Que d’articles et d’entrevues sur la pénurie d’enseignants ! Pour avoir l’air sérieux, le ministre de l’Éducation vient de nous lancer des chiffres, mais, peu importe le nombre, ils ne donnent pas une information claire ni précise sur la situation. Que ce soit 8500 ou 1000, c’est inacceptable, c’est un fléau social. Précisons d’emblée qu’on parle de pénurie au public et non au privé subventionné : autre belle illustration de la ségrégation scolaire qui existe bel et bien, n’en déplaise au ministre.
Faut-il rappeler que cette pénurie est annoncée depuis des années, que de nombreux textes ont été diffusés à ce sujet, mais que les pouvoirs publics — gouvernement, ministère, centres de services scolaires (CSS) — n’ont rien fait pour la contrer, au contraire. En détériorant sans cesse les conditions de travail du corps enseignant et des autres personnels, en les surchargeant, ils accélèrent les départs qui augmentent la pénurie et diminuent l’attractivité du métier.
Un travail épuisant et de moins en moins épanouissant
On évoque les conséquences désastreuses de cette pénurie, mais on explique peu ses causes.
Il y a d’abord, depuis des années, la baisse des inscriptions dans les baccalauréats en éducation préscolaire et enseignement primaire, et en enseignement secondaire. On constate aussi un abandon massif dès la fin de la première année à cause d’échecs dus entre autres à un système qui permet de diplômer n’importe qui ou presque à la fin du secondaire ou du collégial depuis vingt ans, mais aussi à la suite de la prise de conscience de l’immense difficulté de gérer une classe aujourd’hui.
Dans l’ensemble des constituantes de l’Université du Québec, un tiers des étudiants réussissent à obtenir leur baccalauréat en enseignement en quatre ou cinq ans, selon l’analyse présentée dans Une autre école est possible et nécessaire, ouvrage collectif de Debout pour l’école !, d’où une baisse du nombre de personnes finalement aptes à enseigner.
L’attractivité du métier diminue, mais la rétention aussi.
On constate en effet de très nombreux départs durant les cinq premières années d’enseignement : c’est trop difficile comme métier, à cause principalement de la composition des classes surchargées, regroupant des élèves avec des profils très différents (dont plusieurs avec de sérieuses difficultés), mais aussi à cause de tâches administratives chronophages et, enfin, du peu de soutien aux professeurs en difficulté.
De plus, il y a des départs non seulement prématurés à la retraite (à 60 ans plutôt qu’à 65), mais aussi après 10 ou 20 ans d’expérience. Malheureusement, pour quelqu’un d’exigeant et de compétent, et malgré un travail acharné, le métier n’est plus satisfaisant ; il mine la santé physique, mais surtout psychologique. On part pour sauver sa peau, sa famille, son couple, pour retrouver une vie saine et un milieu de travail stimulant.
Quelle est la conception de la mission de l’école ?
Surtout, et de cela on ne parle jamais, quelle est la mission de l’école au cours de la scolarité obligatoire ? Quelle conception de l’éducation la population québécoise a-t-elle aujourd’hui ? On répète à satiété que c’est la réussite. Pourtant, la réussite scolaire ne devrait être que la conséquence de l’atteinte de la mission de l’éducation scolaire, qui devrait se concrétiser par les objectifs suivants :
Apprendre à penser, à réfléchir, à discuter ;
Développer des connaissances et des compétences (dont lire et écrire) pour comprendre le monde et tenter de l’améliorer ;
Se développer sous tous les aspects : intellectuels, éthiques, physiques, artistiques… ;
Apprendre à vivre en société.
Mais, est-ce vraiment ce qui est recherché, valorisé par les décideurs politiques, tous les personnels scolaires et tous les parents ?
Il faut prendre acte du fait que, depuis 25 ans, la conception même de l’école, longtemps considérée comme le creuset de la culture d’une société, s’est transformée. L’éducation est devenue une marchandise, les beaux idéaux de la Révolution tranquille ne sont plus partagés par toute la population, au premier titre par les parents. Les mots instruction, autorité, discipline ne sont plus à la mode… Un grand nombre d’élèves et de parents et le ministère de l’Éducation visent autre chose : la réussite de leur enfant, c’est-à-dire l’obtention d’un diplôme, quelle qu’en soit la valeur.
En outre, depuis au moins 25 ans, on a diplômé des élèves et des étudiants incultes, souvent des analphabètes fonctionnels, en se basant sur leur réussite à des examens passoires, dont ceux de français au secondaire comme au collégial. Par ailleurs, le temps imparti à l’évaluation augmente sans cesse au détriment de celui consacré à l’enseignement et aux apprentissages. L’obsession de la Coalition avenir Québec est d’arriver à égaliser les taux de diplomation de l’Ontario : beau projet de société !
On ne changera pas la situation par un coup de baguette magique ni avec des cataplasmes. Il faut un solide plan d’action à court terme, mais surtout à moyen et à long terme pour redresser la barre. Ce ne sont pas les mesures à la carte du ministre Drainville, dont son certificat de 30 crédits ou son Institut d’excellence, qui vont faire de l’éducation scolaire une priorité nationale et l’outil privilégié de l’émancipation individuelle et collective.
De grâce, cessons d’attendre que le gouvernement, auteur du désastre, règle les problèmes. C’est la responsabilité des organisations de la société civile et des citoyens et citoyennes qui ont à coeur ces valeurs de se mobiliser et de se mettre debout pour l’école !
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Source : Lire l'article complet par Le Devoir
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