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Areva, le Niger et l’affaire de l’« Uraniumgate »
Jeune Afrique reconstitue l’opération de ventes et d’achats d’uranium qui a valu à Areva l’ouverture d’une enquête du Parquet national financier français.
On le dit plus influent que le Premier ministre, Brigi Rafini, dont il a été le ministre de l’Intérieur et de la Défense avant d’occuper son poste actuel, aux Finances. Pourtant, depuis quelques semaines, Hassoumi Massaoudou vacille, alors qu’une partie de la presse nigérienne l’accuse d’avoir détourné des sommes d’argent issues d’une transaction d’uranium en 2011.
Une commission d’enquête parlementaire a été constituée et a débuté ses investigations. Le ministre devait y être entendu mardi 28 mars, tandis que les plus virulents de ses adversaires ont réclamé sa démission. L’homme conserve le soutien du président, Mahamadou Issoufou, et celui de son successeur à l’Intérieur, Mohamed Bazoum, le second personnage incontournable de la majorité présidentielle. Mais l’« Uraniumgate » – comme l’ont baptisé les journalistes nigériens – l’a bel et bien rattrapé.
En quelques jours, le groupe français va perdre pas moins de 101 millions de dollars
Au centre de l’histoire, que Jeune Afrique est en mesure de reconstituer grâce à des documents inédits, quatre ventes suspectes d’un même stock d’uranium, à quelques jours d’intervalle en novembre 2011, impliquant la Société du patrimoine des mines du Niger (Sopamin), Optima Energy, filiale libanaise d’un groupe basé en Suisse, Energo Alyans, une société russe fantôme, et Areva, le géant du nucléaire français, présent au Niger à travers la Société des mines de l’Aïr (Somaïr), Imouraren SA et la Compagnie minière d’Akouta (Cominak).
À cette période, le groupe français sait déjà que les prochaines années seront houleuses. Le scandale Uramin, qui lui fera perdre plusieurs milliards d’euros, est sur le point d’éclater. Et, quelques mois plus tôt, en mars, l’accident de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima a fait dégringoler les cours du précieux minerai.
Pourtant, dans la semaine du 21 novembre, il se lance dans une gigantesque opération de trading portant sur quelque 5,5 millions de livres d’uranium U308, soit plus de la moitié de la production annuelle du Niger. À la clé : une perte nette de plus de 100 millions de dollars.
La société russe fait monter le prix
Comment en est-on arrivé là ? Le stock est d’abord vendu par Areva UG (sa branche minière) à une société russe, Energo Alyans, pour 220 millions de dollars, soit 40 dollars la livre, 13 de moins que son prix moyen sur les marchés durant cette période. Energo Alyans revend ensuite la marchandise pour 302,2 millions de dollars, le 24 novembre, à Optima Energy, filiale libanaise d’une société suisse dont le conseil d’administration est présidé par Jean-Claude Meyer.
En quelques jours, la livre d’U308 vendue par Areva est donc passée de 40 à 54,95 dollars. Energo Alyans empoche une plus-value de 82 millions de dollars.
Rééxpédié au Niger
Arrive la troisième opération, pour laquelle Niamey est sollicité. Le 25 novembre, Optima revend sa cargaison à la Sopamin, pour 319,8 millions de dollars, soit plus de 58 dollars la livre, alors qu’elle n’est cotée que 53 dollars ce jour-là. En vingt-quatre heures, Optima réalise sur le papier un bénéfice de 17,6 millions de dollars. Sitôt l’U308 aux mains de la société nigérienne, Areva UG le lui rachète 320,65 millions de dollars. La Sopamin empoche 850 000 dollars, tandis que la filiale du groupe nucléaire français enregistre, au final, une perte de 101 millions de dollars.
Il voulait juste utiliser le nom de la Sopamin. Il m’a dit que le Niger gagnerait de l’argent
Selon un rapport interne, le manque à gagner « devait être compensé » par un « produit d’exploitation » positif chez Areva NP, une autre branche de la multinationale, spécialisée dans la construction et la commercialisation de réacteurs, et dirigée en 2011 par Philippe Knoche, aujourd’hui directeur général d’Areva. Au Niger, l’opération a été validée par Hassoumi Massaoudou.
L’intermédiaire de Sopamin
Pourtant, en novembre 2011, le ministre de Finances n’a officiellement aucun lien avec la Sopamin. Il vient de diriger la campagne présidentielle de Mahamadou Issoufou, dont il est devenu le directeur de cabinet à la présidence, avec rang de ministre. Néanmoins, c’est bien lui qui signe la transaction entre la Sopamin et Optima Energy et qui paraphe l’ordre de virement de 319 millions de dollars, effectué via BNP Paribas vers Emirates NBD, une banque de Dubaï.
Hassoumi Massaoudou intervient auprès de la Sopamin pour autoriser la transaction après avoir reçu un coup de téléphone de la part de Sébastien de Montessus. Aujourd’hui PDG d’Endeavour (du milliardaire égyptien Naguib Sawiris), ce dernier est à l’époque membre du directoire d’Areva et directeur de la filiale Business Group Mines. Lui-même aurait agi au profit d’Areva NP, qui aurait eu besoin d’un stock d’uranium dans le cadre d’un contrat.
« Il voulait juste utiliser le nom de la Sopamin. Il m’a dit que le Niger gagnerait de l’argent dans l’opération », confie le ministre. Il prend alors des dispositions auprès du directeur de la Sopamin, Hamma Amadou (à ne pas confondre avec l’opposant Hama Amadou). Officiellement, la culbute réalisée par la société nigérienne a été reversée à l’État.
Sept jours avant l’opération entre le Niger et Optima, Areva a donc tous les éléments du circuit en main
En tant que « banque de l’uranium » (le trading de combustible nucléaire étant particulièrement sensible, seules quelques sociétés dans le monde ont un agrément), Areva suit les opérations avec une attention particulière, notamment via Jean-Michel Guilheux, son vice-président à la division Uranium Sourcing and Supply Contracts. Celui-ci confirme, dans deux lettres adressées à Jean-Claude Meyer, le patron d’Optima Energy, les transferts de « la propriété des 5,5 millions de livres d’U308 » d’Energo Alyans à la société libanaise, le 24 novembre 2011, puis de celle-ci à la Sopamin, le lendemain.
Jean-Michel Guilheux se porte même garant du transfert des 319 millions de dollars de la Sopamin vers Optima Energy dès le 17 novembre, comme l’atteste un courrier adressé à la banque dubaïote Emirates NBD : « Le transfert de matériau à destination de et depuis Optima Energy est géré par UG MbH [filiale d’Areva à Francfort, en Allemagne, spécialisée dans le négoce d’uranium] », indique le document. Sept jours avant l’opération entre le Niger et Meyer, Areva a donc tous les éléments du circuit en main. Selon un autre document, le montage aurait même été précisément discuté dès juillet de la même année.
Le Niger déjà en surproduction à l’époque
« La Sopamin n’avait aucun intérêt à acheter de l’uranium à une société étrangère », estime un spécialiste de l’industrie extractive au Niger. Car, en 2011, elle ne parvenait déjà pas à écouler son propre stock, extrait de son sol, et a dû, d’ailleurs, recourir aux services d’Areva pour en commercialiser 556 tonnes (environ 1,2 million de livres). Une opération qui apparaît dans le bilan financier du groupe français. Pour Hassoumi Massaoudou, cette opération n’avait en fait « aucune matérialité. La Sopamin n’a ni acheté ni vendu d’uranium. Areva avait juste besoin de son nom. » Pour le ministre des Finances, « aucun dollar n’est sorti du pays » puisque la revente est intervenue dès le lendemain.
Pour le ministre des Finances, « aucun dollar n’est sorti du pays »
En dehors de la Sopamin, le profil des autres sociétés intermédiaires pose question : aucune n’est précisément un spécialiste du secteur uranifère, même si, pour pouvoir intervenir sur ce marché, elles ont dû obtenir un agrément. Optima Energy, qui a certes travaillé avec Areva au Nigeria dans le cadre de la précommercialisation d’une centrale, est davantage active dans le domaine du pétrole, tandis qu’Energo Alyans est inconnue des traders que JA a pu solliciter.
Pis : selon une source au cœur du dossier, elle aurait totalement disparu peu de temps après les faits. Pour cette même personne, spécialisée dans l’intelligence économique, le schéma mis en place par Areva serait en fait « assez classique dans les montages frauduleux ».
La justice française sur le coup depuis 2015
À nos questions, Areva n’a pas souhaité répondre, mais précise que ces transactions font l’objet d’une enquête préliminaire et que la société se tient « à disposition de la justice française ». Quant à Optima Energy, elle assure que l’opération n’aurait pas abouti et qu’elle n’a en réalité enregistré aucune plus-value. « Les fonds reçus ont été intégralement renvoyés », indique la société.
La justice française a lancé des investigations dès 2015, via le Parquet national financier et la brigade financière de Paris, en parallèle de son enquête sur le scandale Uramin. Conduites pendant un temps par la procureure Ariane Amson, devenue en 2016 conseillère justice du président français, François Hollande, elles sont toujours en cours.
L’enquête se concentre actuellement sur la partie russe de l’affaire, et sur des soupçons de commissions et de rétrocommissions que ce montage pourrait avoir cherché à dissimuler en partie. Si les bénéficiaires ne sont pas encore clairement identifiés, le montant total est estimé à 120 millions de dollars environ, dont les 101 millions issus de l’Uraniumgate. De Paris à Niamey, l’affaire n’a pas fini de faire parler, et pourrait même trouver un écho outre-Atlantique : le FBI devrait être interpellé prochainement par des actionnaires américains qui s’estiment floués.
Source : Jeune Afrique
Le milliard perdu d’Areva au Niger
INFO JDD – Après l’affaire Uramin, la justice enquête sur le gisement d’Imouraren.
Le gisement d’Imouraren est situé au Niger. © Reuters
Une nouvelle tuile en perspective pour Areva. Selon nos informations, la brigade financière a reçu, mi-mai, une étude sur Imouraren, un potentiel gisement d’uranium au Niger, qui remet en question la valorisation du site retenue dans les comptes 2016 du groupe nucléaire. Des auditions ont déjà eu lieu et ce dossier spécifique pourrait déboucher sur l’ouverture d’une enquête préliminaire, à côté des deux instructions judiciaires déjà lancées sur les comptes d’Areva et le rachat d’Uramin.
Début 2009, Areva obtient du gouvernement nigérien le permis d’exploitation d’Imouraren. Le groupe parle alors d’un « gisement de classe mondiale » avec quelque 275.000 tonnes de minerais en terre et un niveau de production potentiel de 5.000 tonnes d’uranium par an pendant trente-cinq ans. Dans la foulée, Areva va dépenser environ 900 millions d’euros pour mettre en exploitation le gisement. Un chiffre qu’Areva refuse de commenter. Le JDD dévoile les détails de cette opération et les risques judiciaires qui pèsent sur le géant français.
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Source : le JDD
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