par Benoit Tement
Le 22 août 2023 à Johannesburg marquera sans doute une étape importante dans l’histoire mondiale.
Les BRICS parleront de stratégie à long terme et proposeront peut-être une nouvelle monnaie internationale.
Cette stratégie sera-t-elle exclusivement dictée par l’affranchissement du Sud Global à l’influence occidentale ? Sera-t-elle axée sur les intérêts propres de ses membres, débarrassés d’une analyse conflictuelle des rapports à l’occident ? Serait-elle l’avènement de la révolution du prolétariat mondial réactualisée version romantique, version numérique ? Un peu de tout ? Nous n’en savons rien et d’autant plus que nous, en France, sommes mal placés pour la penser.
Les BRICS éviteront certainement une construction en négatif de celle de l’occident. On ne fera pas contre, en opposition, on fera différemment, optimalement.
Toujours est-il que paradoxalement et contre-intuitivement j’espère la réussite de ce sommet, et par conséquent j’attends son corolaire : la destruction de notre économie et in fine de notre gouvernance. Ce passage est obligé pour nous débarrasser de la clique Macrondialiste et recouvrer l’espoir de voir la France en phœnix se reconstruire autour de nos intérêts nationaux. Les BRICS replaceront donc nos pavés puisque la révolution est impossible.
Un pour tous, chacun pour soi !
Pourtant les BRICS portent en eux-mêmes nombre de contradictions. C’est un peu comme le club des Cinq. Chacun apporte au tout ses différences pour résoudre une énigme. Mais contrairement aux romans pour jeunes lecteurs, les BRICS constituent surtout un contrepouvoir. Chaque pays continuera donc à promouvoir son propre intérêt, parfois en concurrence avec un autre membre du groupe :
Le Brésil dépend économiquement des Etats Unis et doit donc modérer ses engagements.
L’Inde et la Chine ont des conflits territoriaux non résolus (Affrontement de Doklam en 2017) et l’Inde a peur du «collier de perles», un ensemble d’infrastructure chinoises encerclant complétement l’Inde, dans le cadre de sa «Route de la Soie».
L’Afrique du Sud n’a pas la taille critique et hésite à quitter l’occident, grand client minier en particulier.
Finalement, ce qui était un regroupement de pays en devenir il y 20 ans est devenu une puissance politique qui dépasse de loin par l’espoir économique qu’elle fait naître dans le monde et ses possibilités politiques ce que le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde avaient eux-mêmes imaginés.
La Russie, est en guerre, et donc utilise tous les moyens pour affaiblir l’occident :
- En étant le fer de lance de la dédollarisation.
- En jouant sur les liens tissés lors de la décolonisation pour s’allier l’Afrique.
- En dressant contre l’occident «décadent» une communication forte axée sur le respect des valeurs de la famille, des cultures, religions, et des peuples.
- En occupant les terrains :
- Diplomatiques (ouvertures d’ambassades, respect du protocole pointilleux),
- Médiatiques, (essaimage de TASS et partenariat, RT, Sputnik),
- Militaires. (Nombreux accords de coopération, de formation et d’armement, sans parler de l’influence de Wagner)
- Culturels (augmentation du nombre d’étudiants en Russie, ouverture de centre culturels). L’industrie du cinéma reste cependant à mettre à la hauteur des autres arts où la Russie a déjà ses lettres de noblesse.
- Sportifs (invitations aux Jeux Mondiaux de l’Amitié).
- Économique (accords céréaliers, investissements dans les réseaux énergétiques, miniers, abandon de créances sur les pays les plus faibles.)
En termes d’échanges, que peut fournir l’Afrique à la Russie qu’elle n’aurait pas ? La Russie pratique donc ici une guerre d’influence qui parachève le caractère global du conflit en dérobant des pays, des populations entières à l’hégémonie chancelante américaine : il s’agit bien d’un conflit mondial civilisationnel.
Quant à la Chine, elle continue son expansion commerciale. L’Afrique peut donc échanger valablement matières premières contre biens de consommation, infrastructures et investissements. La dynamique de la Chine est donc très différente de celle de la Russie.
Il semble que la Chine et la Russie se soient réparti en ce moment les zones d’influences : à la Chine, l’Amérique centrale et du Sud, à la Russie, l’Afrique et ensemble à l’OCS, l’Asie centrale.
Reconnaissons que la Chine et la Russie, à elles seules, pourraient vivre et se développer en autarcie complète. C’est probablement en partie cette duplicité invisible mis en œuvre il y plusieurs décennies qui a permis à la Russie d’être prête à relever en même temps les défis militaires et économiques.
Il est donc logique que face à la frilosité de 3 des 5 associés, les deux autres s’engagent dans des partenariats bilatéraux et à travers des organisations plus régionales (conférence Russie Afrique, OCS, UEEA, BRI, etc.). La visibilité de ce travail est moindre. Tous les projecteurs se tournent maintenant vers l’Afrique du Sud et son sommet BRICS de fin août, mais la diplomatie russe et la Belt Road Initiative chinoise ont déjà bien érodé le monopolistique état du monde.
Les Candidats BRICS+
La politique des BRICS doit s’inscrire dans le long terme. C’est une question de survie pour la Russie et la Chine et une question d’espoir pour les autres acteurs.
Il s’agit donc de poser lentement mais sûrement les bases du monde de demain. En effet, la moindre erreur, la moindre précipitation sera exploitée avec avidité par l’occident. Il en va de même pour la guerre en Ukraine. La lenteur est ici un gage d’efficacité tout comme la détente adiabatique en thermodynamique présente le meilleur rendement énergétique.
La tâche sera ardue : en effet le profil des BRICS et des candidats déclarés (pour ne tenir compte que d’eux) est pour le moins hétéroclite. Nous pouvons les passer au crible de :
- La puissance économique
- L’endettement.
- Les animosités rémanentes (Inde/Chine, Iran /Arabie saoudite, etc.)
- La richesse en matière première.
- Degré de développement social, culturel et de l’éducation / Aspiration des populations.
- Type de gouvernance
Statistiques :
Pour appréhender un peu plus précisément la difficulté à construire un monde d’après, j’ai effectué quelques calculs statistiques.
J’ai trouvé intéressant de comparer les BRICS, les candidats BRICS++ et une communauté bien connue de pays : l’Union européenne.
J’ai donc calculé la moyenne et l’écart type des PIB. J’ai fait ce calcul pour les 24 pays intéressés par une adhésion BRICS, pour les 5 BRICS historiques, et pour les 27 membres de UE. Mes données sont celles de Wikipédia.
La notion de PIB en Dollar de chaque nation est contestable car elle ne représente pas les proportions relatives des secteurs primaires, secondaires et tertiaires des pays. Il faudrait adjoindre à chaque secteur des coefficients correctifs, valorisants le secteur secondaire pour estimer la capacité économique structurelle de chaque pays, capacité à résister à un test crash.
Voici le tableau résultant de ce travail, en annexe la liste des 29 pays possiblement candidats aux BRICS.
Constats intéressants :
• Le groupe des candidats BRICS a donc une homogénéité meilleure que les BRICS historiques et que les 27. Du point de vue du PIB, l’intégration des candidats BRICS semble donc possible puisque la dispersion de leur PIB est inférieure à celle des 27 aujourd’hui. Il ne s’agit bien sûr que d’un des paramètres à prendre en ligne de compte. De plus l’intégration se fera chronologiquement en privilégiant les candidats les mieux placés.
• Le ratio des PIB moyens entre les 27 et les candidats est de 1.75 ce qui est faible au regard du même ratio au BRICS : 15 ! Les candidats BRICS confondus ne sont donc pas si loin de rattraper les 27 en termes de PIB, d’autant plus que l’effet d’une croissance durable cumulatif est à mesurer sur une échelle logarithmique.
• La moyenne du PIB des candidats BRICS est 15 fois inférieure à celle des BRICS historiques. Ce ratio est imposant. Il participe à l’idée que les BRICS ont les moyens de leurs ambitions.
En conséquence, la stratégie que mettra en place les BRICS sera indubitablement liée à différents paramètres dont la priorisation sera le travail central.
1er paramètre : La Nouvelle Banque de Développement
Ce que ne nous disent pas les statistiques c’est le nom des futurs lauréats au titre de BRICS+. Pour reprendre la notion de lenteur adiabatique, je pencherai plutôt pour une approche financière. L’outil économique qui ne devra pas décevoir les futurs adhérents est la Nouvelle Banque de Développement. Donc logiquement, place sera faite aux contributeurs potentiels à l’institution : en tête l’Arabie Saoudite, l’Indonésie et le Mexique.
2ème paramètre : Une monnaie de remplacement
La sagesse des stratèges les poussera surement à la prudence. Le choix d’une monnaie engage sur le long terme alors que s’accélèrent les changements géostratégiques du monde. Il est prévu que cette putative monnaie soit garantie, sur des fonds en or. Nous n’en savons guère plus. En revanche la dédollarisation par l’utilisation de monnaies locales sera encore d’avantage préconisée.
Il sera probablement proposé lors du sommet de cet été une ou plusieurs nouvelles solutions pour échapper à SWIFT, l’ex-monopole de transfert interbanques.
3ème paramètre : Un Outil Juridique
Ce que cherchent les candidats BRICS, et cette quête est commune, c’est la mise en place de lois internationalement reconnues et appliquées. Les Nations unies ont été discréditées par son inféodation à la superpuissance du monde d’avant. Les exemples sont nombreux et pas toujours connus du grand public :
- OMS : le scandale du vaccin, le passeport sanitaire.
- HCDH (Droits de l’Homme) n’est pas perçue comme impartiale.
- Tribunal Pénal International lent peu efficace, accusé d’être partisan n’est reconnu ni par les États-Unis ni par le Russie.
- PAM/WFP qui permet aux US d’écouler son surplus agricole et déstabilise gravement les structures agricoles préexistantes
- Kyrielle de Mission de casques Bleus, peu motivés et de plus en plus rejetés par les pays où ils officient (Mali/MINUSMA), RDC/MONUSCO, Serbie/MINU).
- Résolutions onusiennes contre Israël sans effet.
La Russie et la Chine pensent que les Nations unies sont indispensables à un monde apaisé mais il faudra passer par une régénération de son personnel trop atlantiste, et une révision du Conseil de Sécurité.
Les BRICS proposent un cadre juridique simple et rassurant. Cet outil pourra rapidement être mis en place pour peu de frais.
Conclusion
Les cinq apprentis mécaniciens, à partir d’une trentaine de pièces détachées hétéroclites, sans schéma de montage, vont tenter de construire le monde d’après.
Bon courage.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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