Chaque année, environ 12.000 blaireaux sont tués en France par des chasseurs pratiquant la vénerie sous terre. Une pratique barbare, d’un autre temps, que dénonce les militants et associations animalistes.
Immédiatement reconnaissable aux bandes longitudinales noires (sur fond blanc) qu’il porte sur le museau, le blaireau est un animal fouisseur. Capable de déplacer des tonnes de terre pour creuser de nombreuses et profondes galeries (jusqu’à 4 mètres de profondeur), il est considéré, au même titre que le tatou géant et le castor, comme une espèce ingénieur. Choisissant généralement des endroits isolés, non inondables et des sols meubles (facilement travaillables), ce mustélidé (l’un des plus gros d’Europe) n’hésite pas à utiliser des terriers déjà construits (de renards) et accepte volontiers que d’autres espèces (chats forestiers, putois, lapins) utilisent le sien. Tous cohabitent en bonne intelligence.
Avec l’être humain c’est différent. Considéré comme une espèce nuisible (bien que non classé au titre du code de l’environnement), le blaireau fait l’objet de « campagnes de régulation » dans la plupart des départements de France. Celles-ci se déroulent de mi-septembre à mi-janvier et peuvent faire l’objet d’une ouverture anticipée (période dite « complémentaire ») de mai à septembre. Soit 4 à 8 mois par an. Ces régulations répondent à une demande des agriculteurs, qui considèrent que les blaireaux causent des dégâts à leurs cultures et infrastructures, et sont réalisées par des équipages de vénerie. Ces derniers représentent quelques 10.000 chasseurs en France (répartis dans 1.500 équipages), la moitié chassant le blaireau, l’autre le renard.
Le principe de la vènerie sous terre, aussi appelée déterrage, est d’aller chercher l’animal dans les galeries qu’il occupe dans le sol. Pour ce faire, une meute de chiens est utilisée (3 à 15 généralement), laquelle a pour mission de repérer, poursuivre puis finalement acculer l’animal au fond de son terrier. Ayant suivi la chasse, oreille collée au sol (avec une sonde), les veneurs creusent alors une tranchée à l’endroit où l’animal chassé tient tête aux chiens. Ce dernier est alors extrait de son terrier à l’aide de pinces métalliques, puis, s’ils n’a pas encore été tué par les chiens, exécuté avec un fusil ou une arme blanche (voire parfois à coups de pelle).
D’après la charte de l’Association française des équipages de vénerie sous terre (AFEVST), ce mode de chasse se fait « dans le plus grand respect » de l’animal et a pour objectif, entre autres, « de participer aux travaux et recherches relatifs aux mustélidés ». Il fallait oser. De son côté, le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire a publié le 11 février 2019 un projet d’arrêté (modifiant celui du 18 mars 1982) visant à « limiter la souffrance des animaux capturés ». Comment ? En prévoyant des pinces « non vulnérantes » pour l’extraction, une arme réservée à la mise à mort, et en interdisant d’exposer l’animal chassé « aux abois ou à la morsure des chiens avant sa mise à mort ».
De l’aveu même des chasseurs, cet arrêté est inapplicable. D’abord parce qu’eux-mêmes ne maîtrisent pas ce qu’il se passe sous terre. Les animaux poursuivis endurent en réalité un stress immense (non pris en compte par l’arrêté), traqués pendant des heures, terrorisés au fond de leur terrier, mordus par les chiens, parfois même déchiquetés vivants pour les petits. Et puis, quid des contrôles ? Ceux de l’OFB (office français de la biodiversité) sont, on le sait, quasi-inexistants. La littérature/Internet regorge d’ailleurs d’exemples sordides : animaux déterrés violemment, déchiquetés par les chiens, assommés à coups de pelle ou bien encore noyés dans leur terrier. Des exemples de condamnation ?
Même chose concernant les autres animaux éventuellement présents dans le terrier (dont certaines espèces protégées comme le chat forestier, la chauve-souris ou la loutre) et que les chiens peuvent également blesser ou tuer. L’arrêté de 2019 stipule l’obligation d’arrêter la chasse dès lors qu’on sait la présence d’un animal protégé. Mais comment faire en pratique alors que seuls les chiens ont accès aux galeries (et donc, découvrent ce qu’il s’y trouve). Bref, un arrêté qui mise sur la communication, mais ne change pas grand chose en pratique.
Difficile d’imaginer qu’il puisse en être autrement, d’ailleurs, quand les services de l’État eux-mêmes nient l’existence d’une souffrance chez l’animal. Lors de l’examen de pétitions contre le déterrage du blaireau à la commission des affaires économiques du sénat en avril de cette année, l’OFB a ainsi indiqué qu’ »il existait un nombre limité d’études sur le stress et l’éventuelle souffrance de l’animal chassé qui ne permettaient pas de dégager un consensus ». Un animal poursuivi pendant des heures, acculé au fond d’un terrier, extirpé avec des pinces, mordu par des chiens et tué de façon plus ou moins directe (au bon vouloir des « passionnés » de la pratique) … on manque d’études scientifiques. Ah, bon.
En réalité, les textes semblent taillés sur mesure pour répondre aux désidératas des agriculteurs et des chasseurs. Comme cet article du code de l’environnement (L. 424-10) qui prévoie normalement la protection des petits pendant la chasse, mais autorise des dérogations pour les « animaux susceptibles d’occasionner des dégâts » (avec un petit tour de passe passe puisque le blaireau ne figure même pas dans cette liste). Ou cet arrêté ministériel de 1987 qui classe le blaireau comme une espèce gibier (chassable) … alors que celui-ci ne se mange pas ; une décision émanant d’une demande des véneurs sous terre qui ne voulaient pas voir la « gestion » du mustélidé leur échapper (en utilisant d’autres méthodes létales comme l’empoisonnement ou le gazage).
Comme dit précédemment, il y a en France deux périodes de chasse au blaireau : l’une fixe de septembre à janvier (dans tous les départements), l’autre optionnelle (correspondant à une ouverture anticipée) de mai à septembre. Cette dernière est soumise à consultation du public dans chaque département. Consultation seulement. En gros, cela ne change rien. Ainsi, bien qu’une majorité d’administrés se prononcent souvent contre, le préfet suit généralement l’avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage et proclame quand même l’ouverture anticipée (un exemple de compte rendu de consultation plus bas).
Il faut par ailleurs noter que la France contrevient à la convention européenne de Berne, laquelle n’autorise la chasse au blaireau (espèce protégée citée à l’annexe III) qu’en connaissant ses effectifs. Or, ceux-ci ne sont pas connus en France. En réalité, les dégâts causés par les blaireaux ne font l’objet d’aucun recensement (ni d’aucune évaluation chiffrée) parce qu’ils ne donnent lieu à aucune indemnisation de l’État (l’animal n’étant pas classé dans la liste des « espèces pouvant occasionner des dégâts »). « Nuisible » pour la régulation mais pas pour l’indemnisation : un beau jeu d’équilibrisme législativo-administratif.
Autre argument avancé par les pro-régulation, celui de la tuberculose bovine. Maladie contagieuse semblable à la tuberculose humaine, elle peut toucher des troupeaux de bovins et mener à leur abattage (anticipé). Au sein de la faune sauvage, le blaireau peut être porteur de la maladie, au même titre (mais dans une moindre mesure) que le cerf ou le sanglier. La France a le statut de « pays indemne » depuis 2001 (moins de 200 bovins touchés par an), ce qui ne l’empêche pas de continuer à vouloir réguler le blaireau. Piégeage, tirs de nuit, et même déterrage, ce qui est absurde et même contrevient à l’arrêté ministériel du 7 décembre 2016.
Cet arrêté interdit en effet la pratique du déterrage partout où un animal sauvage infecté a été détecté ; et ce, en raison du risque de contamination des chiens (qui participerait à la propagation de la maladie). Donc d’un côté on préconise le déterrage pour limiter les risques de transmission de la tuberculose, d’un autre on l’interdit en cas de présence d’un animal malade. Lutter contre la maladie en tuant uniquement les animaux sains ? Hum. Précisons par ailleurs qu’une solution de vaccination existe, mais n’est actuellement pas encouragée par la France. Pourrait-on par ailleurs suggérer de remettre en cause l’élevage, et donc peut être aussi notre consommation de viande, lait (de vache) ? Sans doute trop extrême.
Les dégâts causés par le blaireau sont peu importants : quelques retournements de terre (à la recherche de campagnols), un peu de grignotage (jeunes pousses essentiellement) ; et essentiellement localisés en lisière de forêts. Ceux qu’on lui attribue sont souvent très exagérés et confondus à tort avec ceux du sanglier. Il faut par ailleurs savoir que le blaireau est un animal très utile (il participe au travail d’aération des sols, enrichit le sol en nutriments, dissémine les graines des fruits qu’il ingère) et que des méthodes d’éloignement existent (répulsifs, clôtures électriques, piégeage-relocalisation, terriers de substitution).
Alors que l’animal est protégé dans la plupart des pays d’Europe (Belgique, Irlande, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Hongrie, Danemark, Portugal, Espagne, Italie etc.), la France, reste, avec l’Allemagne, le seul pays d’Europe de l’Ouest à autoriser son déterrage. En France, 83 % des personnes interrogées se prononcent contre cette pratique et 73 % ne savaient pas qu’elle existait encore (sondage Ipsos pour One Voice publié en 2018). La méthode est cruelle et des associations animalistes (ASPAS, AVES, One Voice) s’élèvent pour la combattre. Elles pèsent peu pour l’instant face au groupe de pression des chasseurs, qui tiennent à leurs prérogatives. En l’espèce, continuer à torturer le blaireau ; ou « se reconnecter avec la nature » comme ils disent dans la pub.
Quelques références
Le blaireau : Mode de vie, alimentation, « dégâts »
Cohabitation entre blaireaux, agriculture et élevage
Dégâts aux récoltes, tuberculose bovine : le blaireau coupable ou victime ?
La pétition « Pour l’interdiction du déterrage des blaireaux » déposée par l’ASPAS sur le site du sénat atteint les 100.000 signatures (sept 2022)
Examen des pétitions au sénat contre le déterrage du blaireau et la vénerie
Liste des espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » au niveau national ou départemental
Article L427-6 du code de l’environnement permettant au préfet d’ordonner la destruction d’espèces spécifiques dans son département (utilisé en routine pour réguler le blaireau)
Exemple de consultation du public pour une « ouverture anticipée » : 125 voix contre, 3 voix pour et … l’ouverture anticipée est proclamée
L’infiltration d’un équipage de vénerie sous terre par One Voice
Des véneurs assomment un blaireau à coups de hache (images Pierre Rigaux)
Les français massivement contre la vènerie sous terre
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir