M. Drainville, vous me demandez de l’aide. Moi, cette semaine, j’ai démissionné.
Oui, dans cette situation catastrophique que vit le Québec, après 15 ans d’enseignement, j’ai démissionné d’un travail que j’adorais. J’ai quitté des élèves en or malgré les beaux défis qu’ils m’offraient, des collègues devenus amis consternés devant mon départ, des projets que je souhaitais poursuivre, ma classe pleine de matériel que j’ai bâti avec les années.
Je n’ai pas quitté mon emploi pour une autre occasion. Je devrai me retrousser les manches et me mettre en recherche d’emploi. Je l’ai quitté parce que je suis mère de trois enfants et que la composition de ma tâche ne m’aurait pas permis d’être présente pour eux les soirs et les fins de semaine : 21,5 périodes d’enseignement dans quatre écoles sur 70 km de territoire (antérieurement cinq écoles sur 135 km) ; groupes à cycles multiples (ex. : préscolaire, deuxième et troisième années dans la même classe).
Pourquoi cette tâche est-elle problématique ? Parce que quatre écoles, ça signifie quatre projets éducatifs à s’approprier, quatre plans de lutte contre l’intimidation et la violence, plusieurs façons différentes de fonctionner avec les multiples directions, quatre fois plus de procès-verbaux à lire parce qu’on ne peut pas assister à toutes les réunions, quatre fois plus de courriels des directions et des équipes-écoles, quatre fois plus de groupes scolaires par messagerie qui font sonner mon téléphone sans arrêt. J’en passe.
Les groupes à cycles multiples ? J’adore, mais ça demande beaucoup de préparation. Adapter une activité de premier cycle pour la rendre accessible au préscolaire et en faire une version avec un volet écriture pour les élèves de troisième année. Refaire constamment les planifications de cours parce qu’elles ne sont pas réutilisables d’une école à l’autre, la composition des groupes étant différente. Coordonner deux situations d’évaluation en même temps en courant d’un local à l’autre. Créer du matériel sans arrêt parce qu’il n’existe pas beaucoup d’activités clés en main pour plus de deux niveaux à la fois.
Oui, c’est beaucoup de travail. Beaucoup de travail, mais avec moins de temps pour le faire : 21,5 périodes d’enseignement par semaine, ça laisse très peu d’heures de travail personnel par jour (planification, correction, photocopies, suivi d’élèves, rencontres, comités). En considérant les déplacements, ce temps est presque réduit à néant et crée un surplus de travail à la maison. Les heures sont placées dans l’horaire et le calcul mathématique semble fonctionner, mais la réalité est tout autre.
J’avais l’habitude de demander une petite réduction de tâche (trois périodes) pour enseigner dans trois écoles au lieu de quatre. Ça me permettait de concilier travail et famille, de faire un meilleur suivi des élèves et de m’impliquer dans les milieux. On m’a dit qu’à cause de la pénurie de main-d’oeuvre, ce n’était plus possible. Jusqu’à la dernière minute, j’ai souhaité un changement. Cet été, j’ai acheté un chandail avec un robot dans une friperie en me disant qu’il ferait rire mes élèves lorsque je le porterais pour notre projet sur ce thème. Il restera finalement dans les tiroirs parce que pour moi, M. Drainville, une tâche comme celle-là, ce n’était pas possible non plus.
Vous me demandez de l’aide, voici quelques conseils :
Prenez soin de vos enseignants encore présents. Ce n’est pas pour rien que 1000 d’entre eux, non retraités, quittent par année. Je connais personnellement cinq personnes qui ont leur brevet et n’enseignent pas. Quatre d’entre elles seraient encore présentes si le système n’était pas venu à bout de leur motivation.
Acceptez les réductions de tâches chez les enseignants permanents qui le demandent. Ça évite beaucoup de départs en maladie. Ça fait des gens investis et heureux, capables d’offrir un bon service à l’élève. Mais ne devrions-nous pas tous pouvoir l’être sans réduction salariale ?
Révisez les balises de composition des tâches. Soyez à l’écoute lors des négociations. On ne fait pas de caprices. On veut sauver l’éducation.
Qui me remplacera ? Probablement une enseignante nouvellement diplômée et motivée, heureuse d’obtenir une tâche à temps plein. Ou peut-être pas. Si oui, je lui souhaite sincèrement la meilleure des expériences. Mais commence-t-elle sa carrière dans des conditions qui lui permettront de s’épanouir professionnellement et de ne pas se questionner d’ici cinq ans ? J’en doute. Ah, oui… un dernier conseil avant que l’on se quitte.
Écoutez les experts en éducation. Égide Royer m’a enseigné plusieurs cours au deuxième cycle. Lorsqu’il dit que les nouveaux enseignants ne doivent pas commencer leur carrière dans les contextes les plus complexes, il sait de quoi il parle. Ne répétez pas mon histoire et faites en sorte de garder vos enseignants qui choisissent ces situations par passion.
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Source : Lire l'article complet par Le Devoir
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