par Serge Bilé
«Connaissez-vous l’histoire des Herero et des Nama ? Ces peuples de Namibie ont été décimés par les Allemands parce qu’ils refusaient de se soumettre à la loi coloniale. Le film «L’homme mesuré» raconte ce génocide oublié, considéré comme le premier du XXème siècle.” AJ+
Sait-on que l’Allemagne, responsable de l’élimination méthodique de peuples jugés inférieurs, avait jeté les bases de la solution finale bien avant les nazis ?
Serge Bilé, journaliste à RFO, dévoile cet aspect totalement méconnu de l’histoire du peuple allemand.
«C’est un pays que peu de gens réussiraient sans hésiter à situer sur une carte du monde. Un pays dont on ne parle quasiment jamais. Un pays oublié. Seul avec son drame.»
C’est là pourtant que tout a commencé, là qu’est né le nazisme bien avant l’heure, là qu’ont été expérimentés les premiers camps de concentration bien avant la Seconde Guerre mondiale, là qu’ont été jetées les bases de la solution finale bien avant l’avènement de Adolf Hitler.
Ce pays, immense et désertique, c’est la Namibie dont l’effroyable histoire a été jusqu’ici éclipsée par celle de son puissant voisin, l’Afrique du Sud, avec lequel il partage une frontière et des douleurs communes.
Quand les premiers colons allemands débarquent sur ses côtes, en 1870, la Namibie est une mosaïque de peuples divisés entre Ovambo, Kavango, Nama ou encore Herero. Une désunion dont joueront d’ailleurs les Allemands pour s’aventurer et s’installer à l’intérieur des terres.
Des Allemands qui découvrent très vite les richesses du sous-sol namibien avec sa profusion de cuivre et surtout de diamants. Pour exploiter ces gisements et étouffer toute velléité de contestation, le chancelier Otto von Bismarck nomme en 1884 un gouverneur civil chargé d’administrer la nouvelle colonie.
Cet homme, dont le nom de famille, nous est devenu, depuis, tristement commun, c’est Heinrich Goering, le père de Hermann Goering, qui deviendra plus tard l’un des plus hauts dignitaires nazis.
Henrich Goering a recours, pour remplir sa tâche, à des méthodes expéditives : déplacement des populations parquées dans des réserves raciales et réduites en esclavage, exécutions sommaires en cas de résistance et confiscation systématique des terres et du bétail.
Une ségrégation et une barbarie auxquelles s’opposera vigoureusement un petit peuple de bergers, les Herero, conduit par un chef obstiné et courageux, Samuel Maharero. Il préconise pour bouter les Allemands hors du pays de créer le plus large front possible.
«Toute notre docilité et notre patience envers les Allemands ne nous servent à rien, car chaque jour ils nous fusillent pour rien», écrit-il le 11 janvier 1903 aux autres chefs de tribus pour les exhorter à la révolte. «Mes frères, n’en restez pas à votre premier refus de participer au soulèvement, mais faites en sorte que toute l’Afrique combatte les Allemands. Mourrons plutôt ensemble au lieu de mourir de mauvais traitement, en prison ou encore d’autres manières.»
Sa missive restera sans réponse. Las, les Herero décident, un an plus tard, le 11 janvier 1904, de se lancer seuls dans la bataille. Ils attaquent une garnison allemande à Okahandja, tuent une centaine de colons et détruisent leurs lignes de télégraphe et de chemin de fer.
Une véritable humiliation pour les Allemands, qui n’auront de cesse de se venger, épaulés par des renforts qui ne tarderont pas à arriver. Trois mille hommes et un nouveau commandant en chef connu pour sa brutalité et sa poigne de fer, le général Lothar von Trotha.
Von Trotha confirme sa réputation en lançant dès le 2 octobre 1904, aussi incroyable que cela puisse paraître, un ordre d’extermination (Vernichtungsbefehl) à l’encontre des Herero.
«Moi, général des troupes allemandes, adresse cette lettre au peuple Herero. Les Herero ne sont dorénavant plus des sujets allemands. Tous les Herero doivent quitter le pays. S’ils ne le font pas, je les y forcerai avec mes grands canons.
Tout Herero aperçu à l’intérieur des frontières allemandes (namibiennes) avec ou sans arme, avec ou sans bétail, sera abattu. Je n’accepte aucune femme ni aucun enfant. Ils doivent partir ou mourir. Il n’y aura aucun prisonnier mâle. Tous seront fusillés. Telle est ma décision pour les Herero.»
Une décision immédiatement mise à exécution avec une minutie et une stratégie diaboliques. Hommes, femmes et enfants herero sont systématiquement exterminés. Les survivants sont pourchassés, pris en tenaille et repoussés méthodiquement vers le désert où ils mourront d’épuisement, de faim et de soif. Les Allemands avaient pris soin auparavant d’empoisonner l’eau des puits…
La révolte matée, dans le camp des bourreaux, c’est la jubilation, comme l’atteste ce rapport de mission d’une patrouille allemande : «Le blocus impitoyable des zones désertiques pendant des mois a parachevé l’œuvre d’élimination. A l’arrivée de la saison des pluies nous avons trouvé des squelettes gisant autour de trous secs, profonds de douze à quinze mètres, que les Herero avaient creusés en vain pour trouver de l’eau.
Les râles des mourants et leurs cris de folie furieuse se sont tus dans le silence sublime de l’infini. Le châtiment a été appliqué. Les Herero ont cessé d’être un peuple indépendant »
Le bilan est effrayant : soixante mille morts, soit plus de 80% de la population herero éliminée en quelques mois. Un véritable génocide. Mais en Allemagne, quelques voix finissent par s’élever en réalisant que cette boucherie allait priver la colonie de…main-d’œuvre. L’ordre d’extermination de von Trotha est finalement levé.
Les quinze mille survivants herero, essentiellement des femmes, sont faits prisonniers et regroupés dans ce que les Allemands appellent déjà des konzentrationslager, des «camps de concentration». Le terme est utilisé officiellement pour la première fois dans un télégramme de la chancellerie daté du 14 janvier 1905.
Dès leur arrivée dans ces camps de travaux forcés clos par de hauts barbelés, les Herero sont tatoués de ces deux lettres : GH, pour Gefangener Herero, ce qui signifie Herero capturé.
La suite c’est un témoin britannique de ce drame, Hendrik Fraser, qui la raconte : «Lorsque je suis entré à Swakopmund, j’ai vu beaucoup de prisonniers de guerre herero. Les femmes devaient travailler comme les hommes. Le travail était harassant.
Elles devaient pousser des chariots chargés à ras bord sur une distance de dix kilomètres. Elles mouraient littéralement de faim. Celles qui ne travaillaient pas étaient sauvagement fouettées. J’ai même vu des femmes assommées à coups de pioche. Les soldats allemands abusaient d’elles pour assouvir leurs besoins sexuels.»
Autre témoignage, tout aussi terrifiant, celui d’un chef herero, Traugott Tjienda, espédié lui aussi dans l’un de ces camps : «Notre peuple qui sortait du bush fut astreint immédiatement au travail. Les hommes n’avaient plus que la peau sur les os. Ils étaient si maigres qu’on pouvait voir à travers leurs os. Ils ressemblaient à des manches à balais.»
Malnutrition, mauvais traitements, exécutions sommaires des malades et des plus faibles, au bout d’un an, ce sont pas moins de 7 862 Herero, soit la moitié des détenus, qui meurent en captivité.
Mais le calvaire ne s’arrête pas là. Les Allemands, trop heureux de disposer dans ces camps d’une main-d’œuvre gratuite, en profitent pour réaliser toutes sortes d’expérimentations anthropologiques, scientifiques et médicales, transformant du coup ces malheureux prisonniers herero en véritables cobayes humains.
Des recherches qui seront conduites sur place par l’un des généticiens racialistes allemands les plus influents de l’époque, le docteur Eugen Fischer. Il dissèque à la chaîne des cranes et des corps de pendus herero et expédie quelques cadavres dans les universités allemandes afin de partager ses expériences avec ses premiers disciples.
Il mène également des travaux de stérilisation sur les femmes herero pour s’assurer que les rapports sexuels qu’elles entretiennent avec les colons ne menacent pas la pureté du sang allemand. C’est la meilleure façon, à ses yeux, d’empêcher la mixité raciale qui conduit inévitablement, selon lui, à la «disparition de la population blanche».
De retour en Allemagne, Eugen Fischer dirige, à l’avènement de Hitler, l’institut d’anthropologie, d’hérédité humaine et d’eugénisme de Berlin. Il collabore naturellement avec les SS, épaulé par son fidèle assistant, le futur bourreau d’Auschwitz, Joseph Mengele.
Fischer et Mengele appliqueront par la suite dans les nouveaux camps de concentration et d’extermination conçus par les nazis tout ce qu’ils ont appris et expérimenté impunément en Namibie. Mais cette fois à une plus grande échelle.
Quant aux Herero, ils n’ont depuis le drame de 1904 cessé de se battre pour la reconnaissance et la réparation de leur génocide oublié et nié jusqu’ici.
Un génocide dont personne, en fait, ne s’est réellement soucié à l’époque, sans doute parce que ceux mêmes qu’il frappait étaient africains.
Mais voilà, trente-cinq ans plus tard, avec l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, c’est le monde entier qui paiera le prix de cet abominable mépris.
source : Boudhanar
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