Pour éclaircir la situation sur l’uranium nigérien, qui a décidément fait couler beaucoup d’encre, et évoquer les autres enjeux énergétiques de ce pays, l’IVERIS republie l’article de Samuel Furfari, paru sur le blog Factuel. Avec clarté et précision, l’ancien haut fonctionnaire européen à l’énergie et professeur de géopolitique de l’énergie , auteur du livre « L’urgence d’électrifier l’Afrique », remet les pendules à l’heure, la France n’est pas le seul pays à avoir des intérêts énergétiques dans cet Etat, le diable ne se cache pas toujours dans les détails…
Manque d’électricité, pérennisation de l’inadmissible pauvreté
Il est souvent écrit que le Niger est l’un des pays les plus pauvres du monde, en réalité, selon l’indice mondial de pauvreté multidimensionnelle des Nations Unies de 2022, il est bien le dernier du classement. Et, il le restera encore longtemps parce qu’il ne dispose pas d’une production d’électricité abondante et bon marché, c’est-à-dire à partir de combustibles fossiles. J’ai écrit un livre sur le besoin urgent d’électrifier l’Afrique dans lequel j’expliquais que la pauvreté dans les pays africains ne serait éradiquée que s’il y avait une bonne gouvernance (en commençant par une vraie démocratie) et une électrification massive. Selon l’Agence internationale de l’énergie, seuls 14 % des 26 millions d’habitants du Niger sont raccordés au réseau électrique. Même si ce chiffre n’était que de 7 % en 2000, ce doublement n’a rien de réjouissant. Avec peu de centrales électriques, le pays est dépendant de son voisin du sud, le Nigeria, qui fournit 70 % de sa consommation d’électricité. En représailles contre la junte, le nouveau président du Nigeria, Bola Tinubu, a décidé de couper l’approvisionnement en électricité du Niger, si bien que les coupures sont encore plus fréquentes et plus longues que lorsque la situation était déjà insupportable.
Mine à ciel ouvert de Somaïr au Niger. Crédit photo : Orano
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dirigée pour l’instant précisément par le président nigérian, a décrété le gel de toutes les transactions de services, y compris les transactions énergétiques. La population, qui semble soutenir les putschistes, ne sera probablement pas affectée par les coupures d’électricité, puisqu’elle est massivement non connectée. Mais les militaires pourront-ils tenir longtemps si le pays ne dispose plus du moteur de l’économie qu’est l’électricité ?
Le Niger est occupé à achever son premier barrage hydroélectrique, sur le fleuve du même nom, à l’horizon 2025. Situé à 180 kilomètres en amont de Niamey, le barrage de Kandadji aura une capacité de 130 MW. Cette capacité peut sembler dérisoire pour les Européens, elle est néanmoins significative pour un pays qui ne dispose que de 272 MW de capacité installée. Il faut noter que 84 % de la capacité du pays fonctionne au diesel, ce qui est une aberration incommensurable étant donné que c’est de loin l’énergie la plus chère pour produire de l’électricité. Dans ce pays baigné de soleil, l’énergie solaire ne représente que 2 %, mais c’est une constante en Afrique puisque là il n’y a pas d’écologistes pour l’imposer. Sans surprise, c’est une entreprise chinoise (China Gezhouba Group Company Limited Niger) qui construit ce barrage.
Un espoir, le pétrole… chinois
Les Chinois s’occupent aussi du pétrole du Niger. Wapco-Bénin, filiale du groupe chinois China National Petroleum Company (CNPC), construit un oléoduc pour exporter le pétrole de ce pays enclavé. Le pétrole sera produit dans le champ pétrolier d’Agadem, dans le nord du Niger puis transporté jusqu’au port béninois de Sèmè-Podji (banlieue sud-est de Porto-Novo, près de Cotonou). L’oléoduc de 1 950 km, le plus long d’Afrique et d’une capacité de 100 000 barils par jour, nécessite un investissement de quatre milliards de dollars. Les découvertes faites par la compagnie chinoise CNPC sur le champ d’Agadem permettent d’évaluer les réserves récupérables à 900 millions de barils. Le gouvernement béninois a réaffirmé son soutien au projet de construction d’un port pétrolier, minéralier et commercial en eau profonde à Sèmè-Podji… malgré le coup d’État.
D’après Savannah energy, la capacité actuelle de production de pétrole du Niger est de 20 000 barils par jour. Entre 2011 et 2019, elle a généré plus de 2 milliards de dollars américains de recettes cumulées et, selon les années, a représenté entre 4 % et 7 % du PIB, et 16 % à 29 % des exportations. Le développement de l’industrie pétrolière et gazière naissante du Niger est un objectif clé déclaré du gouvernement nigérien et devrait représenter environ 24 % du PIB et 68 % des exportations d’ici 2025. Deux des quatre entreprises opérant dans le pays sont chinoises. Le 30 juin 2023, le Niger et la Chine ont signé une série d’accords portant sur un parc industriel, un oléoduc et une mine d’uranium.
En toute logique, le pétrole nigérien devrait être évacué vers le marché international par un oléoduc Niger-Tchad-Cameroun. Cette solution, la moins chère et la plus rapide, a toutefois été écartée par la CNPC, car elle a des relations assez compliquées avec les autorités tchadiennes, mais jouit de bonnes relations avec le Bénin.
Quelle que soit la gouvernance des pays, sans se préoccuper de morale, les Chinois sont là pour investir et produire de l’énergie. C’est une preuve supplémentaire que le pétrole n’est pas près d’être détrôné en tant que principale source d’énergie mondiale.
L’approvisionnement en uranium se poursuivra : l’amoralité aussi
Le Niger est le premier fournisseur d’uranium de l’UE, avec 24 % de ses importations, mais il représente moins de 5 % de la production mondiale, le Kazakhstan étant le leader mondial avec 45 %. De plus, entre 2020 et 2021, la part de Niamey a diminué d’un quart, car le Canada, qui mise beaucoup sur la renaissance de l’énergie nucléaire, et le Kazakhstan ont considérablement augmenté leur production. Cependant, pour ne pas perdre ses marchés, le Niger accorde de nouvelles licences d’exploration. Il faut noter qu’il a fourni avec le Kazakhstan, la Russie, l’Australie et le Canada, 96 % de l’uranium naturel livré à l’UE, les parts relatives des différents pays producteurs variant légèrement.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis en péril la confiance en un partenaire majeur de l’énergie nucléaire. L’arrêt des exportations en provenance du Niger sera-t-il une source d’inquiétude supplémentaire ? Non, car il n’y a pas de jeu géopolitique autour des livraisons d’uranium. Non seulement le Canada et l’Australie sont des géants de l’uranium, mais ce sont aussi des pays de l’OCDE. Qui plus est, même s’ils ne sont pas encore de grands fournisseurs de minerai d’uranium pour l’UE, d’autres pays travaillent d’arrache-pied pour prendre leur part d’un marché mondial appelé à croître. En 2022, Orano Mining a signé un accord tripartite de coopération stratégique pour des projets miniers en Ouzbékistan, et se montre optimiste quant aux perspectives en Mongolie également. Toujours en Afrique, la Namibie a produit 12 % de l’uranium naturel mondial, selon l’Agence européenne d’approvisionnement nucléaire, un pays qui souffre également d’un manque d’électricité, avec seulement 45 % de la population connectée au réseau. Mais le Niger n’est pas prêt d’abandonner sa position dans le minerai d’uranium, puisque, comme nous venons de le rapporter, il y a quelques semaines, l’entreprise publique China National Nuclear Corporation a décidé d’investir dans le projet de mine d’uranium d’Arlit, dans la région d’Agadez, au nord du Niger, un projet qui avait été suspendu il y a quelques années, lorsque les perspectives de l’énergie nucléaire n’étaient pas aussi bonnes qu’elles le sont aujourd’hui.
De plus, l’industrie de l’uranium n’a rien à voir avec les contraintes d’approvisionnement en gaz, qui, par définition, sont difficiles à stocker. Par ailleurs, le processus de transformation et d’enrichissement de l’uranium en uranium fissile, utilisé dans les centrales électriques, est long : des stocks existent donc à toutes les étapes de ce processus industriel. Enfin, la loi impose aux compagnies d’électricité de détenir des stocks pour plusieurs années. Ainsi, contrairement à ceux qui prennent toutes les occasions pour critiquer l’énergie nucléaire, l’approvisionnement en uranium naturel des centrales nucléaires de l’Union européenne n’est pas mis en danger par les événements du Niger.
Les intérêts d’abord
Lord Palmerston, ministre des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne et ensuite Premier ministre (1784-1839) avait déclaré que « la Grande-Bretagne n’a pas d’amis permanents ni d’ennemis permanents ; elle a des intérêts permanents ». En géopolitique, et plus particulièrement en géopolitique de l’énergie, ce fait est irréfutable, non seulement pour la Chine, mais pour tous les pays du monde. L’énergie est l’élément vital de chaque pays. Elle est si essentielle que les dirigeants mettent de côté toute morale pour assurer la survie quotidienne de leur pays.
Ce coup d’État conduira probablement à une réduction de l’influence de Paris en Afrique, mais la Chine poursuivra ses investissements et la Russie continuera à vendre de l’uranium à l’Union européenne…. Le putsch au Niger est un cas d’école, nous rappelant qu’il n’y a pas de morale en géopolitique, et plus particulièrement en politique énergétique.
Samuel Furfari
Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
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