Christian Authier : Poste restante — Bernard GENSANE

Christian Authier : Poste restante — Bernard GENSANE

Mois d’Août, le temps d’un article sur un livre, oublions l’Ukraine, le Xinjiang, Macron et Darmanin.
Quand on m’entendait tous les lundis (avec Bernard Gensane et d’autres) dans une émission culturelle sur Radio Mon Païs à Toulouse, nous avions reçu Christian Authier pour un de ses livres.
Authier est Toulousain, comme moi, il a travaillé à la Poste, comme moi et il a, comme moi, assisté à sa désastreuse mise à mort par la droiche et la gaute.
Il nous parle de ça dans un livre qu’on peut lire en dehors du mois d’août, tant il est politique.
Maxime Vivas

Ceci me fut raconté il y a une quarantaine d’années. Une femme algérienne, semi-illettrée, écrit à son fils apprenti boulanger à Paris. Elle ne connaît pas son adresse. Sur l’enveloppe, elle rédige :  » a mon fisse, ifilaficelle a paris ». Pour les postiers, c’est le défi, pardon le challenge, de leur vie. Après deux mois d’enquête, ils retrouvent le fils et lui remettent la lettre.

Oui, mais ça, c’était la Poste d’avant. Le seul service, la seule administration qui, rappelons-le, se finançait intégralement.

C’est un formidable livre que le romancier et essayiste Christian Authier vient de nous offrir. Fils de postiers, postier intérimaire lui-même à une époque et aujourd’hui âgé de 54 ans, il a connu de l’intérieur cette administration, ce ministère, ce service public que le monde entier, comme Jean Gabin dans Le Cave se rebiffe, nous envia : « Nous allons donc confier notre petit trésor aux seuls gens qui n’égarent jamais rien, […] j’ai nommé les PTT. »

Un « enfant de La Poste » comme Authier a eu du mal à s’habituer à la vente de DVD de Walt Disney dans les bureaux de poste, à l’invasion des automates, au ralentissement du courrier qui oblige à payer plus cher un service identique à celui qui était moins cher, aux guichets réservés aux entreprises quand le nombre d’employés n’a cessé de diminuer, aux slogans imbéciles du style « Bouger avec la Poste ».

Dans nos contrées, la poste fut mise en place, sous l’appellation de cursus publicus, par l’Empire romain. Réservé aux correspondances officielles, il disparut avec la chute de l’Empire d’Occident. Il fallut attendre Louis XI pour assister à la création d’un Service des chevaucheurs du roi afin de transmettre ses messages, et Henri III pour que les riches puissent correspondre entre eux. Les relais des poste furent installés toutes les sept lieux (28 kilomètres), d’où l’expression des « bottes de sept lieues » de Charles Perrault. Les services postaux se développent avec la Révolution (1 400 relais, 16 000 chevaux), avant qu’en 1830 une loi prévoie que « 5 000 facteurs devront recueillir et distribuer dans toutes les communes rurales du royaume, les correspondances administratives et particulières. » En 1845, un wagon-poste est mis en service entre Paris et Rouen, tandis qu’en 1849 est émis le premier timbre-poste à l’effigie de Cérès (le premier timbre anglais, à l’effigie de la reine Victoria, datait de 1840 et valait un penny ; le premier timbre allemand, plus exactement bavarois, datait de 1849). Les tournées quotidiennes du facteur ont débuté en 1863. En 1879, les administrations séparées des postes et du télégraphe fusionnent, les Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT) devenant un ministère de plein exercice. L’après Première Guerre mondiale voit la naissance de l’aéropostale, où s’illustrèrent les figures mythiques de Mermoz et Saint-Exupéry). 1969 distingue le « courrier rapide » du « courrier lent », une « réforme » nullement acceptée par les Français, les PTT devant faire appel à des communicants aussi prestigieux que Fernandel, Aznavour ou Michel Jazy pour faire passer la pilule.

Le grand tournant a lieu en 1988 : les P&T donnent naissance à La Poste et à France Télécom. Ces administrations ont alors le statut d’établissement public, industriel et commercial. En 2004, France Télécom devient une société anonyme à capitaux privés et La Poste une société anonyme à capitaux publics en 2010.

C’est peu dire que La Poste s’est déshumanisée : moins de personnel, moins de bureaux, moins de guichets, davantage d’automates, comme à la poste du Capitole à Toulouse, entièrement automatisée. Et puis les vrais postiers, dans les bureaux, ont été remplacés par des agents d’accueil et des agents de sécurité. Cette déshumanisation, en particulier dans les campagnes, a favorisé la montée de l’extrême droite qui a joué sur le sentiment d’abandon de populations qui ont assisté à la fermeture d’écoles, de dispensaires et autres petits commerces.

Le facteur ne sonne plus deux fois, il ne sonne plus du tout, même pour des colis recommandés ou des colis trop épais pour entrer dans la boîte aux lettres. Le facteur ne sonne plus parce qu’il a tendance à se faire rare : 100 000 en 2007, 65 000 en 2022. Le travail des facteurs est réévalué, réorganisé tous les deux ans. La Poste bouge en supprimant des tournées. Kafka revu par les Monty Python, écrit l’auteur. C’est le logiciel Géoroute qui guide la main de gestionnaires en modélisant les itinéraires et les cadences à la seconde près. Un logiciel à qui il prend parfois la fantaisie de faire traverser des murs d’immeubles aux facteurs, ce que, jusqu’à présent, la Justice a condamné. Nos facteurs passe-muraille, peut-être, mais fliqués sûrement. Depuis 2012, ils sont équipés de Smartphones et d’applications idoines qui les rendent géolocalisables à tout moment.

Lors d’une campagne pour l’élection à la mairie de Paris, la droite avait pour opposant socialiste l’immense Paul Quilès (et son slogan particulièrement débile « Quilès tendresse »). Immense menteur, surtout, lui qui, dans une tribune du Monde, avait juré : « La Poste ne doit pas être privatisée ». Or c’est ce même tendre, ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Espace du gouvernement Rocard qui fut le principal responsable de la privatisation sournoise de La Poste.

La Poste devient progressivement un monstre à deux têtes : chargé de quatre missions de service public (accessibilité bancaire, contribution à l’aménagement du territoire, service postal universel, transport et distribution de la presse) et, en même temps (sic), engagement total dans la sphère marchande, dans la conquête de parts de marché et développement à l’international. Entreprise à la fois publique et privée, La Poste est abondée par des capitaux publics mais elle n’embauche plus de fonctionnaires, la majorité de ses salariés étant de droit privé. L’entreprise n’est dès lors pas chiche de discours hors-sol, clos, purement publicitaires, auto-justifiants : « Nous contribuons au développement et à la cohésion des territoires [quand j’entends le mot « territoire » en lieu et place de département, région, pays, nation,je sors mon révolver]. Nous favorisons l’inclusion sociale et le vivre ensemble. […] Nous oeuvrons pour un numérique éthique, inclusif et frugal [?], prenant en compte l’inclusion, le respect du libre arbitre et du consentement éclairé. » Comme n’aurait peut-être pas dit en 2009 l’ancien PDG Didier Lombard qui avait évoqué la « mode » des suicides dans son entreprise.

Mais il y a la dure réalité des vilains exploités qui se rebellent. En décembre 2019, le tribunal correctionnel de Paris sanctionne un harcèlement moral institutionnel et collectif ayant eu pour cible plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Pour faire passer, croit-on, les horreurs, La Poste use et abuse du globish, c’est-à-dire de la langue de l’impérialisme, du capitalisme libéral. Le plan de mobilité des cadres est baptisé « Time to Move » (en bon français : « on se bouge »), le plan de 22 000 suppressions d’emplois se nomme « Next » (en bon français : « on dégage »).

Le grand tournant a lieu en 1988 : les P&T donnent naissance à La Poste et à France Tlélécom. Ces administrations ont alors le statut d’établissement public, industriel et commercial. En 2004, France Télécom devient une société anonyme à capitaux privés et La Poste une société anonyme à capitaux publics en 2010.

C’est peu dire que La Poste s’est déshumanisée : moins de personnel, moins de bureaux, moins de guichets, davantage d’automates, comme à la poste du Capitole à Toulouse, entièrement automatisée. Et puis les vrais postiers, dans les bureaux, ont été remplacés par des agents d’accueil et des agents de sécurité. Cette déshumanisation, en particulier dans les campagnes, a favorisé la montée de l’extrême droite qui a joué sur le sentiment d’abandon de populations qui ont assisté à la fermeture d’écoles, de dispensaires et autres petits commerces.

Ne nous berçons pas d’illusions : La Poste n’a plus aucune cure de la distribution du courrier. Pour nous décourager, elle a, par exemple, doublé le prix du timbre en dix ans. Elle sait, paraît-il, livrer des repas chauds en quelques minutes mais la distribution du courrier est de plus en plus lente. Faisons une croix sur le J+1. L’Ecopli, la formule la moins chère, a été supprimé et a laissé la place, à partir de 2,95 euros, à « la Lettre turquoise services plus » (J+2, my foot) pour l’envoi de chèques urgents, de petites marchandises ou de courriers nécessitant traçabilité et suivi. « En toute sérénité », comme ils disent. Mais malheureusement pour les dirigeants forcément chagrinés, la carte postale fait de la résistance. 300 millions ont été postées en France en 2019.

Dans un premier temps, La Poste n’a pas raté le virage du TGV, sûr, rapide, économique. Durant sa première année de mise en service, le train à grande vitesse a transporté 48 000 tonnes de courrier en parcourant 210 000 kilomètres. Mais rapidement, on respire, les camions ont pris le dessus. L’abandon du dernier train postal en 2000 fut fortement critiqué par les syndicats et la gauche qui en restèrent là car le gouvernement était dirigé à l’époque par Lionel Jospin, le plus grand privatiseur de l’histoire de France.

Et La Poste continua à se diversifier et à se privatiser à travers de multiples filiales : My French Bank (sic), Louvre Banque privée, La Banque Postale Consumer Finance (re-sic), La Banque Postale Leasing & Factoring (re-re-sic), La Banque Postale Immobilier Conseil, Sofiap, Domiserve, Ezyness (re-re-re-sic), EasyBourse (re-re-re-re-sic), La Banque Postale Collectivités Locales, CNP Assurances France, La Banque Postale Assurances, La Banque Postale Prévoyance, La Banque Postale Assurances Santé, La Banque Postale en Assurances, La Banque Postale Asset Management (re-re-re-re-re-sic), Tocqueville Fiance SA, KissKissBankBank & Co (re-re-re-re-re-re-sic). La Poste s’est développée dans de nombreux domaines par le biais de ses filiales : La Poste Mobile, Colissimo, Chronopost, Docaposte, La Poste Immobilier, Viaposte, DPD, Mediapost Communication (douze sociétés), Asendia, AXEO Services, Sogec. Elle est dès lors présente dans la téléphonie mobile, les services à domicile, la communication et le marketing, l’immobilier, la logistique, le transport, l’ingénierie informatique. Tout le monde ne sait pas (c’est pourtant passionnant) que Bemobi (la « mobilité durable ») regroupe désormais Greenovia, Mobigreen et Véhiposte. L’usager (pardon : le client) de l’Ariège qui reçoit son courrier quand il a le temps est fier de savoir que La Poste livre dans les meilleurs délais des colis au Kazakhstan. Et il est encore plus fier de constater que la filiale de La Poste dénommée « La Table » concurrence UberEat et Deliveroo. Enfin, c’est l’extase quand il apprend que La Poste intervient dans certains CHU, comme celui de Toulouse, dans des programmes de prévention de la dépendance ou de la malnutrition.

Résultat des courses : la dette de La Poste flambe : 3,4 milliards en 2018, 6,4 milliards en 2019, 10,2 milliards en 2022. Pas grave, c’est nous qui payons ou payerons.

Quand on pense que le cachet de La Poste ne comporte plus la mention du lieu d’expédition, car il a été remplacé par un code composé de chiffres et de lettres. Quand on pense que les timbres illustrés, souvent si beaux, ont quasiment disparu.

Doukchéti quin va ? Comme on dit dans mon pays…

Bernard GENSANE


Paris, Flammarion, 2023

En complément, relire cet article du Grand Soir, 2012 et pas une ride : «  Hier, j’ai surpris France Telecom semant des graines de suicide »
https://www.legrandsoir.info/hier-j-ai-surpris-france-telecom-semant-d…

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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