Il est estimé que la Banque du Canada est entrée dans la phase la plus résistante de l’actuel cycle de resserrement monétaire visant à ramener l’inflation à sa cible de 2 %. Il est aussi plus fréquemment demandé si cette cible n’est pas trop restrictive, compte tenu de la conjoncture inflationniste qui se dessine.
L’ancien économiste du Fonds monétaire international Olivier Blanchard a déjà évoqué dans le passé une cible de 4 %. Pour l’heure, il souligne plutôt que les banques centrales ne perdraient pas en crédibilité si cette cible passait de 2 à 3 %. Dans le quotidien spécialisé Les Échos, il soutient que, « dans la lutte contre l’inflation, franchir la dernière marche, par exemple descendre rapidement de 4 à 2 %, risque d’être difficile, de nécessiter un ralentissement substantiel de l’activité », le remède faisant plus de mal que la maladie.
Avant lui, le Prix Nobel de 2008 Paul Krugman défendait aussi un objectif d’inflation de 3 %, affirmant que 2 %, c’était trop bas. Il a écrit dans une tribune en décembre que « les changements apportés par la pandémie dans notre façon de travailler et nos choix d’achat ont montré que les problèmes d’ajustement sont encore plus grands que nous le croyions, et ces derniers seraient peut-être plus faciles à résoudre si nous acceptions une inflation à 3 %, ou même 4 % ».
Le média spécialisé français BFM Business a même rappelé que deux responsables de la Réserve fédérale américaine avaient évoqué avec prudence l’idée d’un examen de l’objectif à moyen terme d’une inflation autour de 2 %.
On n’en est pas là de ce côté-ci, mais on reconnaît que l’inflation persiste obstinément, avec une inflation fondamentale annualisée sur trois mois se maintenant entre 3,5 et 4 % depuis huit mois, et ce, après 18 mois d’une austérité monétaire ayant imposé des hausses totalisant 475 points de base en dix salves du taux directeur. La forte immigration n’aidant pas, la Banque du Canada prévoit désormais que l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation restera autour de 3 % au cours de l’année à venir, avant d’atteindre la cible de 2 %… au milieu de 2025.
Chez Oxford Economics, on n’observe pas ce désancrage des attentes inflationnistes susceptible d’alimenter une spirale prix-salaire tant crainte par les banques centrales. Ces attentes sont toutefois devenues moins consensuelles. Avec des chocs d’offre appelés à se multiplier, il est réaliste de croire qu’une inflation plus forte pourrait s’inscrire dans la durée, écrit l’économiste en chef Innes McFee.
Les chocs adverses sur l’inflation sont appelés à être plus fréquents et moins bénins que ce qu’ils ont été depuis la mi-1990 sous l’effet de la mondialisation, ou depuis 2008 sous le poids d’une faiblesse persistante de la demande alimentant les forces désinflationnistes dans les économies avancées.
L’économiste croit qu’à long terme, l’inflation risque de se maintenir au-dessus de la cible en raison d’une politique monétaire agissant avec un décalage de transmission important, rendant ainsi difficile, voire impossible, de compenser à court terme l’impact d’un choc d’offre imprévisible. S’ajoutent les facteurs structurels, telle la démondialisation.
Cinq grands défis
Dans un discours livré le 19 août, Luiz Pereira da Silva, directeur général adjoint de la Banque des règlements internationaux (BRI), a été assez précis. « Les banques centrales se trouvent à la croisée des chemins. Elles font face non pas à un, mais à cinq embranchements majeurs sur la route : réémergence de l’inflation, changement climatique, inégalités, innovation financière numérique et intelligence artificielle. »
Sur le thème de l’inflation, il invite les banquiers centraux à réfléchir aux changements structurels en cours pouvant entraîner des facteurs d’augmentation des coûts, qu’ils soient ponctuels ou prolongés. Il pointe en direction de la hausse des salaires post-COVID dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre, de l’augmentation des postes vacants même dans certains services peu qualifiés, du renchérissement des coûts d’exploitation des chaînes d’approvisionnement mondiales, amplifié par la relocalisation de certaines activités pour des raisons de sécurité, du remodelage du commerce mondial en raison de la persistance des tensions géopolitiques, ou encore de la disparition de l’effet désinflationniste du rôle de la Chine dans la réduction des coûts de production manufacturiers mondiaux. Il mentionne aussi « les surcoûts liés au verdissement de nos économies, tant en matière d’investissements technologiques qu’en matière d’augmentation des coûts de production due à la réglementation potentielle et aux taxes sur les activités à forte empreinte carbone ».
Sur le thème du climat, Luiz Pereira da Silva parle des défis posés aux banques centrales, certains strictement liés à leur mandat traditionnel de stabilité des prix et financière et d’autres qui apparaissent lorsque l’incertitude radicale est prise en compte, comme les facteurs d’augmentation des coûts liés aux effets du réchauffement climatique sur l’agriculture, la migration et le travail ainsi que le financement de la transition vers le zéro net.
Quant aux inégalités, si celles-ci ont diminué entre les pays, elles ont augmenté au sein même des pays. Une recherche menée à la BRI montre que la politique monétaire est moins efficace dans des sociétés plus inégalitaires. « En termes très simples, étant donné que les ménages riches ont tendance à épargner davantage et que leur consommation est moins sensible à leur revenu […] les sociétés plus inégales réagissent moins aux politiques monétaires expansionnistes et connaissent des reprises plus lentes. Ceci, à son tour, les maintient plus inégales. » En outre, les récessions ont tendance à accroître les inégalités.
« Une conclusion évidente est que nos modèles économiques et monétaires traditionnels ne semblent pas être conçus pour saisir cette complexité », a enfin affirmé Luiz Pereira da Silva.
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