par Leslie Varenne
La crise au Niger rythme l’actualité de l’été 2023. En remettant l’intervention militaire à l’ordre du jour, alors qu’elle semblait s’éloigner, le sommet de la CEDEAO du 10 août à Abuja a été un des temps forts. En réalité, en soulignant dans son communiqué «sa détermination à maintenir ouvertes toutes les options en vue d’un règlement pacifique de la crise» tout en ordonnant «le déploiement de la force en attente», l’organisation sous-régionale a tenté de contenter tout le monde. Le camp des durs, mené surtout par la France, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, et ceux plus nombreux qui prônent le dialogue. Qu’adviendra-t-il ? Difficile de faire un pronostic à cette heure tant les sables sont mouvants. Une chose est néanmoins certaine, la visite surprise de Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe par intérim, le 6 août dernier à Niamey a marqué un tournant décisif. La balle est désormais dans le camp américain qui fait fi de l’agitation de Paris.
La dame aux petits pains a repris les affaires en main…
Pour mesurer l’importance de cette visite et des messages qu’elle a envoyés, un court rappel du parcours de ce poids lourd de la diplomatie américaine paraît nécessaire. Cette fille spirituelle de Madeleine Albright a, depuis 1993, occupé divers postes dans les administrations Bush et Obama dont celui de porte-parole de Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, entre 2010 et 2013. Une période où les États-Unis et leurs alliés s’étaient surpassés avec les guerres de Syrie, Libye, Côte d’Ivoire et les «printemps arabes». Mais cette figure du courant néoconservateur obtiendra sa notoriété planétaire en organisant le changement de régime à Kiev en 2014. Les images de Victoria Nuland distribuant des petits pains en haranguant les manifestants de la place Maïdan restent dans l’histoire. Son célèbre «Fuck the EU» prononcé à la même époque lors d’une conversation avec l’ambassadeur américain en Ukraine, un échange malicieusement enregistré et fuité, lui colle également à la peau.
Plus familière avec le continent européen elle a néanmoins repris les affaires africaines en main. Ainsi en 2021, elle a réalisé une tournée dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est et au Niger. En octobre 2022 elle s’est rendue au Burkina Faso, en Mauritanie, au Mali, et au Niger. Elle vient de terminer un nouveau road show qui l’a conduite de Pretoria, quelques jours avant le sommet des BRICS, à Kinshasa, en passant par Abidjan pour enfin atterrir à Niamey le 6 août dernier.
«F…k France»
L’activisme américain au Niger n’a rien de surprenant, compte tenu de leurs intérêts stratégiques dans le pays. Cependant, la visite de Victoria Nuland à Niamey, qui n’était pas inscrite à son agenda, a surpris tout le monde. Quelques jours plus tôt, Catherine Colonna s’enorgueillissait d’être sur la même ligne que celle de Washington, apparemment ce n’était pas réciproque. En s’asseyant et discutant pendant deux heures à la table des militaires, Victoria Nuland a signifié à Paris qu’elle prenait la direction des opérations. Dans le langage fleuri de la diplomate cela pourrait se résumer ainsi : «On ne peut pas laisser les mangeurs de grenouilles gérer ce dossier, ils vont nous ramener Wagner» !
Deuxième message envoyé à l’Élysée et au camp des durs de la CEDEAO qui se préparaient à employer la manière forte : nous privilégions le dialogue. En cela, la secrétaire d’État par intérim, réitérait la position de Anthony Blinken qui dès le 2 août s’accordait avec le président de l’Union africaine, Moussa Faki, pour convenir qu’«il n’y a pas de solution militaire acceptable» à la crise au Niger.
Il ne faut pas se méprendre, l’administration Biden ne souffre pas d’un brusque accès de pacifisme. À quelques mois de l’élection présidentielle de 2024, ils ne peuvent tout simplement pas prendre le risque de soutenir un nouveau conflit. Ils sont embourbés en Ukraine où la contre-offensive patine pendant que leur aide à Kiev devient chaque jour plus impopulaire à l’intérieur du pays. Ils sont également dans une position délicate en Syrie et dans le détroit d’Ormuz face à l’Iran où la marine américaine vient de déployer 3000 hommes. Pendant ce temps les tensions en mer de Chine persistent.
Rome et Berlin, tous deux présents militairement au Niger, se sont ralliés à la position américaine. Depuis le départ des troupes françaises du Mali, les deux capitales cherchent à se démarquer de Paris sur les dossiers africains pour ne pas être contaminés par la bronca envers la politique française. Si l’Allemagne a fait dans la sobriété en indiquant «privilégier la médiation», l’Italie n’a pas pu s’empêcher de tacler la France. Dans un entretien à la Stampa, le ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani a ainsi déclaré «L’Europe ne peut pas se permettre un affrontement armé, nous ne devons pas être vus comme de nouveaux colonisateurs. Au contraire, nous devons créer une nouvelle alliance avec les pays africains, qui ne soit pas basée sur l’exploitation. Nous devons reporter l’option de la guerre le plus possible».
Il est intéressant de noter qu’aucun des alliés de la France ne s’est exprimé sur le départ des troupes françaises demandé par les militaires au pouvoir à Niamey. Pas un n’a repris l’argument de Paris sur l’illégitimité de la décision. Pas de grandes déclarations non plus autour du rôle de la France dans la lutte contre le terrorisme, dans la protection de la frontière sud de l’Europe, de l’immigration, autant d’arguments pourtant assénés depuis des années par ses alliés.
Cerise sur le gâteau, interrogé sur le Niger par la télévision publique ivoirienne lors de son passage à Abidjan, Victoria Nuland a déclaré «notre position est pareille à celle de la Côte d’Ivoire, à celle de la CEDEAO, de l’Union africaine, de l’Union européenne». Oups… elle n’a pas cité la France, ça ne peut être qu’un oubli…
La balle dans le camp nigérien…
Toutes ces raisons militent donc pour une non-intervention. Car aucun déploiement de la force en attente de la CEDEAO ne peut avoir lieu sans, a minima, l’aide logistique, l’appui aérien et les renseignements satellitaires de la France et des États-Unis. Sauf que bien sûr, il faut compter aussi avec les militaires nigériens. Accepteront-ils les conditions américaines ? C’est LA question qui déterminera la suite de l’histoire.
Si personne n’est dans le secret des dieux pour connaître la teneur des deux heures d’entretien que Victoria Nuland a eu avec les représentants de la junte, le compte rendu du département d’État mentionne deux points essentiels : l’assurance pour les USA de garder leurs bases militaires et de fermer la porte à Wagner. Précision d’importance, à aucun moment il n’est question de «réinstaller dans ses fonctions le président démocratiquement élu», Mohamed Bazoum, selon la formule désormais consacrée. Toujours selon ce document, elle a eu «une discussion franche et difficile» avec Moussa Salaou Barmou «leur type», «leur atout» au sein de la junte, comme le souligne le long article du WSJ qui lui est spécialement dédié. «Barmou est devenu le principal canal diplomatique entre les États-Unis et la Junte». Celui qui pourra «aider à l’atterrissage en douceur de cette affaire». Mais si Barmou est leur «gars», il est avant tout Nigérien et il n’est pas seul. Compte tenu de la montée des pressions, il semble que Victoria Nuland n’ait pas obtenu des assurances fermes sur ces deux points précis. Selon une source sécuritaire à Niamey, le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, organe créé par les militaires au pouvoir) serait sur une ligne ni les uns, ni les autres…
En attendant la suite, les négociations tous azimuts se poursuivent. Le 10 août, le ministre des Affaires étrangères algérien était à Washington où il s’est entretenu avec le futur sous-secrétaire à la Défense, Derek Chollet. Selon le communiqué, ils ont tous deux évoqués «les développements de la crise au Niger et les voies et moyens à même de coordonner les efforts des deux pays tendant à renforcer les chances d’un règlement pacifique de la crise». Une rencontre et une petite phrase qui en disent long sur la mise hors-jeu de la France dans la résolution de ladite crise…
Paris persiste et signe
Après la réunion de la CEDEAO, et pendant que certains cherchaient «un règlement pacifique», le Quai d’Orsay, par la voix de Catherine Colonna restait sur la ligne dure. La ministre des Affaires étrangères soutient «l’ensemble des conclusions adoptées» lors du Sommet «y compris la décision d’activer le déploiement de la force en attente». En clair, nous sommes prêts à apporter notre soutien militaire, nous sommes prêts à la guerre…
Depuis le début de la crise le 26 juillet, l’Élysée et le Quai ont fait le choix de toutes les solutions regrettables. Et la liste est longue. Opter pour la manière forte au lieu de la médiation dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest ; montrer les muscles au risque de jeter de l’huile sur un Continent déjà chauffé à blanc contre la politique française ; tenter de rééditer le scénario ivoirien en jouant sur les deux entités, le gouvernement légitime et les putschistes sans s’apercevoir que depuis 2011 le monde a changé ; adouber au travers des médias une pseudo rébellion : le Conseil de la Résistance pour la République est une entreprise perdue d’avance. Dirigé par l’ancien rebelle, Rhissa Ag Boula depuis longtemps blanchi aux ors de la République, le CRR n’a aucune chance de prospérer. Colorier en rouge du jour au lendemain Ouagadougou, Bamako, Niamey sur les cartes sécuritaires du Quai d’Orsay, interdisant de ce fait aux avions d’Air France d’atterrir ne fait pas descendre la pression; idem pour la fermeture des bureaux des visas au Mali et au Burkina Faso. Toutes ces décisions ont été d’ailleurs immédiatement suivies de mesures de réciprocités.
Bonus : en agissant ainsi, Paris fait passer les États-Unis pour les gentils de l’histoire, ce qui ne manque pas de piment.
Personne ne s’empresse de suivre la France dans cette voie et tous se taisent d’un silence goguenard. Envisageant un scénario où les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie resteraient au Niger et où Paris serait obligé de plier bagages, un diplomate africain tonne : «Ce serait Trafalgar et Fachoda» ! Pas moins…
source : IVERIS
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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