Avec une course à la Maison-Blanche déjà entravée par une série de mises en accusation et quatre procès à venir, le républicain Donald Trump pourrait également voir ses ambitions présidentielles minées dans les prochaines semaines par… la Constitution des États-Unis.
Mercredi, six électeurs républicains et indépendants, soutenus par le groupe Citizens for Responsibility and Ethics in Washington (CREW), ont en effet déposé une plainte officielle devant la justice du Colorado, appelant à exclure le populiste du scrutin de la primaire républicaine dans cet État, prévue en mars 2024.
Raison invoquée ? La section 3 du 14e amendement de la Constitution du pays qui, selon eux, rend inéligible une personne « ayant prêté serment […] de défendre la Constitution » pour ensuite « avoir pris part dans une insurrection ou une rébellion » contre les représentants de l’État. Une disposition apparue dans la foulée de la guerre civile américaine, en 1866, et qui, selon le groupe, s’appliquerait désormais à Donald Trump.
L’ex-président est accusé d’avoir tenté de faire annuler les résultats de l’élection présidentielle de 2020, mais également d’avoir encouragé l’insurrection de ses fidèles contre le Capitole, le 6 janvier 2021. L’émeute visait à bloquer la certification des votes confirmant l’élection de Joe Biden ainsi que le processus législatif de transfert du pouvoir.
Dans le contexte politique actuel, « la section 3 représente un paratonnerre potentiel », estime en entrevue au Devoir le constitutionnaliste américain Eric J. Segall de l’Université d’État de la Géorgie. « Mais il va devoir être utilisé avec prudence. »
Au cours du mois d’août, deux éminents professeurs de droit, William Baude, de l’Université de Chicago, et Michael Stokes Paulsen, de l’Université de St. Thomas, ont apporté de l’eau à ce moulin dans un document de 126 pages exposant les raisons pour lesquelles Donald Trump ne devrait plus être autorisé à se présenter à un poste électif. Et ce, même s’il mène actuellement la course au sein de son parti.
L’appel au « combat » contre les élus et le dôme de la démocratie américaine, qu’il a lancé à ses troupes devant le Capitole le 6 janvier 2021, justifierait cette inéligibilité, en vertu de la section 3 du 14e amendement qui, « malgré son long sommeil », est toujours « vivante et en vigueur », écrivent-ils.
À (re)lire
Ce point de droit a été très peu utilisé dans les 160 dernières années de politique aux États-Unis. L’an dernier, il a toutefois été invoqué pour destituer un commissaire du comté d’Otero, au Nouveau-Mexique. Une première depuis 1869. Couy Griffin — c’est son nom — avait pris part aux émeutes du 6 janvier en faisant partie du groupe d’insurgés étant entrés par effraction dans le bâtiment du pouvoir législatif.
À l’inverse, en 2022, le groupe de citoyens Free Speech for People a tenté d’invoquer cette même section pour empêcher la représentante républicaine ultraradicale Marjorie Taylor Greene de se présenter à sa réélection en Géorgie, et ce, pour avoir participé à l’organisation et pour avoir fait la promotion de l’insurrection du 6 janvier. En vain. Un juge a statué en faveur de l’élue, une proche de Donald Trump.
Le test des tribunaux
La plainte déposée au Colorado cette semaine contre le populiste est la première portée par un groupe disposant des ressources financières nécessaires pour mener ce combat juridique jusqu’au bout.
Par voie de communiqué, la secrétaire d’État du Colorado, Jena Griswold, une démocrate, a dit espérer que « cette affaire fournisse des indications aux responsables électoraux sur l’éligibilité de Trump en tant que candidat à un poste ». Plusieurs de ses homologues dans d’autres États évaluent la possibilité de placer Donald Trump face à ce point de la Constitution pour le sortir de la prochaine course électorale, un chemin risqué, estime le secrétaire d’État de la Géorgie, le républicain Brad Raffensperger.
« Qu’un secrétaire d’État destitue un candidat ne ferait que renforcer les griefs de ceux qui considèrent le système comme truqué et corrompu », a dit M. Raffensperger, qui s’était opposé publiquement à Donald Trump en 2020, en refusant de déclarer faussement la victoire de l’ex-vedette de la téléréalité dans cet État. Sa conversation avec l’ex-président, qui lui demandait de faire apparaître des électeurs en sa faveur, va se retrouver au coeur du procès intenté par la justice de la Géorgie contre le populiste, pour tentative de révocation d’un scrutin présidentiel. « Empêcher les électeurs d’avoir la possibilité de choisir [eux-mêmes leur représentant] est fondamentalement antiaméricain », a-t-il écrit mercredi dans une chronique publiée dans les pages du Wall Street Journal.
Mais, au-delà des secrétaires d’État, c’est sans doute la Cour suprême qui risque d’avoir le dernier mot. Dimanche, sur les ondes du réseau MSNBC, le juge fédéral Michael Luttig a d’ailleurs qualifié cette question d’une des « plus fondamentales qui ne puissent jamais être tranchées en vertu de [la] Constitution » américaine. Il a ensuite précisé qu’en fin de compte, cela va être à la Cour suprême de décider, « le plus tôt possible, et très probablement avant les premières primaires ».
Ces primaires doivent prendre leur envol le 15 janvier prochain, avec les caucus de l’Iowa. Le Colorado, lui, doit voter deux mois plus tard.
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Rappelons que le plus haut tribunal du pays dispose actuellement d’une supermajorité conservatrice de 6 voix contre 3. En un seul mandat, Donald Trump a nommé trois des juges de cette cour.
« Peu importe ce qui va arriver, Donald Trump reste cet enfant du quartier qui crie à la tricherie chaque fois qu’il perd et qui va continuer à le faire, qu’il perde d’une voix, d’un million ou qu’il soit disqualifié », dit en entrevue l’historien juridique Mark Graber, de l’Université du Maryland. Une attitude qui, selon plusieurs experts de la scène politique américaine, non seulement contribue à l’instabilité de la primaire républicaine en cours, mais porte également atteinte aux fondements du processus électoral du pays, à sa démocratie et à son État de droit.
« Si Trump devait être disqualifié, cela n’empêcherait pas les Américains de continuer à voter pour des gens qui défendent ses politiques, poursuit M. Graber. Et, honnêtement, tenir Donald Trump loin des bulletins de vote de 2024 pourrait être la meilleure chose à faire pour garantir à chacun des Américains de pouvoir continuer à voter pour le candidat de son choix en 2028. »
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