Le glanage, vous connaissez ? Cette très ancienne façon de vider les champs connaît une deuxième vie moderne. Des milliers de bénévoles sillonnent les campagnes québécoises pour lutter contre la faim, le gaspillage et, un tant soit peu, la pénurie de main-d’oeuvre agricole.
Entre deux rangs d’aubergines bien mûres, Éloïse Chamberland s’active pour récolter les innombrables légumes d’un domaine de la Mauricie. « C’est juteux », lance-t-elle en compagnie d’une douzaine d’autres cueilleurs. Ils participent à une séance de glanage organisée par Maski Récolte, un regroupement communautaire, et vident gratuitement le champ d’un agriculteur du coin.
En fait, pas tout à fait gratuitement. Les bénévoles peuvent garder pour eux un tiers du total amassé ; le deuxième tiers revient au cultivateur lui-même ; le dernier tiers prend le chemin des banques alimentaires. Une recette gagnant-gagnant-gagnant, au dire de tous les participants.
« C’est gratifiant », témoigne Marie-France Gagnon, une cueilleuse qui a récolté un peu moins d’aubergines. « Ça pourrait créer des liens sociaux plus riches. Si chacun d’entre nous avait dans ses devoirs de citoyen de donner un peu de temps par année, la pénurie de main-d’oeuvre n’existerait pas dans les champs. Ou en tout cas, on aiderait à pallier la pénurie. »
« C’est quoi, quatre heures dans un été ? » souligne-t-elle.
Une façon de faire immémoriale
Le glanage n’est pas un concept nouveau : on le pratique depuis des temps immémoriaux dans les champs de céréales en Europe. On l’a même érigé en droit formel en France en 1554 pour maintenir la paix sociale. La population plus pauvre pouvait alors, sans avertir l’agriculteur, ramasser ce qui restait dans les fonds des rangs. Mais seulement une fois que l’agriculteur avait lui-même moissonné.
Au Québec, des initiatives de glanage essaiment un peu partout. Chaque été voit son nombre d’agriculteurs et de bénévoles participants grossir. La pénurie de main-d’oeuvre, d’un côté, et l’importante hausse des prix en épicerie, de l’autre, ne sont pas étrangères à ce fructueux mariage entre producteurs et consommateurs.
La plupart du temps, les glaneurs passent après les employés. Mais le champ est parfois parfaitement plein. En Outaouais, par exemple, le glanage intéresse une nouvelle génération de producteurs attirée par une vision communautaire de leur exploitation, relate François Pays, coordonnateur de la Table régionale de concertation sur la faim et le développement social.
« Pour les petites exploitations, ça peut être intéressant. Pour cueillir à grande échelle, ça prend soit de la mécanisation, soit de la main-d’oeuvre immigrée, mais ce n’est pas accessible à tous les types d’exploitation. »
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Cela donne un coup de main quand « tout arrive en même temps », observe Karine Routhier, du collectif Les Butineurs, implanté depuis 2020 au Lac-Saint-Jean. « Les gros producteurs ne nous appellent pas, mais les petits ou les moyens nous appellent. J’en ai maintenant à peu près une vingtaine. Juste ce matin, on a sorti 150 livres de haricots en deux heures. [L’entreprise compte] juste deux employés. Ils n’auraient jamais été capables de tout faire. […] On a déjà été 25 dans le champ de carottes. On a sorti près de 2000 livres dans le champ en quelques heures. »
Contre la faim et le gaspillage
Récolter les surplus pour lutter contre le gaspillage a débuté au Québec il y a quelques années autour de quelques kilos de fruits tirés d’arbres montréalais. Aujourd’hui, ce sont des centaines de tonnes de produits frais qui sont cueillies par des milliers de bras bénévoles aux quatre coins du terroir.
Dans la seule région de la Mauricie, plus de 700 bénévoles offrent leur service pour glaner les récoltes, plus que les champs ne peuvent fournir. Les appels au glanage surviennent très rapidement durant l’été et l’automne, quand le producteur est débordé ou qu’une grosse pluie menace de ruiner une récolte. « On a créé une liste de volontaires à la fin du printemps. On s’inscrit et on attend une confirmation. Nous, on envoie un courriel 24 ou 48 heures avant de venir cueillir », explique Jescika Lavergne, coordonnatrice du projet Cultive le partage.
Parmi la douzaine de glaneurs regroupés dans ce petit champ de Mauricie, on trouve des retraités qui viennent par plaisir, d’autres sans grands moyens qui viennent chercher à manger ou encore des travailleurs qui souhaitent simplement « éviter le gaspillage ».
Anne de Grandpré, qui en est à sa deuxième année de glanage à Louiseville, occupe ainsi son été de retraite par des séances de cueillettes en plein soleil. « Ça permet de faire des découvertes de cultures, de producteurs. Il faut aimer cueillir quand même. Après, pour nous, c’est du bonbon », dit-elle, le sourire aux lèvres et le coffre de sa voiture rempli de légumes frais.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.
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Source : Lire l'article complet par Le Devoir
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