À la recherche d’informations ou de nouveaux modèles, comment être parent dans un monde aussi étourdissant que le nôtre ? Cet été, Le Devoir plonge dans diverses façons de vivre (ou non) la parentalité. Aujourd’hui : être beau-parent dans un monde où la famille recomposée est encore peu visible.
« Ingrat » est le mot qui revient le plus souvent, surtout dans la bouche des belles-mères. Les beaux-parents font les lunchs, guérissent les bobos, réparent les jouets — et parfois les pots cassés de l’ex-ménage. Mais personne ne les a jamais félicités d’être devenus parents.
Et on s’attend encore moins à les entendre considérer les enfants de leur conjoint comme les leurs. La place et l’articulation du rôle des beaux-parents ne sont pas toujours aisées, à l’heure où les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses.
C’est du moins ce que vit régulièrement Bianca Tessier. « Si je dis que je suis parent de deux, et que je précise ensuite “belle-mère” [d’un troisième], j’ai toujours des réactions », relate-t-elle. Son beau-fils est pourtant « vraiment comme un fils » pour elle.
« Si je dis que j’ai cinq enfants, les gens ne comprennent pas », rapporte aussi Jessica Desbiens. On lui dit que ce sont juste des beaux-enfants : « Ils ne sont peut-être pas tous sortis de mon corps, mais j’en prends soin ! » Elle en a en fait « accouché » trois, mais s’occupe d’une ribambelle âgée de 4 à 14 ans en garde partagée.
« Tu n’as pas à demander de la reconnaissance, ce ne sont pas tes enfants », a aussi souvent entendu Valérie Roberts. Devant ce constat, elle a écrit le livre La blonde de papa et institué la Journée nationale des beaux-parents, célébrée pour la première fois en 2021. « Je ne pouvais pas donner mon coeur, mon être à deux personnes et ne pas demander un minimum de respect… et un bec sur la joue de temps en temps », raconte-t-elle en entrevue.
Depuis la publication de son livre en 2020, elle est devenue mère à son tour, un troisième enfant dans cette union recomposée avec le chef Martin Juneau. « J’ose espérer que c’est rendu normal de dire que j’ai trois filles dans ma vie », souffle-t-elle.
Plusieurs belles-mères se réclament donc d’emblée de ce rôle parental, mais beaucoup admettent douter souvent des limites de l’affection physique, des câlins, des bisous, et de celle verbalisée. « Si les filles me disent “je t’aime”, est-ce que ça va blesser leur mère ? » illustre Mme Roberts.
« Il y a quelques mois, la plus vieille [des belles-filles] était ici. Elle m’a présenté comme son beau-père et ça m’a rendu super heureux. Je ne voulais pas pousser l’affaire, mais ça m’a fait un moment de bonheur », raconte Judes Dickey, lui-même papa biologique de deux garçons. Avec sa conjointe, Julia Metzger, ils jonglent avec les tours de garde de quatre ados âgés de 13 à 17 ans.
Francophone de la Nouvelle-Écosse, il rage contre l’inexistence d’un mot pour désigner le coparent. Il n’y a en effet pas d’équivalent en français du mot anglais stepparent, beau-parent désignant en même temps le père et la mère du conjoint ou de la conjointe.
Visibilité limitée
Comme quoi même le vocabulaire tarde à se développer, remarque M. Dickey. Il souligne beaucoup moins « l’ingratitude » du rôle, mais il est très conscient « qu’il y a moins d’attentes envers les beaux-pères ».
Les hommes ont tendance « à vouloir installer une relation d’amitié et moins d’autorité, pour pouvoir facilement entrer en conversation », dit-il.
« Le rôle de la belle-mère est bien plus stigmatisé, et c’est une charge de responsabilité plus souvent », dit Bianca Tessier. Tant dans les contes traditionnels — qui ne se souvient pas de la marâtre de Cendrillon — que dans les productions télévisuelles plus récentes, les stéréotypes abondent.
Les belles-mères se battent donc avec une certaine dualité entre « la méchante belle-mère » et les attentes « d’être aussi bonne que la mère, aussi aimante d’un amour inconditionnel », remarque Caroline Robitaille.
Professionnelle de recherche à l’Université Laval, elle coordonne actuellement l’Enquête longitudinale auprès des parents séparés et recomposés du Québec, un exercice d’une grande ampleur. « C’est bien documenté dans les recherches que le rôle de beau-parent est peu normé socialement et sur le plan juridique », ajoute-t-elle.
Elle pointe aussi vers les travaux de Julie Gosselin, professeure à l’Université du Québec en Outaouais, qui n’hésite pas à parler des hauts niveaux de stress vécu par ces femmes.
Le rôle est encore mal défini, souvent mouvant et trop sous-entendu pour qui n’a pas une véritable discussion avec son nouveau partenaire, note Jessica Desbiens.
D’autre part, les beaux-parents ont fait peu de bruit dans l’espace public jusqu’à maintenant. « Les beaux-parents ont souvent l’impression qu’ils n’existent pas », poursuit Mme Robitaille.
Même dans les données officielles, les beaux-parents ont tendance à être sous-estimés, explique-t-elle. Statistique Canada, lors du recensement, tente de faire « une photo, un instantané » à une date précise. La question est donc de savoir où les enfants vivaient ce jour-là spécifiquement. « Si je suis séparée, avec des enfants en garde partagée qui se trouvent chez leur père, je dois déclarer que je vis seule, même si je vis en famille recomposée. Je ne serai donc pas comptée », précise la professionnelle.
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Toujours est-il qu’on estime au Québec qu’environ 16 % des couples résidant avec un jeune de moins de 25 ans forment une famille recomposée. Plusieurs adultes qui ont connu une séparation et qui se remettent en couple décident de ne pas nécessairement cohabiter, dissociant leur vie familiale de leur vie amoureuse en quelque sorte.
La première collecte de données de l’enquête montre que 43 % des quelque 1500 parents séparés qui ont répondu se sont remis en couple dans les deux ans après la séparation. Ce n’est évidemment pas tout le monde qui veut s’impliquer dans la vie des jeunes, « mais quand même 1 sur 3 qui dit vouloir être plus impliqué auprès des enfants de leur partenaire », note-t-elle.
Résistance institutionnelle
Les freins à l’implication peuvent être multiples. Bianca Tessier, elle, s’est carrément heurtée aux limites de son « titre » en tentant d’obtenir des services dans le système public. Elle s’est présentée dans un CLSC pour obtenir un soutien psychologique, mais en tant que belle-mère, impossible de recevoir un suivi par un travailleur social.
« Ils ont fini par ouvrir un dossier pour l’enfant, avec mon conjoint qui a donné son consentement », ce qui n’était pas aisé, puisqu’il travaillait à l’époque pour les Forces armées canadiennes, et donc souvent absent. Le travailleur social qui suit la famille actuellement « est très inclusif », assure-t-elle, mais « c’est totalement à sa discrétion », dit-elle, avec la peur de se faire éjecter.
Pour des actes médicaux comme la vaccination, il est possible de remplir un formulaire de consentement. Même cas de figure pour les écoles ou les services de garde, les camps de jour ou tout autre service donné à l’enfant. « Même si on ne prend pas de décision officielle, on est dans le processus décisionnel. Je nous vois comme des coparents, mon conjoint et moi », poursuit Mme Tessier.
Par défaut, « on n’existe donc pas dans les formulaires », constate-t-elle.
Cet aspect est sans conteste une question émergente, reconnaît Caroline Robitaille. Un autre volet des recherches auxquelles elle participe, en collaboration avec le ministère de la Justice, concerne d’ailleurs la reconnaissance dans les institutions et le rapport aux lois touchant la famille.
Être parent est pourtant « toujours un travail d’équipe », dit Jessica Desbiens. Mais plus il y a de membres qui s’ajoutent à cette équipe, plus une saine communication est nécessaire. Elle se décrit elle-même comme une enfant de famille recomposée. « Je ne me sens pas perdue dans ma coparentalité, parce que justement, je l’ai vécue », conclut-elle.
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