Il manque plus de 8000 enseignants dans le réseau scolaire et le ministre de l’Éducation est incapable de garantir qu’il y aura un « adulte » par classe à la rentrée. Pourtant, des professeurs prêts à s’atteler à la tâche attendent encore, avec impatience, que leur centre de services scolaire leur propose enfin un emploi.
En mai dernier, Mireille El Hachem a démissionné de l’école privée où elle enseignait depuis deux ans pour solliciter un emploi au CSS de Laval, là où la pénurie d’enseignants est la plus sévère au Québec. Au téléphone, une employée des ressources humaines lui a assuré qu’elle serait sur la liste d’appel au mois d’août. « Elle m’a dit : “Il y a beaucoup de postes, ne t’inquiète pas” », relate l’enseignante.
Mme El Hachem n’a pas de brevet, mais elle souhaite en obtenir un. Elle cumule plus de 20 ans d’expérience en enseignement, notamment au Liban.
Mais mercredi, à quatre jours de la rentrée, son téléphone n’avait toujours pas sonné. « J’ai appelé hier et aujourd’hui, j’ai envoyé des courriels… pas de réponse », se désole-t-elle. Pendant son entretien avec Le Devoir, sa ligne téléphonique s’active : une école privée lui offre un poste. Mme El Hachem, qui voulait intégrer le réseau public, reprendra donc le chemin du privé.
À (re) lire
Le CSS de Laval a pourtant 905 postes à pourvoir, selon les chiffres fournis mercredi par le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville.
Un « adulte » par classe ?
Le ministre Drainville a sollicité les 72 CSS du Québec pour mesurer l’ampleur de la pénurie de personnel. Au total, 71 d’entre eux ont répondu. En date de « la semaine dernière », a dit M. Drainville, il manquait 1859 enseignants à temps plein et 6699 enseignants à temps partiel dans les écoles. Au total, il y a donc 8558 postes vacants dans le réseau, qui emploie 110 000 enseignants.
Dans le contexte, l’élu s’est dit incapable de garantir qu’il y aurait un adulte par classe à la rentrée. « Comment voulez-vous que je l’assure ? » a-t-il demandé aux journalistes réunis à l’Assemblée nationale. Il a plus tard déclaré que le réseau et lui avaient « besoin d’aide ».
Après lui, le premier ministre, François Legault, a contourné une question sur une possible compromission de l’accès à une éducation de qualité. « Écoutez, on fait notre possible pour donner la meilleure éducation compte tenu du nombre d’enseignants qu’on a, mais comme ailleurs, on ne peut pas faire de miracles. Moi, je ne suis pas un magicien », a-t-il laissé tomber.
Le chef du gouvernement s’est aussi adressé aux enseignants pour les encourager. « S’il vous plaît, ne lâchez pas, on s’en vient avec plus d’aide et on a besoin de vous autres », a-t-il lancé.
Fabienne Vézina, qui a son brevet d’enseignante et qui cumule 20 ans d’expérience au primaire, a tout sauf l’intention de « lâcher » le réseau. Elle a démissionné il y a quelques années du CSS Marguerite-Bourgeoys pour aller enseigner dans le Grand Nord. Elle est maintenant revenue à Montréal.
« J’ai parlé aux ressources humaines au début de l’été, ils m’ont dit qu’ils allaient m’appeler. Et demain [jeudi], c’est la première journée pédagogique de l’année et je n’ai pas de nouvelles, a-t-elle dit au Devoir. On m’a dit que mon dossier était impeccable. »
Depuis, c’est silence radio, et elle tombe sur des boîtes vocales. Elle a donc décidé d’approcher elle-même son ancienne école et elle attend de voir si on lui proposera quelque chose.
« Les trois premières journées pédagogiques sont les plus importantes. Si tu as une classe, il faut la placer, on met tout en ordre. Et il y a de grosses réunions de début d’année. Si tu manques ça, tu es mal pris », a-t-elle souligné.
Invité à commenter la situation, le CSS Marguerite-Bourgeoys a assuré que toutes les classes seront ouvertes pour la rentrée bien que plusieurs postes n’aient pas été pourvus. On précise avoir « travaillé très fort » pour devancer la première séance d’affectation, qui a maintenant lieu en mai.
L’équipe des ressources humaines fait également beaucoup d’efforts pour recruter à l’externe, ajoute Chrystine Loriaux, directrice du bureau des communications. Mais ces dossiers nécessitent « une analyse pointue du parcours des personnes intéressées ». « L’équipe du service des ressources humaines déploie tous les efforts possibles afin de répondre aux besoins de nos établissements, et ce, dans le respect de la convention collective », écrit-elle.
« On court après les CSS »
Luiz Nascimento, qui habite à Montréal, multiplie lui aussi les démarches auprès des CSS pour obtenir une tâche — qu’elle soit au primaire, au secondaire ou à l’éducation des adultes.
Au CSS de Montréal, « ce que j’ai reçu comme réponse, c’est qu’ils n’ont rien pour moi, mais que les séances d’affectation auront lieu les 30 et 31 août, a-t-il dit. Mais les cours commencent le 28… »
Il est arrivé du Brésil il y a cinq ans, un doctorat en éducation en poche, mais sans brevet d’enseignement. Depuis, il a travaillé au primaire, au secondaire et au collégial. « Normalement, je recevais les postes, dans les meilleurs scénarios, deux semaines avant la rentrée », a-t-il expliqué au Devoir.
Cette année, c’est le calme plat. En fait, « il faut que nous, en tant que profs, on coure après les centres de services scolaires pour savoir s’il y a des postes vacants », a-t-il souligné. C’est d’ailleurs le message que s’échangent des enseignants sur les réseaux sociaux : n’attendez pas un appel des ressources humaines d’un CSS, car vous allez patienter longtemps.
En point de presse, le ministre Drainville a expliqué que les postes permanents d’enseignants étaient affectés en juin. Sauf qu’en août, « il y a toujours un certain nombre de postes » à pourvoir étant donné les départs annoncés au cours de l’été, a-t-il ajouté.
Quand on lui a demandé si le processus permettant de pourvoir les postes et les contrats de remplacement pourrait être entamé plus tôt, le responsable des relations de presse du CSS de Montréal, Alain Perron, a expliqué que l’« offensive de recrutement [du CSS] est intensive et a lieu en continu », ce qui inclut des campagnes de recrutement, des entrevues et des activités auprès de clientèles cibles, « car il y a des affectations à pourvoir tout au long de l’année ».
Il a ajouté que le point sera fait lors de la rentrée du 28 août, « car les données évoluent chaque jour ». Le nombre de postes à pourvoir était de 591 le 16 août dernier, et de 293 deux jours plus tard. « Bien que nos besoins soient importants, la plupart des postes ou affectations sont pourvus », a-t-il dit.
Au CSS de la Rivière-du-Nord, dans les Laurentides, où il reste des dizaines de postes à pourvoir, l’équipe « est entièrement mobilisée à appeler les candidats et à faire les entrevues d’embauche », a assuré Nadyne Brochu, conseillère en communication. « Ce tourbillon effervescent se poursuivra jusqu’à la toute dernière minute. »
Un plan pour « l’espoir »
Tour à tour, les partis d’opposition ont reproché au gouvernement d’avoir ignoré les signes évidents d’une pénurie de main-d’oeuvre en éducation.
Devant la complexité de la situation, « on veut un plan au moins pour montrer et donner de l’espoir à tout le monde que, sur un certain nombre d’années, on va y arriver et on va revenir à la normale », a déclaré mercredi François Legault.
Il a réfléchi tout haut à différentes solutions, dont celle d’écourter le baccalauréat en enseignement. « Ne serait-ce que de façon temporaire, est-ce qu’on peut mettre une formation universitaire qui est moins longue que quatre ans ? Donc, est-ce qu’on est capable, peut-être, de prendre des mesures temporaires ? Je pense qu’il faut faire preuve de créativité », a lancé le premier ministre. « C’est sûr que, dans un monde idéal, tout le monde — puis Bernard le premier, moi aussi —, on voudrait que 100 % des enseignants dans nos classes soient qualifiés avec un bac avec brevet, mais on ne peut pas faire de magie. »
M. Legault a par ailleurs reconnu qu’il avait pu sous-estimer l’ampleur de la pénurie d’enseignants au moment de lancer son projet de maternelles 4 ans. « Bien, on savait qu’il a toujours manqué d’enseignants, je pense, en tout cas, le plus loin que je me rappelle. Par contre, on n’avait peut-être pas vu l’explosion qu’on voit au Québec comme partout ailleurs dans le monde », a-t-il admis.
Pour cela, et « prenant acte de la situation de pénurie devant laquelle on se trouve, on a décidé de repousser l’échéance dans le temps », a ajouté M. Drainville au sujet de l’ouverture de classes de maternelle 4 ans.
Des résultats très modestes avec les retraités, reconnaît Drainville
<h4>À voir en vidéo</h4>
Source : Lire l'article complet par Le Devoir
Source: Lire l'article complet de Le Devoir