La constitution initiale

La constitution initiale

La constitution initiale

Réponse à certains arguments de la chronique « l’urgence d’une vraie constitution » de Marc Labelle publiée dans Vigile le 2023-08-11.

Marc Labelle (je vais l’appeler Marc) suggère que le PQ abandonne la voie « suicidaire » du tout ou rien du référendum et s’engage plutôt dans l’élaboration et l’approbation d’une « constitution initiale », qu’il présente dans les termes suivants :

« L’Assemblée nationale du Québec, après une consultation populaire, doit établir dans cette constitution tous les pouvoirs qu’elle juge nécessaires à la survie du peuple québécois.  Quel contenu ?  On s’inspirera de l’étude de l’IRAI de 2022 (citée dans mon article précédent, « La Constitution du Québec : une idée-force »), qui indique les champs de compétence qui devraient relever exclusivement du Québec, spécialement ceux qui reçoivent un appui majeur de la population, surtout chez les francophones.  Par exemple, l’immigration devrait relever du Québec selon un appui général de 60 %, mais de 67 % chez les francophones ».  

L’adoption de cette stratégie devrait faire progresser l’adhésion de la population à la souveraineté. Une fois cet objectif atteint, voici comment Marc voit la suite des choses :

« Le référendum n’est qu’une voie parmi d’autres, comme une élection générale portant sur ce thème ou un vote majoritaire à l’Assemblée nationale.  Ensuite, il faudra une déclaration d’indépendance suivie d’une reconnaissance de pays clés dans le monde ».

Donc, cette constitution est initiale; elle comporte un éventail de compétences nouvelles, et elle est approuvée après consultation par l’Assemblée nationale, en fait par le PQ revenu au pouvoir majoritairement (sinon comment?) Gestes d’affirmation, de rupture.

Là où je suis d’accord avec le propos de Marc, c’est dans l’utilité de gestes d’affirmation et même de rupture, s’il s’agit bien entendu d’une rupture effective. Par exemple, la loi sur la laïcité, tout incomplète soit-elle, nous a fait selon moi un grand bien. La loi 101, quant à elle, était bien un geste d’affirmation et elle est toujours indispensable.

Donc on a là la stratégie de poser des gestes d’affirmation, de transgression et même de rupture qui entraînera une nouvelle dynamique favorable à la souveraineté. Possiblement, et pourquoi pas ? Mais si l’affirmation ou la rupture est inopérante, elle pourrait avoir un résultat inverse à celui désiré.

Il y a une erreur de perspective à imaginer qu’une constitution initiale du Québec modifie la constitution du Canada qui régit présentement la répartition des pouvoir entre le fédéral et les provinces. Une telle constitution pourrait réaménager les compétences déjà reconnues au Québec. Cependant, tout ce qui dans cette constitution prétendrait outrepasser ce qui est déjà reconnu comme compétence du Québec restera sans effet juridique.

Mais y aurait-il un effet politique? Sans doute puisque la politique c’est dynamique; mais là on est dans la conjecture et l’effet pourrait être aussi bien néfaste qu’utile. Cela pourrait bien tourner au ridicule, du fait de dispositions inopérantes.

D’abord, le PQ annoncerait avant la prochaine élection qu’il renonce à la « voie référendaire » et qu’il entend, si élu, faire adopter, après consultation, une constitution initiale du Québec.

En pratique, sitôt que le PQ entreprendrait le début d’un tel chantier, l’objectif véritable serait évident pour tout le monde. Tous les acteurs politiques intéressés sauraient d’avance que les nouvelles compétences que cette constitution prétendrait donner à l’État québécois seraient inopérantes. Et que le véritable but de cet exercice est la promotion de la souveraineté et du PQ à travers la confrontation ainsi générée. Et on veut que des élus du peuple se prêtent à cette initiative, en fait, qu’ils fassent un théâtre, qu’ils jouent à la souveraineté. Comment des élus du peuple peuvent-ils participer à un tel exercice?

En effet, l’approuvant, les élus savent d’avance que cette constitution initiale n’enlève rien au contrôle qu’exerce le fédéral, à travers ses propres compétences, sur le Québec. Et il s’agit encore moins de remplacer la constitution fédérale comme l’annonce malheureusement le titre de la chronique de Marc.

En ce qui concerne le Québec, la constitution fédérale sera remplacée s’il y a lieu le jour où le Québec accédera à sa souveraineté, pas avant. En attendant la constitution fédérale pourrait être amendée, ce qui n’est pas la même chose. Mais depuis Meech et Charlottetown, on sait ce qu’il faut en penser si on veut de nouvelles compétences. Le fédéral concédera quelque chose de significatif s’il a le couteau sur la gorge. Le constitutionnaliste fatigué Léon Dion nous l’a dit.

En attendant, le Québec peut réaménager les compétences qu’il a déjà. Et il peut exploiter cet espace pour confronter le fédéral, par toutes les législations sur la langue et la culture qu’il voudra. Mais faut-il une « constitution initiale » pour faire cela ? Voilà la question.

Mécanique.

Imaginons quand même que le PQ se lance dans cette démarche. Imaginons donc aussi qu’il revient au pouvoir. S’il est au pouvoir, c’est qu’une bonne partie des souverainistes logés présentement à la CAQ et à QS sont revenus au PQ. Je dirais beaucoup plus ceux de la CAQ. Si cela est le cas, la CAQ et QS seront alors beaucoup plus fédéralistes qu’ils ne le sont maintenant. Quelle est la probabilité qu’ils veuillent danser sur la musique du PQ ? alors qu’il est clair que le but de cette initiative est de faire avancer la souveraineté et en même temps le PQ. Donc, pas de consensus en vue du côté de la classe politique pour donner plus de panache à la constitution initiale. Et que le PQ soit majoritaire ou minoritaire, il aurait devant lui des partis d’opposition hargneux, qui exploiteront toutes les opportunités – qui ne manqueront pas — de ridiculiser le projet, qui chercheront un avantage mesquin, auprès de leurs clientèles politiques respectives dans le sabotage du projet. Cela vaut naturellement tout autant pour la consultation nécessaire que pour l’approbation de la loi créant cette constitution.

Si le gouvernement du PQ est majoritaire, il consulte, élabore cette constitution et l’approuve. Et le fédéral tentera de ridiculiser cet exercice qui en pratique montrerait plutôt, pour nos adversaires, que les souverainistes, abandonnant leur référendum, ont peur de poser la vraie question.

Maintenant qu’elle est adoptée, que se passe-t-il ? Le Fédéral continue de percevoir des taxes en territoire québécois, de contrôler les télécommunications, de distribuer des pensions aux ainés, de nous envoyer un chèque de péréquation mais aussi de nouveaux immigrants. Aucune nouvelle compétence affirmée dans cette constitution n’est effective. Nous avons décrété que l’immigration est dorénavant une compétence exclusive du Québec… mais le fédéral continue de donner la résidence permanente a des demandeurs qui s’installent au Québec pour raison de réunion de famille. Que faisons-nous? Nous les expulsons du Québec.

Cela fait-il monter le désir de souveraineté ? vu ce que je viens d’expliquer, ce n’est pas certain.

Quand même, supposons que l’appui à la souveraineté progresse beaucoup; on demande à l’électorat lors d’une prochaine élection, qui sera référendaire, un score de 50% pour le PQ. Sur la base de quoi, si cela se réalise, je suppose qu’on déclarera le Québec souverain. A suivre un peu plus loin.

Si par contre il est minoritaire, que fait-il ? Va-t-il dépoussiérer le référendum? Espérer convaincre suffisamment de députés de l’opposition ?… procéder à une déclaration de souveraineté sur la base d’une simple majorité parlementaire? Je suppose qu’il pourrait aussi attendre la prochaine élection.

Naturellement qu’avec la stratégie du référendum, le PQ peut tout aussi bien former un gouvernement minoritaire et ne pas pouvoir faire approuver la loi de sa question référendaire. On peut réfléchir dès maintenant si l’on veut à ce qu’il faudrait faire mais le contexte pourrait être déterminant quant au choix d’une stratégie plutôt que d’une autre.

Reconnaissance internationale

Imaginons maintenant qu’on demande à la France de reconnaître la souveraineté du Québec sur la base d’une proclamation de souveraineté par notre Assemblée nationale, même pas unanime, qui pour le faire, se serait basée sur les 50% de votes donnés au PQ lors de cette élection référendaire.  Ça commence mal.

On inviterait les partis de l’opposition à se joindre à une déclaration de souveraineté si un référendum avait donné le « oui » gagnant. Le feraient-ils, se positionnant alors du bon côté de l’histoire ? Possiblement. Mais après une élection référendaire, comment imaginer une déclaration unanime de souveraineté? Pas gagnant.  

La mobilisation pour la souveraineté dépend de nous. Mais la reconnaissance internationale, malgré tout le démarchage que nous pourrons faire, dépend en dernière analyse de la volonté de certains pays importants, en premier lieu de la France. S’il suffisait d’une déclaration d’indépendance, la Catalogne serait indépendante, le Kurdistan, ou en tout cas une partie du Kurdistan serait un État souverain. Et la réserve de Kahnawake serait un État indépendant.

On juge suicidaire le « tout ou rien » de la voie référendaire, mais que propose-t-on en échange? On l’a vu plus haut : « … une élection générale portant sur ce thème ou un vote majoritaire à l’Assemblée nationale.  Ensuite, il faudra une déclaration d’indépendance suivie d’une reconnaissance de pays clés dans le monde ».

L’idée de l’élection référendaire n’est pas nouvelle bien au contraire. Le lecteur intéressé pourra trouver quelques arguments sur le sujet sous la plume de Denis Monière sur le site suivant :

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/110138/election-referendaire-ou-referendum-pourquoi-on-ne-peut-pas-faire-naitre-un-pays-par-une-election

Cette idée était là au temps du RIN et dans les premières années du PQ. Je la retrouve il y a quelques jours dans un article récemment posté sur Vigile sous la plume de M. Pierre Allaire intitulé « un autre référendum non merci » — (lecture suggérée par Marc). Voici comment Allaire présente cette idée : « C’est notre dernière chance. Il faut qu’en 2030, un gouvernement péquiste soit en mesure de dire avec confiance à la nation: si vous nous réélisez avec plus de 50% des suffrages, la planète aura un nouveau pays! »

Maintenant quelle est la probabilité que le PQ recueille 50% du vote populaire ? On a une bonne raison de penser qu’obtenir 50% de « oui » lors d’un référendum est plus probable. Le PQ sera en compétition avec 4 autres partis. Il y aura un résidu de souverainistes qui ne voteraient pas PQ mais qui voteraient « oui ». D’ailleurs, pour donner quelque crédit aux antécédents, rappelons que le PQ avait été élu en 1994 avec 44,75% du vote (le parti libéral avait eu 44,4% et l’ADQ, 6,46%), et le « oui » a eu 49,4%. Donc alors qu’il n’y avait que deux partis concurrents du PQ, le « oui » a dépassé le vote au PQ de 4,65 points de pourcentage. J’en conclus qu’un PQ au pouvoir avec 50% du vote est bien plus improbable qu’une victoire du « oui » dans un référendum. Pourquoi d’ailleurs un PQ qui serait capable d’obtenir 50% du vote populaire dans une élection où il aurait quatre concurrents ne pourrait-il pas faire passer le « oui » à 55% dans un référendum ?

Par ailleurs, Allaire est trop confiant en présentant les 50% de suffrage au PQ comme assurant automatiquement la souveraineté au Québec. On se souviendra que l’équipe Parizeau s’était appliquée à un démarchage assidu, son « grand jeu », auprès de la France avant le dernier référendum et il avait réussi à s’assurer que la France reconnaîtrait la souveraineté du Québec. Nous pouvions alors compter sur certains leaders influents dévoués à notre cause; mais qu’en est-il aujourd’hui ? de plus, les pays francophones d’Afrique, en rupture pour la plupart avec la France, ne seront pas nécessairement enthousiastes à reconnaître un leadership de la France dans cette affaire.

A ce niveau, un référendum gagnant est bien plus gagnant pour obtenir la reconnaissance que nous demanderons. En fait je considère improbable cette reconnaissance basée sur le résultat d’une élection référendaire.

Les pays ont des façons de se parler entre eux, d’envoyer des messages, et si l’échec apparaît probable, aucun ne va s’avancer.

Quant à la loi sur la clarté, elle prétend contrôler après coup si la question est claire et si la réponse est claire. Évidemment que c’est une nuisance de plus. Mais si on pense l’esquiver en évitant la voie référendaire; en pratique c’est tout le contraire qui se passera. Vu qu’il n’y aura pas eu une question claire, le discours du Canada à ce sujet viendra alimenter de façon plus convaincante les hésitations de certains pays du fait qu’ils préféreraient devoir répondre à une demande basée sur l’affirmation claire de la part d’une majorité de québécois qu’ils veulent la souveraineté. Cette loi devient donc encore plus nuisible dans le cas d’une élection référendaire.  

Par contre, advenant un « oui » qui dépasse les 50%, l’impensable se sera produit. Quelque chose d’irréparable aura été commis. Les cartes auront été redistribuées. Et toute l’affaire deviendra alors politique et échappera aux considérations juridiques. C’est la Cour Suprême elle-même qui le dit. Un nouveau contexte aura été créé et ce qui comptera alors en réalité, ce n’est plus seulement, ou plutôt ce n’est plus tellement, ce que dira le Canada; c’est plutôt la réaction des pays souverains qui eux ignoreront cette loi et prendront leurs décisions en fonction de leurs propres critères. Si une certaine proportion des États souverains reconnaissent la souveraineté du Québec, les autres suivront. Advenant cette situation, le Canada comprendra alors qu’il aura à le faire lui aussi. Et le Fédéral pourra archiver sa loi sur la clarté.

La voie référendaire est suicidaire? Évidemment que je n’ai pas vu ou entendu tous les arguments à ce sujet, mais c’est encore quant à moi la voie la plus probable, pour ne pas dire la plus sure.

Et on n’a pas encore parlé d’un coût politique à payer si le PQ abandonne le référendum comme élément de sa stratégie d’accession à la souveraineté, et donc comme stratégie de mobilisation.

Des alternatives ?

Par contre, une constitution initiale sans compétences nouvelles ne pourrait-elle pas être une bonne alternative comme « voie vers l’indépendance » ?

Marc trouve un grand mérite dans le fait d’inscrire notre langue et notre culture dans une constitution initiale. Voici comment il présente cet argument, qui n’est pas sans intérêt :

« Dès que les Québécois inscriront la langue française comme langue commune et langue de l’État ainsi que la culture québécoise dans leur constitution, celle-ci contredira intrinsèquement la doctrine multiculturaliste du régime canadien, nous redonnant ainsi la primauté du dynamisme politique, malgré Ottawa ».

Marc veut une constitution initiale qui prétend à des compétences nouvelles. Mais son argument, ci-haut mentionné, pourrait valoir tout autant, selon moi, pour une constitution minimaliste, c’est-à-dire sans nouvelles compétences. Dans ce cas, c’est plus facile, mais il faudrait qu’elle soit approuvée à l’unanimité, pour avoir un minimum d’autorité, ce qui n’est pas acquis. De plus, elle ne serait encore qu’une loi de notre Assemblée nationale et même si elle prétendait le contraire, elle serait encore une constitution provinciale qui reconnaîtrait, implicitement, le statu quo quant au partage des compétences entre le Fédéral et le Québec.

Incidemment, la contribution de Jacques-Yvan Morin, mentionnée par Marc, ne prévoit pas l’abandon du référendum, ni non plus la prétention à nous arroger des compétences qui sont celles du Fédéral.

Autres sujets

Marc dit que je dénonce l’étude de l’IRAI 2022 sur les compétences souhaitées par les Québécois… comme une astuce. Alors j’ai certainement été mal compris. J’ai parlé d’astuces en rapport avec le PQ, pas avec cette étude. Par ailleurs, j’ai dit que ce serait une astuce que d’inviter l’électorat à se prononcer sur une constitution souverainiste, alors que l’on mêlerait l’enjeu de la souveraineté aux autres enjeux d’une constitution.

Plus loin, Marc parle d’un référendum à trois options qui avait été proposé par l’économiste ex-ministre Rodrigue Tremblay en 1979, qu’il présente comme une occasion manquée. C’était peut-être l’occasion de choisir entre trois demandes, mais rien n’autorise à supposer que le ROC aurait donné au Québec ce que celui-ci aurait demandé. Donc que ce référendum aurait fait avancer le Québec est une supposition. Et on était au temps de Trudeau. C’est plutôt avec Mulroney qu’il y a eu une ouverture entraînant le « beau risque » de Lévesque, qui proposait aux souverainistes de se contenter de quelque chose de moins que la souveraineté. Et ce n’était pas mobilisant.

Je m’arrête ici et merci pour votre attention.

Réjean Forget

Gatineau

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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec

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