par Aymeric Monville
À mon retour du Xinjiang, j’apprends que mon exécution pour divergence avec les principaux médias de mon pays va peut-être être différée. En effet, l’arsenal de la presse française se fait désormais plus modeste.
Commentant la récente visite du président chinois dans la région, Le Monde, dans son édition du 28 août 2023 titre : «La répression chinoise en voie de «normalisation»».
Quant à RFI, un jour plus tôt : Chine : Xi Jinping réaffirme la priorité donnée à la «stabilité sociale» au Xinjiang.
Enfin, Le Figaro : Chine : le président Xi au Xinjiang, loue «la stabilité sociale».
Je n’ai pas trouvé d’autres articles sur le même sujet. Mais je constate une belle unanimité : trois titres et trois fois les mêmes guillemets.
La belle solution ! Comme il n’y a plus rien à dire sinon que le Xinjiang est toujours en Chine, qu’il n’y a plus d’attentats depuis 2016, que les Ouïghours sont bien toujours là, Dieu merci (s’il existe), que la religion n’est nullement interdite, que le patrimoine matériel et immatériel est préservé, que la région se développe avec une croissance qui profite à tout le monde, il reste donc un expédient tout trouvé : commenter l’actualité chinoise en montrant qu’on n’en pense pas moins.
Car ces utiles guillemets permettent aux journalistes d’afficher une position de surplomb en créant avec le lecteur la connivence voulue.
Au choix : «On nous raconte ça en Chine mais vous savez, ça vient des Chinois, hein ?»
Ou bien : «On nous raconte ça en Chine mais vous savez, ça vient des communistes, hein ?».
Voire les deux. Ça se mélange souvent dans les têtes, le complexe de supériorité raciale et l’anticommunisme. Et il doit être écrit quelque part que les anciens colons reprocheront toujours, jusqu’à la fin des temps, aux Chinois de s’être libérés de l’oppression étrangère grâce à leur Parti communiste.
Et surtout, mettre les guillemets permet au journaliste de ne pas avoir à faire le raccord ni les excuses nécessaires entre les énormités (génocide, trafic d’organes, stérilisations forcées) débitées précédemment sur les mêmes supports à propos d’une région du monde où ni eux ni leurs collègues n’ont mis les pieds, ou sinon il y a bien longtemps.
Maxime Vivas, dans son ouvrage aussi salutaire que solitaire de 2020 sur les fake news autour des Ouïghours avait déjà noté que vers 2015, l’Obs faisait bien la différence entre terroristes et «terroristes».
Le premier, sans guillemets, est idoine pour décrire les tueurs du Bataclan. Quant aux «terroristes», avec guillemets cette fois, cela concerne les djihadistes au Xinjiang, massacrant par exemple des mineurs de fond ayant eu le tort d’appartenir à l’ethnie majoritaire, les Hans. Ursula Gauthier, la journaliste de l’époque, s’était particulièrement illustrée dans l’inventivité casuistique :
«Or, aussi sanglante qu’elle ait été, l’attaque de Baicheng [contre les mineurs de fond, le 18 septembre 2015] ne ressemble en rien aux attentats du 13 novembre [de la même année, en France]. Il s’agissait en réalité d’une explosion de rage localisée». Et de continuer, «Poussé à bout, un petit groupe de Ouïgours armés de hachoirs s’en était pris à une mine de charbon et à ses ouvriers chinois han, probablement pour venger un abus, une injustice, une expropriation…»
Le «probablement» permettait à la journaliste d’extrapoler à des milliers de kilomètres, sur ces prétendus vengeurs d’une injustice. Dans ce livre même livre, Maxime Vivas notait aussi que la propagande était plutôt au conditionnel : les Ouïghours «seraient» génocidés, etc. Et qu’«un conditionnel dix fois répété devient un indicatif certifié».
Mais revenons donc à ce que commentaient nos trois articles à guillemets :
C’était là le deuxième déplacement du président chinois depuis juillet 2022. Le précédent remontait à 2014. Xi Jinping s’est donc rendu au Xinjiang après être rentré en Chine après le 15ème sommet des BRICS et sa visite d’État en Afrique du Sud. On notera – mais qui notera ? – que ce sommet des BRICS aura vu l’élargissement de l’organisation à six pays dont quatre sont majoritairement musulmans : l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Égypte et les Emirats arabes unis.
On sera aussi en peine de trouver dans la presse française que le président Xi a aussi parlé de protection de patrimoine culturel des différentes nationalités, pour permettre aux fonctionnaires de développer une meilleure compréhension dans chaque région, etc.
Le Figaro préfère insister sur le fait que les Ouïghours ne représentent que 41% de la population alors qu’ils étaient plus nombreux – en proportion – en 1949. Les Chinois Hans seraient, paraît-il, 45%. Soit un peu plus de 10 millions de Hans dans cette région, étant donné qu’ils sont environ 1 milliard deux cents millions plus à l’est de ce qui est tout de même leur même pays, c’est plutôt le constat d’un brassage de populations au sein d’un même pays encore bien timide. D’autant que le Xinjiang a aussi besoin d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers venus de tout le pays pour se développer. Et que, malgré cela, c’est que la réalité toute bête est que personne n’a envie d’être envoyé à 2500 km de son foyer (trajet Pékin-Urumqi), voire 5000 km (trajet Shanghai-Kachgar) dans un endroit le plus continental du monde. Allez chercher une bise marine à Urumqi… Et je ne vous parle pas de la dépression de Tiourfan, le deuxième endroit le plus bas en dessous du niveau de la mer, où la température avoisine les 50 degrés.
À ce sujet, on pourrait prendre d’autres exemples, bien plus proche de nous : la ville de Nice compte aujourd’hui 350 000 habitants. Les Niçois «de souche» (je n’aime pas ces termes identitaires mais c’est pour me faire comprendre), parlant niçard (un dialecte occitan), nés du «bon» côté du Paillon, qui préservent la gastronomie niçoise (un régal, injustement méconnu, soit dit en passant), doivent être dans les quelques milliers. Le reste ? Rapatriés d’Algérie, Algériens non rapatriés retraités, parisiens ou non, touristes russes devenus touristes ukrainiens, etc. Et alors ? Avant de devenir la côte d’Azur, «the French Riviera» en anglais, «Lazourny Bereg» en russe, c’était une région où il ne poussait pas grand-chose, où le maquis pousse sur une terre caillouteuse et si peu arable. Où le commerce des fleurs était ce qu’il y avait de plus lucratif. Aujourd’hui tout le monde veut bénéficier du micro-climat local. Je pense d’ailleurs qu’au Xinjiang, pourvu que les Américains finissent par lâcher l’os qu’ils rongent et n’entravent pas trop les nouvelles routes de la soie, eh bien la prospérité va bénéficier à chacun.
Il n’est peut-être pas nécessaire de reprendre toute la logique d’Aristote pour montrer qu’il y a un problème à résoudre. Comment «normaliser», même avec tous les guillemets possibles, un peuple qu’on a déjà génocidé ?
Yukong pourra-t-il encore déplacer les montagnes ? Ou bien faire se rejoindre deux fleuves de désinformation, le fleuve génocide et le fleuve «normalisation» et «stabilité sociale» avec les guillemets de rigueur.
«Vous savez que Houang-ho veut dire fleuve Jaune, et Yang-tseu-kiang fleuve Bleu. Vous vous rendez compte de l’aspect grandiose du mélange ? Un fleuve vert, vert comme les forêts, comme l’espérance. Matelot Esnault, nous allons repeindre l’Asie, lui donner une couleur tendre».
Ce sont des propos d’ivrogne que, rentré depuis bien longtemps en France, tient le personnage joué par Jean Gabin dans le fil tiré d’Un singe en hiver. Creuser un canal entre les deux grands fleuves pour donner à l’Asie une couleur tendre ? Pour une autre palette, adressez-vous à un autre ivrogne, moins sympathique, Mike Pompeo en l’occurrence. Vous savez, celui qui a appris à «mentir, tricher, voler» et qu’on prend donc pour un oracle en Occident. C’est lui qui, passé tout naturellement de la CIA au département d’État a lancé le bobard du génocide ouïghour pour le compte de Donald Trump, avant de refiler la baballe à Joe Biden : contre la Chine il y a bien un parti unique de la guerre. Je me demande pourtant si tous ces savants personnages savent situer le Xinjiang sur une carte.
La dernière campagne présidentielle en France avait montré que le candidat écologiste Yannick Jadot, se posant en «cold warrior» face à la Russie de Vladimir Poutine s’était montré incapable, alors qu’il faisait campagne dans une école primaire – mélange des genres proposé par l’émission «Au tableau» et que je trouve déjà en soi insupportable -, de placer certains pays limitrophes de la Russie. Insoutenable légèreté d’un candidat à la présidentielle et peut-être à la guerre mais qui part sans carte d’état-major. J’étais heureux qu’il n’ait pas atteint la barre des 5% fatidiques. Preuve en est – et à la presse il restera au moins ça à dire -, que je suis vraiment un sale type.
source : Le Grand Soir
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International