Introduction
Simplicius le penseur est un analyste géopolitique de très grand talent qui a des dizaines de milliers d’abonnés. Il écrit en anglais et est rarement traduit en français parce que ses articles sont très longs. Il se consacre, selon ses propres mots, à l’« Analyse de la géopolitique et des conflits en profondeur, avec une pincée d’humour sardonique ».
Philippe Grasset se dit « particulièrement impressionné par le travail de ‘Simplicius-The Thinker’, la dernière référence dont parle toute l’AMC (‘Alternative Media Community’, comme dit Korybko de la presse indépendante, que PhG nomme « Notre Samizdat »). Jetez un coup d’œil chez Simplicius, vous mesurerez son travail, et la difficulté colossale de donner une image cohérente de la bataille. »
Dernièrement, Simplicius a consacré plusieurs articles à répondre, de manière plus succincte aux questions de ses abonnés. Voilà sa réponse aux questions 37 et 50.
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Question 37 – Dans quelle mesure la « réindustrialisation » de l’UE, en vue d’une future riposte contre la Russie, dépend-elle de l’accès aux combustibles fossiles russes ?
Je pense que cela dépend beaucoup de l’accès aux combustibles fossiles russes, étant donné que le système financier mondial est actuellement dans un état de grande précarité. Si c’était une autre époque, ils pourraient peut-être s’en sortir en augmentant simplement la dette comme ils en ont l’habitude. Mais cela fait si longtemps qu’ils usent et abusent de la méthode que le système est en train de s’effondrer et qu’ils ne peuvent plus absorber les prix complètement disproportionnés d’une énergie beaucoup plus chère, alors que l’inflation est très élevée et que leurs économies sont dans la tourmente.
Ce qui échappe à la plupart des gens, c’est qu’en fin de compte, cela n’a pas beaucoup d’importance. En d’autres termes, avec ou sans les combustibles fossiles russes, la situation économique mondiale était déjà sur le point de s’effondrer. C’est le cas depuis 2008, et ils ont désespérément tenté de consolider la situation avec un « assouplissement quantitatif » massif et le lancement, pour faire diversion, d’une guerre culturelle d’une ampleur sans précédent, en introduisant les mouvements radicaux LGBT/Transgenre. Ces mouvements sont apparus précisément au moment où le mouvement Occupy Wallstreet aux États-Unis a commencé à susciter des manifestations similaires en Europe.
Les gens se soulevaient enfin contre les banques et le système financier et il fallait donc faire quelque chose pour détourner leur attention. Puis, alors que le système était à nouveau prêt à s’effondrer, ils ont organisé la fausse pandémie de Covid pour le sauver une fois de plus, ce qui leur a permis d’injecter discrètement 4 à 5 000 milliards de dollars supplémentaires dans le système qui en avait besoin de toute urgence pour continuer à tourner.
L’autre facteur très important est que l’Occident a commencé à se découpler de la Chine pour tenter de ralentir son développement et l’empêcher de le dépasser tout à fait. Trump a accéléré le processus et a déclenché une guerre commerciale dans laquelle les deux parties ont mis en place divers tarifs douaniers et interdictions sur leurs marchandises respectives, ce qui a eu l’effet inverse et a commencé à fissurer le système, car l’Occident dépendait de nombreuses pièces, ressources, etc. chinoises bon marché.
En fin de compte, la question de l’énergie russe n’est que la cerise sur le gâteau d’un problème systémique qui a déjà condamné l’Occident. Mais les problèmes sont si profondément enracinés qu’ils vont bien au-delà de ces questions superficielles. Par exemple, le problème le plus important est d’ordre démographique. C’est la raison pour laquelle l’Europe importe des migrants avec autant de frénésie depuis un certain temps, parce que sa main-d’œuvre est en diminution et qu’elle manque de personnel pour se développer, étant donné que le mondialisme et le libéralisme ont détruit la civilisation occidentale, en démantelant complètement les fondations nécessaires au développement des familles, des enfants, etc.
Ces problèmes sont si profonds qu’aucune énergie russe ne peut « réindustrialiser » l’Europe – elle est condamnée à la mort par le virus du mondialisme/libéralisme. Il n’y a aucun moyen d’inverser cette tendance sans que l’UE ne soit d’abord démantelée, sans que la souveraineté westphalienne ne soit restaurée pour chaque État et sans qu’une nouvelle classe de dirigeants nationalistes/populistes comme Orban ne prenne la tête de chaque pays européen et ne modifie toutes les lois afin d’enrayer au plus vite la propagation du virus du mondialisme/libéralisme comme l’a fait Poutine ; il faudrait, par exemple, enregistrer toutes les ONG étrangères comme des agents étrangers et les soumettre à un audit et une inspection complets ou les expulser du pays ; il faudrait faire des lois pour interdire les excès de la propagande, comme la propagande extrêmement virulente des mouvements LGBT radicaux et d’autres choses de cette nature. C’est la seule façon de restaurer la tradition et de faire en sorte que les gens aient à nouveau envie de fonder une famille, faute de quoi, cela n’a aucun sens de se préoccuper des combustibles fossiles.
Hélas très peu de ce qui précède a des chances de se produire de sitôt, de sorte que l’Europe continuera à se désindustrialiser.
Enfin, l’autre aspect important est celui des ressources naturelles, des métaux précieux, des terres rares, etc. Cette guerre s’intensifie encore davantage aujourd’hui, en raison de la situation au Niger, des nouvelles interdictions imposées par la Chine sur la vente de terres rares essentielles pour une grande partie des industries occidentales, etc. Les choses ne feront probablement qu’empirer pour l’Europe. Toutefois, comme l’a écrit Alex Krainer dans son récent article, dont j’ai parlé dans mon dernier article, l’UE pourrait se désintégrer à la suite d’une victoire décisive de la Russie en Ukraine qui choquerait les esprits. Une telle tournure des événements pourrait éventuellement précipiter la situation que j’ai décrite plus haut, où une nouvelle sorte de mouvement anti-UE/États-Unis commencerait à s’emparer lentement de chaque pays, ouvrant un nouveau cycle, une nouvelle ère de souveraineté, d’autarcie économique, d’antimondialisme, etc. etc. Mais les ondes de choc d’un tel retournement prendraient du temps à se propager et nous ne verrions probablement pas de résultats notables avant les années 2030.
Question n° 50 – Quelles sont les tendances générales et les directions que semblent prendre les conflits et les développements géopolitiques ?
D’une manière générale, je pense que le système financier occidental est à son point le plus critique et le plus alarmant historiquement. Pour la première fois, un bloc/système rival est en train de naître, qui menace de se couper complètement de l’Occident et de s’immuniser contre tous ses instruments les plus précieux, comme SWIFT et diverses interconnexions bancaires. Il suffit de regarder la liste des 10 premières banques du monde en termes d’actifs totaux :
Tableau des 10 premières banques
Qu’est-ce que cela nous apprend ?
Eh bien, à mon avis, cela veut dire que face à cette situation critique, les centres de pouvoir occidentaux – qui sont contrôlés par l’élite financière qui dirige ce cartel bancaire – n’ont que deux options : soit se laisser complètement dépasser et, en fin de compte, être relégués aux oubliettes, soit déclencher une guerre mondiale de grande envergure pour provoquer une série de situations de crise, et, si possible, détruire, absorber ou dégrader considérablement les systèmes de l’autre partie afin de conserver la suprématie.
À ce dilemme s’ajoute le fait qu’ils manquent de temps : l’Est se développe beaucoup trop rapidement tandis que l’Ouest se vautre dans la stagflation et la dégradation sociétale, tout entier absorbé par une myriade de problèmes insolubles liés à l’immigration de masse, au libéralisme, à la décadence sociale, etc.
Avec chaque année qui passe, il devient de plus en plus impossible d’arrêter la Chine, sans parler des autres. Plus les Occidentaux attendent, moins ils ont de chances de conserver leur pouvoir.
Mais il y a un gros problème :
Actuellement, ils sont sur le sentier de la guerre avec la Russie. Mais c’est une situation intenable pour eux, car si une guerre plus large éclatait, cela pourrait très bien affaiblir la Russie, mais seulement au prix d’une dégradation ou d’une destruction massive de leurs propressystèmes économiques et financiers, qu’il s’agisse d’un conflit nucléaire ou simplement d’une guerre conventionnelle plus large où les missiles de croisière conventionnels russes détruiraient les capacités de production de l’Europe sur l’ensemble du continent.
En d’autres termes, si l’on s’acharne sur la Russie, l’Occident sera également détruit, mais la Chine s’en sortira indemne. Cette situation est très inquiétante, car elle augmenterait encore l’avance de la Chine sur l’Occident. Les options sont donc limitées. La seule solution concevable est de créer une guerre mondiale géante ou une guerre sur deux fronts où ils essaieraient d’affaiblir simultanément la Russie et la Chine, mais c’est très risqué car cela pourrait pousser la Russie et la Chine à former une véritable alliance militaire, plutôt que le partenariat informel actuel. Une telle alliance pourrait s’avérer tout à fait imparable, car il n’y aurait aucune limite à leur coopération. La Chine pourrait fournir à l’infini des équipements militaires à la Russie et vice-versa. Imaginez, par exemple, que la Chine décide de ne plus vendre ses drones qu’à la Russie. Le conflit ukrainien prendrait fin instantanément. Ou que la Chine confie toutes ses capacités satellitaires à la Russie pour l’ISR (Intelligence Surveillance & Reconnaissance), le résultat serait le même.
Et rien ne dit que l’Occident ait les capacités de mener une guerre sur deux fronts contre ces deux pays. Il suffit de regarder cette Une d’aujourd’hui :
Joe Biden veut financer les armes pour Taiwan avec le budget pour l’Ukraine
À mon avis, l’Occident va essayer de faire du « en même temps », en déclenchant un conflit entre la Chine et Taïwan en espérant que les États-Unis et l’Occident pourront rester « dans les coulisse » et, sans subir de gros dégâts eux-mêmes, faciliter la destruction par Taïwan d’une grande partie du potentiel économique et productif de la Chine, afin de la faire reculer autant que possible, tout en créant des « crises » financières qui permettront aux institutions financières occidentales d’effacer en douce toutes sortes de dettes.
Par ailleurs, un conflit de longue durée, non seulement occuperait la Chine, mais il transformerait toute la zone de la mer de Chine méridionale en un cordon sanitaire qui mettrait la Chine sous embargo et restreindrait son commerce et son accès aux ports, détruisant ainsi son économie.
Le WashPost a publié il y a quelques jours un article sur un général de l’armée de l’air américaine convaincu que la guerre avec la Chine aura lieu dans deux ans et qui a « ordonné aux 110 000 soldats sous son commandement de se préparer à la guerre ».
« Mon instinct me dit que nous nous battrons en 2025« , clame-t-il avec désinvolture. Il est évident qu’il télégraphie les intentions des États-Unis. Ce sont les États-Unis qui contrôlent le bouton d’allumage de la guerre, pas la Chine. La Chine a déjà déclaré qu’elle recherchait l’union politique avec Taïwan, mais les États-Unis « déclencheront » la guerre comme toujours, comme ils l’ont fait pour la Russie et l’Ukraine, en appuyant sur les boutons appropriés et en utilisant leurs marionnettes taïwanaises pour se livrer à des provocations planifiées à des moments clés.
Il est cependant difficile de prédire comment cela va se passer parce que l’armée de la Chine n’a pas fait ses preuves ; elle fait bonne figure lors des défilés et des exercices, mais ce n’est pas très révélateur. Contrairement aux États-Unis et à la Russie, la Chine n’a pas eu beaucoup d’occasions de se faire les dents et d’affiner son équipement, ses techniques, etc.
Mais même si la Chine devait achopper lors de l’épisode taïwanais, cela ne ferait que retarder l’inévitable. La Russie et la Chine finiront par remporter leurs conflits respectifs et, à moins que l’Occident ne déclenche une troisième guerre mondiale avec un échange nucléaire, je ne vois pas l’Occident en sortir vainqueur car c’est tout simplement « trop peu, trop tard ».
Le plus probable est que d’ici 2030, l’Europe atteindra un niveau de dégradation tel que les partis politiques d’extrême droite/conservateurs/traditionalistes prendront le contrôle de la plupart des pays clés et limiteront considérablement l’ingérence des États-Unis.
L’UE pourrait alors trépasser et ces pays pourraient lentement rétablir un semblant de souveraineté, en reprenant des relations et des échanges normaux avec la Russie, la Chine, etc. A ce moment-là, ils seront considérablement affaiblis et redeviendront dépendants de la Russie et de la Chine sur le plan énergétique et économique. La Russie et la Chine sont très indulgentes et accueilleront donc tous les pays dans leur giron, ainsi que la République indépendante du Texas, la Floride et quelques autres nouvelles nations indépendantes qui s’engageront probablement dans leurs propres échanges et relations avec la Russie et la Chine, malgré les cris d’orfraie de Nancy Pelosi, qui aura alors 117 ans, et d’un membre quelconque de la dynastie Bush ou Clinton qui dirigera encore la coquille vide des États-Unis moribonds.
Simplicius le penseur
Article original en anglais :
https://simplicius76.substack.com/p/subscriber-mailbag-answers-8323-part
Traduction : Dominique Muselet
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Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca