Elle s’est posée dans les pages du Devoir à une époque où un virus a fait vaciller le monde, où le climat se dérègle, où la violence étend son emprise et où l’anxiété règne sur le quotidien. La chroniqueuse Nathalie Plaat a eu pour mission de « faire du bien aux gens », qui ont cruellement besoin de réconfort.
Par une amère ironie, cette « courriériste du coeur » d’un genre inédit affrontait un double séisme lorsqu’elle a atterri au Devoir, en 2021 : elle luttait contre un cancer en pleine pandémie. Deux ans plus tard, la psychologue clinicienne, autrice et enseignante à l’Université de Sherbrooke a recouvré la santé, la pandémie s’est estompée, mais le monde va encore mal.
Les Québécois aussi sont souffrants, constate Nathalie Plaat. On vit une époque propice aux tourments, c’est le moins qu’on puisse dire. La crise du coût de la vie, la pénurie de logements, les changements climatiques, la polarisation et la violence pèsent lourd sur le moral de tout le monde.
« C’est normal de souffrir en ce moment. Qui est le plus fou : celui qui ne souffre pas dans cette société-là ou celui qui souffre ? » lance en entrevue l’autrice de Chroniques d’une main tendue. Courtepointes et autres récits de soi, publié aux éditions Somme toute/Le Devoir.
Ce recueil met en lumière l’humanisme de Nathalie Plaat, qui s’est prise d’affection pour les lecteurs du Devoir, appelés à lui confier leurs joies et leurs peines. Les lecteurs, eux, s’abreuvent des mots vrais et pleins d’empathie de la chroniqueuse — qui est allergique aux prétendues recettes visant à améliorer la « santé mentale », une expression qu’elle estime galvaudée.
Vous ne lirez pas ici « cinq façons de gérer votre anxiété » ou « dix trucs pour favoriser la réussite scolaire de vos enfants ». L’enseignante fait aussi une mise en garde contre la course aux diagnostics et à la médication, « comme si les symptômes psychologiques se réduisaient à un vaste “manque d’expertise à traverser la vie” ».
Souffrir et guérir
La psychologue propose au contraire de « réhabiliter le tragique ». Une de ses chroniques a même pour titre : « Vous avez raison d’avoir peur ».
Nathalie Plaat ne cherche pas pour autant à faire peur au monde. Elle invite les lecteurs à plonger en eux-mêmes pour qu’ils découvrent la source de leurs angoisses, de leur malaise, de leur paralysie. Elle invite les lecteurs à se connaître, à devenir une version vraie d’eux-mêmes. À devenir libres (ce qui s’accompagne d’une grande responsabilité).
« Je ne veux pas être la psy qui te dit : “Voici la bonne manière de vivre.” Je ne connais pas d’autres façons de prendre soin des gens que de leur demander de se raconter. J’aime générer chez l’autre un élan à mettre sa propre pensée en marche », dit la thérapeute de 43 ans née de parents d’origine française, qui s’exprime avec un accent tout à fait québécois.
Petites délinquances
Nathalie Plaat invite les humains à « défier les normes », qui peuvent devenir étouffantes. Elle raconte dans une de ses chroniques qu’elle fait parfois courir son chien sans laisse — ce qui lui a valu des reproches bien légitimes, dit-elle en assumant son choix.
Elle écorche aussi les règles rigides de la rentrée scolaire — huit Duo-Tang verts, trois cartables bleus d’un pouce et demi d’épaisseur, les collations hors de la boîte à lunch —, qui relèvent parfois de « la névrose obsessionnelle devenue normative », malgré tout le respect qu’elle voue aux enseignants.
On pense au concept de « good enough parent » tiré des recherches de Donald Winnicott, un des maîtres à penser de Nathalie Plaat. Pères et mères se mettent une pression terrible pour correspondre à l’image du parent parfait, mais il leur suffirait sans doute d’être « juste corrects ».
« Tout à coup que c’est la norme qui est folle ? Ça devient intéressant d’être un peu punk », dit la thérapeute en souriant.
La famille, avec ses liens parfois tordus et ses blessures profondes, peut aussi devenir un carcan dont il faut apprendre à se libérer. Nathalie Plaat cherche encore, après vingt ans de pratique, « une famille “normale” telle qu’elle semble érigée dans les idéaux de tant de gens ».
« À boutte »
Les Québécois sont « à boutte », pour reprendre une expression de l’autrice et professeure de philosophie Véronique Grenier, à cause notamment de la « dictature du bonheur et de la performance », souligne Nathalie Plaat. Les parents sont sommés d’être à la hauteur du « potentiel » de leurs enfants. Les élèves eux-mêmes doivent « réussir » à l’école.
Durant les Trente Glorieuses d’après-guerre, marquées par une croissance économique phénoménale, il est devenu ringard d’être déprimé. La honte et la culpabilité peuvent même contribuer à la détresse des « privilégiés », en cette époque d’inégalités grandissantes.
« On s’est fait dire : “Tu as tout pour être heureux, tu as juste à accumuler de la richesse. Tu n’as pas d’affaire à aller mal” », rappelle Nathalie Plaat.
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La souffrance, les difficultés, la maladie et la mort font pourtant partie de toute existence, même dans les sociétés prospères, répète la psychologue. « J’aime ça, la tragédie. Je trouve ça vivant, je trouve ça beau, ça me touche beaucoup plus que les réussites toutes lisses. »
« Faut se parler »
Si les tragédies sont une occasion d’amener des transformations sociales, on vit dans une époque bénie : la guerre, la pauvreté, la crise du logement, la montée du populisme, les feux de forêt et les inondations donnent amplement matière à des changements. Nathalie Plaat reste optimiste, malgré les sombres nouvelles qui tapissent les journaux.
« On assiste presque à une révolution du coeur dans plusieurs domaines. Les jeunes constatent que ça ne fonctionne pas, ce système-là. Quand les gens souffrent et disent qu’il faut s’en occuper, tous les espoirs sont permis », dit-elle.
« Les crises auxquelles on va faire face vont nécessiter qu’on soit empathique. Il faut qu’on se parle. On n’arrivera pas à se convaincre, mais on peut rester curieux, s’écouter et essayer de se comprendre, même si on n’est pas du tout d’accord. »
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