique n’a pas été choisi par hasard : à cette époque, la bourgeoisie (banquiers, financiers, manufacturiers, commerçants, etc.), consciente de son influence économique grandissante, souhaitait exercer le pouvoir. Alors même qu’elle sapait les fondements de la monarchie en s’attaquant frontalement à la religion (via les Lumières en France par exemple), elle étudiait le meilleur système possible qui lui permettrait d’exercer et de conserver le pouvoir.
Elle choisit la république.
Il faut savoir, comme le montre Francis Dupuy-Déri dans son ouvrage Démocratie, histoire d’un mot, qu’à l’époque l’élite faisait parfaitement la distinction entre démocratie et république (ce n’est que plus tard au courant du 19e siècle que l’élite, consciente de la popularité du mot « démocratie », réussira à en faire un synonyme de « république », ce qui n’est pas un mince exploit). Son choix de rejeter la démocratie au profit de la république n’est absolument pas un hasard… mais en raison de l’élection. En effet, en théorie celle-ci n’a que des avantages.
L’un de ceux qui a été le plus mis en avant était le « principe de représentativité » : les citoyens étant « raisonnables », ils voteraient logiquement pour des gens qui leur ressemblent, ce qui assurerait que le peuple ait bien le pouvoir. Mieux, les pères de la République assuraient que l’élection avait une action quasi divine qui permettrait d’arriver à « un système politique substantiellement différent et supérieur ». Ainsi, Madison affirmait que l’effet de la représentation est
D’épurer et d’élargir l’esprit public en le faisant passer par l’intermédiaire d’un corps choisi de citoyens dont la sagesse et la mieux à même de discerner le véritable intérêt du pays et dont le patriotisme et l’amour de la justice seront les moins susceptibles de sacrifier cet intérêt à des considérations éphémères et partiales [2].
Le peuple qui n’avait pas de projet politique n’eut d’autre choix que de faire confiance à l’élite. Sauf que les faits allaient tout de suite montrer l’inverse. Par exemple, la première élection au suffrage universel en France en 1793 allait permettre à seulement DEUX ouvriers de se faire élire sur une assemblée de 750 députés! Ce résultat allait être confirmé à chaque nouvelle élection. Ainsi, quasiment tous les sénateurs aux États-Unis sont millionnaires. Le président des États-Unis, jusqu’à Trump, était toujours le candidat qui avait dépensé le plus d’argent. Même en France, pays jugé plus égalitaire, la plupart des ministres sont millionnaires. Etc.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il est tout à fait logique que l’élection favorise les riches. En fait, toutes les expériences républicaines précédent les républiques française et américaine (Venise, Florence et Gênes notamment) avaient montré que l’élection favorisait les riches. Ainsi, cette citation que l’on attribue à Tocqueville (auteur du fameux ouvrage De la démocratie en Amérique) résonne terriblement : « Je ne crains pas le suffrage universel, les gens voteront comme on leur dira. » Celui-ci avait d’ailleurs reçu quasiment toutes les voix dans son village… alors qu’il était un noble et ne pouvait en aucun cas se prétendre comme un défenseur des intérêts des simples citoyens. Il montrait ainsi que les gens ne votent pas pour leurs semblables mais élisent des notables.
Cela s’explique par le fait que les citoyens votent pour des gens qu’ils connaissent et qui leur semblent compétents. Leurs semblables ayant peu de chances de se faire connaitre en raison de leurs moyens financiers limités et comme les notables semblent plus compétents (si vous êtes ouvrier ou agriculteur, voterez-vous pour un ouvrier ou un agriculteur ou pour un médecin, un avocat, ou un homme d’affaire, etc.?), ils remportent logiquement les élections.
L’élection est oligarchique
De nos jours, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le système s’est renforcé. En effet, pour gagner aux élections, il faut de l’argent et être connu, donc passer dans les médias. Mais qui détient les médias et possède suffisamment d’argent pour financer les campagnes électorales? Seulement une poignée de milliardaires, qui soutiennent financièrement les partis et promeuvent leurs candidats dans leurs médias. Les autres, aussi compétents, intègres et visionnaires soient-ils, n’ont aucune chance.
Finalement, on est dans un système dans lequel les représentants doivent leur élection à une poignée d’individus. Logiquement, ils sont à leur service et ce n’est pas le peuple qui tient le gros bout du bâton, contrairement à ce que l’on nous répète et donc à ce que l’on pourrait croire. La situation est telle qu’on se rend compte que les « citoyens » n’ont en fait qu’un « pouvoir », soit celui de décider tous les 4 ans de leurs maîtres. S’ils ne sont pas contents, ils doivent attendre 4 longues années pour en choisir d’autres. Mais comme ceux-ci sont tous promus par les mêmes quelques personnes, les choses changent très peu et peu à peu la population se rend compte que son vote est inutile. En résulte une abstention croissante.
On se rend donc compte que loin d’être démocratique, l’élection favorise la victoire de candidats supportés par quelques individus extrêmement puissants et influents. Qui tout en restant cachés derrière les « élus », exercent de fait le pouvoir. L’illustration suivante résume la situation :
Et comment se nomme un système politique dans lequel le pouvoir est exercé par quelques personnes? Cela s’appelle l’oligarchie, des mots grecs olígos « peu nombreux » et árkhô « commander ». Et cela décrit parfaitement ce que nous vivons avec une poignée de milliardaires capables de faire et défaire des politiciens.
Nous ne sommes donc pas en démocratie mais en oligarchie.
Une fois qu’on l’a compris, tout s’éclaire. On a enfin un mot pour décrire la réalité, ce qui nous permet alors de réaliser que les lois ne sont pas passées dans notre intérêt mais dans celui de ceux à qui les politiciens doivent leur élection.
L’élection comme moyen de contrôle
L’élection permet donc à l’oligarchie de prendre le pouvoir. Mais mieux encore : elle lui permet de le conserver ad vitam aeternam comme l’expliquait Adolphe Thiers, président de la République française de 1871 à 1873 [3] :
Dans une monarchie, du moins en principe, c’est un seul homme, la volonté d’un seul, celle du roi qui gouverne. C’est une volonté extrêmement vulnérable parce que les sujets peuvent se révolter au nom de la liberté. Et quel sera l’argument du roi sinon un argument de violence?
Tandis que si nous avons la république, qu’est-ce que la république? C’est parait-il le régime de la volonté nationale, donc c’est la liberté qui gouverne. Mais pratiquement, qu’est-ce que la souveraineté nationale? C’est la majorité du suffrage universel. Il suffit de la moitié plus un pour que cela s’appelle la volonté nationale. Toujours est-il que dans une république le pouvoir est en principe invulnérable puisqu’il est l’expression de la volonté nationale, la volonté de la majorité des citoyens (ndla : c’est nous qui soulignons).
Il est donc beaucoup moins vulnérable qu’un régime monarchique [et] une fois que vous aurez la bénédiction de l’opinion publique, vous serez invulnérable (ndla : c’est nous qui soulignons).
Parce que si des gens se lèvent comme les communards [4] (ndla : aujourd’hui les Gilets jaunes ou les camionneurs), vous les accuserez immédiatement de faire des attentats à la liberté! […] La puissance de la république, sa puissance de contrainte, est infiniment plus puissante que la puissance de contrainte de la monarchie. […] Et si nous arrivons à bien diriger le suffrage universel, de telle manière qu’il soit conservateur, vous voyez à quel point le pouvoir est renforcé dans ce qu’il a pour nous d’essentiel, c’est-à-dire la protection de la fortune acquise (ndla : c’est nous qui soulignons).
Les grecs le savaient il y a plus de 2400 ans : l’élection est oligarchique. Loin d’être en démocratie nous sommes donc en oligarchie. Ce système est d’autant plus puissant qu’il permet aux véritables dirigeants qui commandent aux politiques de rester caché et d’éviter que leur pouvoir ne soit nu. Ainsi est caché sous un vernis « démocratique » un système foncièrement totalitaire. Ce qui explique tout ce qui se déroule actuellement.
Nous continuerons dans la suite de cette série d’articles notre réflexion sur la démocratie avant d’étudier les moyens qui pourraient nous permettre de revenir à un système plus proche de l’idéal démocratique.
[1] Ces deux systèmes étant proches (la principale différence est que dans la monarchie constitutionnelle le pouvoir exécutif est exercé par un roi contre généralement un président dans une république), nous utiliserons le terme de république pour traiter des deux.
[2] Cité par Bernard Manin dans Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, 1996.
[3] Conférence d’Henri Guillemin, historien français. Voir à 4’40. Consulter aussi cette autre conférence de Guillemin à 9’40.
[4] Les communards étaient les partisans de la Commune de Paris, en 1871, une insurrection qui a vu le jour suite à la trahison de l’oligarchie lors de la guerre de 1870 contre l’Allemagne. De là naquit une expérience démocratique originale… qui fut très violemment réprimée par l’oligarchie. Il y eut 10 000 morts.
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