Hélène Carrère d’Encausse. ERIC FEFERBERG / AFP
DISPARITION – Historienne spécialiste de la Russie et secrétaire perpétuel de l’Académie Française depuis 1999, Hélène Carrère d’Encausse s’est éteinte à Paris à l’âge de 94 ans.
L’historienne Hélène Carrère d’Encausse, première femme à la tête de l’Académie française et grande spécialiste de la Russie, est décédée ce samedi à Paris, ont annoncé ses enfants à l’AFP.
Auteur d’une trentaine d’ouvrages dont le retentissant Empire éclaté qui connut un immense succès (1978), Hélène Carrère d’Encausse a marqué son époque par son talent d’historienne et d’universitaire mais aussi par son inlassable activité au sein de nombreuses institutions à caractère parfois politique – elle figura sur une liste UDF-RPR aux élections européennes de 1994.
Représentante et symbole d’une Académie française qui a su accueillir à sa tête une femme d’origine étrangère, elle aura rencontré de nombreuses personnalités d’envergure dont le président russe Vladimir Poutine avec lequel elle s’entretiendra directement en russe, une langue qu’elle a apprise enfant. Née à Paris le 6 juillet 1929 d’un père géorgien et d’une mère d’origine germano russe, Hélène Zourabichvili devient française en 1950 après avoir vécu dans un univers familial cosmopolite et polyglotte. Son père, compromis durant l’Occupation, disparaît à la Libération laissant sa famille dans une grande précarité.
Après des études brillantes – elle est diplômée de l’Institut des Sciences politiques et a un doctorat d’Etat ès lettres- elle devient professeur d’Histoire à l’Université Panthéon-Sorbonne puis à Science Po. Ses racines la mènent à travailler sur la Russie. Sa thèse porte sur «Réforme et Révolution chez les musulmans de l’Empire Russe».
Elle publie et participe à des ouvrages universitaires , avant de publier l’Empire éclaté : la révolte des nations en URSS (Flammarion) qui prévoit l’explosion du système soviétique sous la pression démographique d’une population musulmane en pleine progression. Le livre fait grand bruit. Certains y voient même une obscure manœuvre pour que le monde libre baisse la garde face à l’ogre soviétique, jugé plus dangereux que jamais.
Il suffisait de lire la Pravda tous les jours pour lire entre les lignes des informations économiques l’état réel de l’Union soviétiqueHélène Carrère d’Encausse
«Il suffisait de lire la Pravda tous les jours pour lire entre les lignes des informations économiques l’état réel de l’Union soviétique», expliquera-t-elle.
Les événements qui suivront donneront raison à l’historienne : l’URSS s’est bien désagrégée treize ans plus tard. Mais pas comme elle l’a prévu, les républiques limitrophes musulmanes n’ont pas joué un rôle déterminant dans cette implosion.
Hélène Carrère D’Encausse publie par la suite plus d’une vingtaine d’essais quasi-exclusivement consacrés à la Russie et à l’Union soviétique. Parmi eux des biographies de Catherine II, de Lénine et de Staline ainsi qu’une remarquable synthèse Les Romanov, une dynastie sous le règne du sang. Dans Nicolas II la transition ininterrompue, une biographie politique (Fayard, 1986) elle réévalue le rôle du dernier tsar souvent dépeint en personnage falot et inconsistant.
Respectueuse de l’action des dirigeants, de Gorbatchev à Vladimir Poutine en qui elle voit un patriote restaurateur de la dignité russe, nullement un impérialiste, elle n’aura de cesse qu’elle ne défende l’idée d’une Russie liée à une Europe dont elle déplorera l’ingratitude.
Son credo, la Russie est un monde à part
Son credo tient en quelques mots : la Russie est un monde à part, sa démocratisation ne peut pas être brutale, ni comparable à celle d’une vieille nation occidentale. Donnons-lui sa chance. Ne poussons pas ce grand pays dans les bras de la Chine.
Durant les années 80, sollicitée par le monde politique, Hélène Carrère d’Encausse s’engage dans des activités au service d’un pays, la France, pour lequel elle éprouve une authentique passion. Elle participe à la Commission des sages pour la réforme du code de nationalité en 1986 et 1987 qui suggère de rendre l’acquisition de la nationalité dépendante d’une démarche volontaire. Elle s’engage dans le camp de la droite libérale, notamment auprès de Raymond Barre dont elle soutient la candidature aux élections présidentielles de 1988. Elle milite en faveur du Oui au référendum de Maastricht qu’elle décrit comme le « portillon que l’on doit franchir pour aller plus loin » et devient conseiller auprès de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement qui, en 1992, aide les anciens pays communistes.
Elle est élue à l’Académie Française au fauteuil de Jean Mistler, en 1990 sur la proposition d’Henri Troyat qui estimait qu’elle incarnait le combat intellectuel mené contre l’idée soviétique. C’est Michel Déon qui la reçoit sous la Coupole en novembre 1991 : entre eux, l’amitié remonte aux années d’après-guerre quand la jeune étudiante aux tresses claires enroulées sur les oreilles avait trouvé refuge à Paris dans des cercles où se retrouvaient Marcel Aymé, Maurice et Suzanne Bardèche, Antoine Blondin ou l’éditeur Bernard de Fallois.
«Secrétaire perpétuel »
En 1999, elle devient secrétaire perpétuel de la Compagnie, en remplacement de Maurice Druon. Elle est la première femme à accéder à ce poste prestigieux mais refuse la féminisation de son titre de «secrétaire perpétuel ». Elle y appose sa marque, courtoise et ferme et recevra de nouveaux élus, tels que le romancier Jean-Marie Rouart, René Rémond ou le cardinal Lustiger.
Par cette consécration intellectuelle et honorifique, la petite Zourabichvili lave l’humiliation vécue par ses parents d’une intégration ratée dans la France de l’entre-deux-guerres. «Jusqu’à mon mariage, j’ai porté un nom à coucher dehors» disait-elle, toujours impeccablement mise, avec un sourire charmant.
Si ses essais historiques sont écrits dans une langue très châtiée, elle ne répugne pas toujours à la controverse. Présidente du Conseil scientifique de l’Observatoire statistique de l’immigration et de l’intégration, elle commente pour une chaîne de télévision russe les émeutes en banlieue parisienne qui ont défrayé la chronique au mois de décembre 2005. Ses propos sur le communautarisme montant font des vagues parmi les belles âmes, toujours promptes à s’indigner. Pour elle la France était une terre généreuse et les nouveaux venus devaient tout faire pour s’y intégrer : l’attitude des Russes blancs en était un exemple.
Mère d’Emmanuel Carrère
Mariée à un homme discret et malicieux, Louis Carrère, l’historienne a eu trois enfants, dont le talentueux romancierEmmanuel Carrère, auteur d’une œuvre d’où la Russie n’est d’ailleurs pas absente (Limonov, Roman russe). Sa fille Marine Carrère d’Encausse est une journaliste réputée dans le domaine de la santé.
Et c’est jusqu’au bout à la Russie qu’Hélène Carrère d’Encausse a consacré ses derniers livres, parmi lesquels Le général de Gaulle et la Russie où elle s’inscrit en faux quant à la prétendue complaisance de De Gaulle envers le soviétisme.
Un de ses ultimes combats à l’Académie française aura été celui de l’intégrité de la langue menacée selon elle par le « péril mortel que constitue l’écriture inclusive », mais elle accompagna aussi l’évolution de l’Académie sur la question de la féminisation des titres et des fonctions (février 2019).
Cette femme d’exception et d’action unanimement respectée -elle était professeur honoris causa de nombreuses universités étrangères. Jusqu’à la fin elle aura voulu renforcer les liens entre ses deux pays de cœur, et honoré celui qui l’avait accueillie en lui faisant don de son talent et de sa formidable énergie.
Source : Le Figaro
Lettre ouverte sur l’écriture inclusive
par Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE
Au moment où la lutte contre les discriminations sexistes implique des combats portant notamment sur les violences conjugales, les disparités salariales et les phénomènes de harcèlement, l’écriture inclusive, si elle semble participer de ce mouvement, est non seulement contre-productive pour cette cause même, mais nuisible à la pratique et à l’intelligibilité de la langue française.
Une langue procède d’une combinaison séculaire de l’histoire et de la pratique, ce que Lévi-Strauss et Dumézil définissaient comme « un équilibre subtil né de l’usage ». En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l’écriture inclusive violentent les rythmes d’évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l’écologie du verbe.
Un corset doctrinal prétend ainsi régir la pratique des scripteurs, mutilant les respirations et la logique de la langue. En posant qu’il existerait par principe une corrélation entre le genre des vocables et le sexe de leur référent, les propagateurs de l’écriture inclusive méconnaissent naïvement les règles du genre grammatical, où masculin et féminin ne correspondent pas systématiquement à des catégories sexuées. Ainsi dit-on « une échelle » mais « un escabeau », et dans l’armée « une sentinelle, une ordonnance » ou « une estafette », un marqueur féminin désignant ici des fonctions historiquement masculines.
L’écriture inclusive offusque la démocratie du langage. Outre que la correspondance avec l’oralité est impraticable, elle a pour effet d’installer une langue seconde dont la complexité pénalise les personnes affectées d’un handicap cognitif, notamment la dyslexie, la dysphasie ou l’apraxie. Une apparente pétition de justice a pour effet concret d’aggraver des inégalités.
L’écriture inclusive trouble les pratiques d’apprentissage et de transmission de la langue française, déjà complexes, en ouvrant un champ d’incertitude qui crispe le débat sur des incantations graphiques. En focalisant l’attention sur l’obsession du genre, elle restreint le rapport à la langue en inhibant une expression plus ample de la pensée. Bien loin de susciter l’adhésion d’une majorité de contemporains, elle apparaît comme le domaine réservé d’une élite, inconsciente des difficultés rencontrées au quotidien par les pédagogues et les usagers du système scolaire.
L’écriture inclusive installe ainsi un débat de l’entre-soi cantonné à un périmètre limité, au préjudice des étrangers désireux d’apprendre notre langue telle qu’elle leur est souvent transmise par de grands textes patrimoniaux. Dans un monde où la francophonie, principalement sur le continent africain, est appelée à un développement exponentiel, ce mode d’écriture dissuasif est susceptible de renforcer l’anglais comme langue véhiculaire.
Hélène CARRÈRE d’ENCAUSSE Marc LAMBRON
Secrétaire perpétuel Directeur en exercice
de l’Académie française de l’Académie française
Source : Académie Française
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