Dans son dernier article publié le 22 juillet dernier [*], le patriote syrien Naram Sarjoun a exposé la dure réalité vécue par les Syriens de l’intérieur du fait de la guerre économique féroce menée par les États-Unis et l’Union européenne. Une réalité tragique qui a fini par le pousser à reconnaître publiquement que les responsables de l’économie syrienne sont en échec au risque de satisfaire les ennemis de la Syrie ; lesquels, faute d’avoir gagné leur guerre militaire, cherchent toujours à soulever le peuple contre l’État syrien en le spoliant de son blé, de son pétrole, tout en tuant sa monnaie, le privant ainsi des nécessités de la vie quotidienne.
Sans jamais renier la résistance têtue de son pays, Naram Sarjoun s’adresse ici aux Syriens qui se laissent bercer par les illusions fabriquées par les États-Unis et pensent pouvoir échapper à l’effondrement économique et à la pénurie de leurs ressources vitales, en se révoltant contre l’État syrien. Une révolte qu’ils feraient mieux de diriger contre le prédateur américain qui occupe, vole et détruit leur pays directement ou par procuration.
Mouna Alno-Nakhal
LES USA ET LA FABRIQUE DES ILLUSIONS
L’Amérique est une fabrique de mensonges. Son expérience en la matière est telle qu’elle a entraîné la défaite des Amérindiens qui ont cru aux mensonges de ses premiers fondateurs. Dès lors, le mensonge est devenu l’un des axiomes les plus importants de la politique américaine, depuis le mensonge de l’atterrissage sur la Lune jusqu’au mensonge sur la Guerre des étoiles auquel ont cru les camarades communistes.
L’Amérique entretient cette arme dangereuse du mensonge, à partir de laquelle elle a inventé la théorie des guerres de quatrième génération. Une théorie mise en application là où une société ou une partie de société adopte l’illusion recherchée au point de finir par y croire avec conviction, puis certitude. C’est le moment attendu par l’Amérique pour appuyer sur le bouton des déflagrations et explosions qui s’étendent et interagissent.
Au cours de la guerre sur la Syrie, certains Syriens ont avalé l’illusion d’un changement par la force révolutionnaire, puis l’illusion de l’Islam comme unique solution, puis l’illusion du califat islamique venu de Turquie, et les illusions se succédant, la guerre est devenue un champ d’illusions et de mines.
Aujourd’hui, les Américains ont répandu une illusion dangereuse parmi le peuple syrien, à savoir que l’échec de l’économie syrienne est uniquement dû à l’immobilisme du gouvernement et à la corruption, que les mesures d’austérité du gouvernement sont dirigées contre les pauvres, lequel serait un gouvernement des riches, des monopoles et des hommes d’affaires. La somme des colères du peuple étant ainsi dirigée vers la confrontation avec l’État, l’occupant américain et ses décisions de resserrement du blocus n’auraient aucun rôle dans cette détresse économique, alors que les pressions américaines ciblent particulièrement la côte syrienne parce que cette région n’aurait pas eu son lot de destruction, possède une importante réserve de patriotes, et accueille les Russes.
Les Russes que les Américains ont besoin de harceler en retournant le milieu environnant contre eux. Lequel milieu en est arrivé à considérer que le manque d’approvisionnement en carburant est dû au non-respect des Russes de leurs obligations envers le peuple syrien qui a parié sur eux et leur a offert tout ce qu’ils ont demandé sur les eaux chaudes de la Méditerranée.
Par le passé, le plus difficile était de convaincre le public favorable à la soi-disant révolution syrienne qu’il était dupé, qu’il y avait un complot et qu’une grande partie des incitations à la révolte visait à semer la discorde et à détruire l’État ainsi que la société. Nous ne pouvions créer la moindre brèche dans l’esprit d’un tel révolutionnaire par n’importe quel argument, preuve ou logique.
Aujourd’hui, c’est la faction favorable à la confrontation avec l’État, en raison de la situation économique, qui s’obstine à rejeter toutes les évidences, de telle sorte qu’il est tout aussi difficile de la raisonner, bien que les propositions de cette nouvelle faction prolétarienne soient complètement différentes de l’ancienne faction prétendument révolutionnaire. Néanmoins, ces deux factions ont une même obstination, un même rejet de toute logique et un même degré de certitude, car le fabricant des deux esprits rebelles est le même : le génie américain de la fabrication des illusions et de la déconstruction des sociétés ; une science par excellence de l’esprit anglo-saxon.
Les égarés par n’importe quelle illusion peuvent continuer de rêver, mais ils ne peuvent répondre à la seule question qui les défie. C’est la question éternelle posée à l’ennemi par Antoun Saadé surnommé le chef: « Qui a apporté tout ce malheur à mon peuple ? ».
LES USA ET LA FABRIQUE DU PROLÉTARIAT
Pourquoi toute cette pauvreté, ce blocus, ce chaos, cette destruction de toutes les infrastructures et cette confiscation du blé et du pétrole ? La réponse est claire : pour aboutir obligatoirement à un affrontement entre le peuple et l’État, car la pauvreté engendrera encore plus de pauvreté. Et l’extension de la pauvreté conduira à l’accumulation de la corruption et déclenchera une hideuse inégalité de classe, tandis que la concurrence entre les secteurs productifs engendrera une nouvelle classe dominante de profiteurs parasites comme cela se produit inévitablement au cours des guerres ; ce qui est un carburant efficace pour pousser au conflit entre les différentes classes de la société ainsi perturbée.
En d’autres termes, conformément aux théories de Marx, ce qui se passe correspond à un processus de fabrication forcée d’un prolétariat où la pauvreté est produite de manière artificielle. Une pauvreté qui change les gens, change les slogans, divise les rangs et les allégeances, change les esprits et les cœurs, afin d’aboutir au jaillissement des étincelles de la rébellion contre l’État.
QUEL PEUPLE A ACHETÉ LES ILLUSIONS AMÉRICAINES ET EN EST SORTI GAGNANT ?
Nombreuses sont les questions que nous devons poser à ces égarés ; notamment : quel peuple a acheté les illusions américaines et en est sorti gagnant ? Seraient-ce les Irakiens, les Égyptiens, les Libyens, ou les Islamistes eux-mêmes ?
Actuellement, l’illusion vendue aux Syriens est que les inconvénients du « régime » l’emportent sur ses bienfaits, qu’il est désormais une vache traite par les corrompus sans une goutte de lait à offrir au peuple et, par conséquent, qu’il faudrait le laisser dévorer par les hyènes. C’est comme qui dirait au Syrien : dépose ton arme et laisse les corrompus tuer la vache qui ne te nourrit plus, ou prend l’initiative de l’égorger toi-même.
Une illusion grâce à laquelle les Américains ont réussi à empoisonner l’opinion publique. Désormais, ils se tiennent dans les coulisses en attendant que les Syriens produisent cette même scène surréaliste qui n’a besoin que d’un changement du slogan adopté au début des événements. Lequel slogan était dirigé contre Rami Makhlouf [cousin maternel du président Bachar al-Assad] que les chaînes satellitaires tenaient pour responsable du pillage du peuple syrien pour le compte de la famille Al-Assad, en exploitant ses investissements pour inciter à la révolte sous prétexte que le peuple réclame sa liberté et ses richesses. Cette incitation fut la cause de la noirceur infernale qui a envahi le pays.
Aujourd’hui, Rami Makhlouf a disparu des slogans révolutionnaires et des médias américains, d’où la nécessité d’une alternative qui inciterait à la révolte de la rue initialement favorable à Rami Makhlouf. Des noms, des légendes et des rumeurs circulent, certaines réelles et d’autres imaginaires, pendant que les Américains attendent tranquillement la poussée de la nouvelle illusion pour récolter ses fruits.
Pour résumer, il y a actuellement deux illusions dominantes : l’illusion américaine et l’illusion populaire arabe ; la première se nourrissant de la seconde. Autrement dit, l’illusion américaine lancinante de réussir à contrôler l’Orient depuis Damas est nourrie par les illusions des peuples arabes et de certains Syriens.
Or, l’illusion des peuples arabes alimentée par les mensonges est une arme anglo-saxonne utilisée depuis la « Grande révolte arabe » (1916-1918) menée par Lawrence d’Arabie et encouragée par le gouvernement britannique qui a trompé les Arabes en leur promettant un État indépendant et unifié, alors que la révolte n’avait pas pour but de les libérer, mais de les transférer d’une occupation ottomane à une occupation européenne franco-britannique. C’est ainsi que le poison envahit les veines de celui qui n’analyse pas l’illusion mais se contente d’y croire.
Puis, lors des guerres pour la Palestine (1948-1949), les Arabes sont passés d’une illusion à l’autre sur les promesses et les trêves britanniques jusqu’à ce que l’État juif mûrisse et devienne une vérité. C’est ainsi qu’en 1967, les armées arabes se sont retirées des combats dans l’illusion que l’armée israélienne était invincible.
Ensuite, c’est Anouar al-Sadate et une partie du peuple égyptien qui se sont laissés convaincre par l’illusion de la paix avec Israël qui rendra l’Égypte riche et prospère, sous prétexte que le soutien de la Palestine l’appauvrit. L’équipe de « Camp David » a vendu cette illusion (1978). Mais l’Égypte n’est pas devenue riche, elle est plutôt devenue l’un des pays les plus pauvres au point qu’elle ne peut même pas empêcher le vol des eaux du Nil, tandis que le Qatar peut la provoquer et qu’Erdogan ose la défier depuis la Libye.
De même, Yasser Arafat et une partie du peuple palestinien ont été convaincus par l’illusion que les Syriens les avaient précédés par la conclusion d’un accord avec les Israéliens et que seuls les « Accords d’Oslo » (1993) pourraient les sauver. Yasser Arafat s’est alors précipité vers l’illusion de la « paix des braves » et n’a tenu compte que de ce qui n’était qu’une illusion. La preuve en est l’expansion d’Israël sur les terres d’Oslo et le fait que la Cisjordanie était plus libre et plus palestinienne avant Oslo.
Et lors de la guerre Irak-Iran (1980-1988), les Anglo-Saxons ont trompé Saddam Hussein et une partie du peuple irakien en prétendant vouloir les aider à restaurer l’Arabistan pour se venger de Khomeiny. Les Irakiens ont cru à cette illusion pour finir par découvrir que le but n’était pas de restaurer l’Arabistan, mais de ramener le conflit arabo-persan éteint depuis des centaines d’années sur le devant de la scène, afin de frapper les deux plus importantes puissances montantes en Orient.
Les Américains ont une fois de plus trompé les Irakiens lors de la première guerre du Golfe (1990-1991) en leur assurant qu’ils ne s’opposaient pas à leur incursion au Koweït. Et le comble de l’illusion fut que le peuple irakien en arrive à penser que remettre son pays aux Américains en abandonnant le combat, aux côtés de son État, résoudrait ses problèmes de liberté et de démocratie, briserait le blocus et la faim, et mettrait fin à l’histoire irakienne ; en l’occurrence, à la petite histoire de Saddam Hussein. Plus tard, il s’est avéré que la petite histoire sanglante et la java de l’horreur ont commencé lorsque la petite histoire de Saddam Hussein est arrivée à sa fin. Ce qui fut le début d’autres petites histoires : celle de la guerre sunnite-chiite, celle des Kurdes, celle du terrorisme de Daech… Depuis, les Irakiens ne sont certes pas rassasiés de liberté et [vu le caractère sectaire de leur nouvelle constitution dictée par l’administrateur américain en Irak, Paul Bremer ; NdT] ils se retrouvent divisés et répartis entre les chefs des différentes confessions et ethnies, tandis que la corruption est devenue endémique.
À son tour, le peuple libyen s’est enivré de l’illusion que les jours de Kadhafi étaient terminés (2011) et que la construction d’un État moderne avait commencé. Aujourd’hui, nous constatons que les jours du peuple libyen se sont terminés entre un groupe de voyous et des factions armées qui se combattent, alors qu’il se retrouve sans chef d’État mais avec deux gouvernements ; chaque gouvernement ayant des directeurs exécutifs dans les pays du Golfe, dirigés par des directeurs exécutifs en Europe, eux-mêmes dirigés par des directeurs exécutifs aux États-Unis d’Amérique.
L’illusion de la liberté et de la démocratie est donc la marchandise américaine vendue à l’Irak et aux peuples censés vivre un prétendu printemps arabe. Mais tous ceux qui ont couru après ces illusions se sont retrouvés déçus et ont beaucoup perdu.
QUE FAIRE ?
Étant donné que les Américains sont des fabricants d’illusions, rien n’arrêtera leur fabrique à moins de frapper celle qui se trouve au nord-est de la Syrie [la région d’« Al-Jazira » pour les Syriens ; NdT]. La récupération des richesses de cette région rétablira l’équilibre des classes, réduira l’accumulation des corruptions et des corrompus en bloquant leur monopole et leurs accointances avec les responsables au sein des autorités gouvernementales et les classes parasites apparues à l’ombre de la guerre et de ses contradictions.
Et le prolétariat, fabriqué par le blocus américain et ses pressions économiques, fait qu’un « prolétariat miséreux » commence à apparaître au milieu du chaos ainsi provoqué et appelle à la rébellion. Une rébellion qui doit être dirigée vers l’Est du pays, afin de frapper et détruire le nid de la corruption et de la pauvreté nourri et entretenu par le prédateur américain.
Il est donc indubitable que la guerre se rapproche des Américains occupant l’Est syrien. C’est la raison même du renforcement de leur mobilisation sur tous les fronts.
Naram Sarjoun
2023/07/31
Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
Source ; le blog de l’auteur
سباق بين الأوهام .. اميريكا وصناعة البروليتارية في سورية .. من الذي جلب كل هذا الويل على شعبي؟
[*][Syrie / La nécessaire bataille contre le daechisme du dollar US
Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
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