La tendance des médias à considérer les représentants des associations religieuses comme de bons porte-paroles pour communiquer les préoccupations des communautés culturelles à l’égard des politiques publiques peut-elle mener à de la désinformation ou à un déficit démocratique?
Dans une démocratie, c’est le peuple qui est souverain. Au Québec, des élections ont lieu tous les quatre ans pour que les citoyens puissent nommer des représentants qui développeront, en leur nom, différentes politiques. Mais, au Québec, on laisse aussi une place importante aux différents lobbys pour qu’ils contribuent un éclairage et une expertise nécessaires à la prise de décision publique.
Soit, mais comment s’assurer que les lobbys représentent bel et bien les préoccupations de ceux qu’ils disent représenter? Quel est le rôle des médias dans tout cela?
L’exemple de la laïcité
Plusieurs groupes d’intérêts, ou lobbys, interviennent dans le dossier de la laïcité de l’État au Québec. D’un côté, le Mouvement laïque québécois, Pour les droits des femmes du Québec et le Rassemblement pour la laïcité de l’État militent, comme leur nom ou leurs statuts et règlements l’indiquent, en faveur de la laïcité.
De l’autre, des associations religieuses telles le Conseil national des musulmans canadiens, la World Sikh Organisation of Canada, l’Association de droit Lord Reading et l’Alliance des Chrétiens en droit défendent des principes en accord avec leurs dogmes religieux.
Ces prises de position antagonistes sont l’apanage d’une saine démocratie.
Cependant, des questions se posent lorsque les interventions d’un lobby politique sont perçues comme reflétant les préoccupations de l’ensemble d’une communauté culturelle donnée, comme c’est souvent le cas pour des associations religieuses. Sont-elles de bons porte-paroles lorsqu’il est question de politiques publiques?
Les associations religieuses
Il faut savoir que le Québec se distingue des autres provinces puisque c’est ici que se retrouve la plus forte proportion de personnes qui estiment que leurs convictions religieuses ou spirituelles ne sont pas très ou pas du tout importantes (46%) quant à leur façon de vivre leur vie par rapport à seulement 21% à 35% dans les autres provinces. Le Québec se démarque aussi par une plus faible proportion de personnes participant à une activité religieuse en groupe au moins une fois par semaine, soit 14% versus de 21% à 32% dans les autres provinces.
Cette spécificité québécoise laisse supposer que les Québécoises et les Québécois ont moins tendance à s’identifier aux positions de leur Église lorsqu’il est question de développement de politiques publiques.
S’ajoutent à cela les résultats d’une importante étude, effectuée auprès de 130 000 membres du clergé américain de quarante confessions différentes, qui démontrent que (1) l’affiliation confessionnelle est très instructive pour l’inscription d’un pasteur au parti, mais pas pour celle d’un fidèle et que (2) de nombreux fidèles, en particulier dans les églises conservatrices, ne sont pas politiquement alignés sur leur pasteur. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un groupe partage les mêmes convictions religieuses qu’il y a consensus au niveau politique.
Il importe aussi de prendre en considération les objectifs visés par les associations religieuses lorsqu’elles interviennent au niveau des politiques. L’enquête internationale de l’AWID a notamment identifié qu’une des stratégies utilisées par les fondamentalismes religieux pour exercer une influence sur la société et la politique était d’en pénétrer l’espace politique et public. De grands efforts de recrutement et de mobilisation ont lieu ainsi dans les écoles, les collèges et les universités, ce qui se traduit, dans les pays où le multiculturalisme est à l’honneur, par la valorisation de l’identité religieuse aux dépens de la citoyenneté commune.
Ces informations factuelles invitent donc à la prudence lors de l’interprétation des préoccupations d’une communauté culturelle par le prisme des associations religieuses.
Rôle des médias
Le rôle des médias, dans une société démocratique, est d’informer la population des enjeux qui la concernent avec le plus d’objectivité possible. Or, dans le dossier de la laïcité, les médias ont, semble-t-il, peu questionné la représentativité effective des associations religieuses ou encore les objectifs qu’elles visaient lors de leurs prises de position. Qui plus est, nombre d’entre eux ont accordé une importante couverture médiatique aux préoccupations de ces associations religieuses alors même que plusieurs membres de ces communautés, opposés aux opinions ce ces associations sensées les représenter, ont dû se rabattre sur des lettres d’opinion pour se faire entendre.
Cette différence de traitement et cette absence de questionnement quant à la représentativité des associations religieuses, d’autant plus lorsqu’il est question de politiques publiques, sont fort préoccupantes.
En politique, un chef de parti cherche à obtenir un minimum de 90 % d’appuis pour se sentir légitime dans son rôle de porte-étendard de la vision et des objectifs de ses membres. Les représentants des différentes communautés religieuses peuvent-ils se targuer d’avoir un taux d’appui similaire auprès de leurs membres lorsqu’ils se prononcent sur les politiques publiques ? Ce serait étonnant.
Ce serait bien que les médias en tiennent compte lorsqu’il est question d’informer adéquatement la population sur des enjeux politiques, en tout respect de la souveraineté des citoyens. Ne pas le faire, contribue à la désinformation et à un rétrécissement de l’espace public accessible aux citoyens.
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