par Gilbert Doctorow
Après trois semaines de voyage dans le nord-ouest de la Russie, en observant les gens et les conditions de vie quotidienne dans mon entourage, je réponds à la question du titre par «oui et non».
D’une part, la société de consommation se porte bien. Les supermarchés sont bien achalandés. En Europe, la Russie a connu le mois dernier le taux d’inflation le plus bas dans le secteur des produits alimentaires : zéro pour cent. Lorsque vous lisez des articles sur les interdictions d’exportation d’un produit ou d’un autre, comme l’interdiction des exportations de riz imposée aujourd’hui par le Kremlin, la raison se trouve dans le monde extérieur, et non en Russie même. Le Kremlin a réagi à l’interdiction d’exporter du riz récemment annoncée en Inde, qui a fait grimper les prix mondiaux et a entraîné la vente à l’étranger de riz russe dont le pays avait besoin si les marchés avaient été laissés à leur propre initiative.
Entre-temps, on nous dit que la récolte de céréales en Russie cette saison pourrait bien afficher un excédent record, en dépit de toutes les anomalies climatiques à l’échelle mondiale et au sein de la Fédération de Russie. La Russie représente 20% de l’approvisionnement mondial en céréales, l’Ukraine seulement 5%. Dans ces conditions, la Russie peut facilement répondre aux besoins mondiaux même si l’Ukraine n’exporte pas un seul boisseau de blé.
Dans un secteur de consommation très important, celui de l’automobile, la réorganisation de l’offre de l’Europe au profit de la Chine s’est faite presque sans heurts. Les voitures haut de gamme de la RPC sont de plus en plus visibles à St Pete au fil des semaines. Sur les routes principales menant à la ville, je vois de nouveaux concessionnaires de marques chinoises ouvrir ici et là. J’ai testé ces voitures dans des flottes de taxis et elles sont vraiment impressionnantes, non seulement pour moi en tant que passager, mais aussi d’après les remarques des chauffeurs.
Certes, le rouble est faible et plusieurs entreprises d’électronique grand public ont annoncé des hausses de prix sur les appareils importés d’Occident. Cette faiblesse a des causes liées au déplacement du commerce des hydrocarbures de l’Europe occidentale vers l’Asie, où les règlements des contrats ne sont pas libellés en dollars. Il y a donc moins de dollars et d’euros mis aux enchères sur la bourse intérieure russe et le prix de ces monnaies a suivi les offres.
Par ailleurs, malgré la faiblesse du rouble, je suis chaque jour surpris de voir que du bar importé de Turquie ou du vin de Bourgogne français de première qualité sont en vente dans les supermarchés de Pétersbourg à des prix inférieurs de moitié à ceux que nous payons en Belgique pour des produits similaires.
D’autre part, il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre que le pays est en guerre, compte tenu des annonces de recrutement désormais omniprésentes qui incitent les hommes à s’engager comme soldats «contractuels» pour la guerre. Je dis «hommes», car les panneaux publicitaires, les affiches et les spots télévisés s’adressent tous à des hommes. Ils disent au lecteur que «le combat est un métier d’homme».
L’appel est ouvertement et catégoriquement sexiste. Mais il ne fait qu’accentuer les aspects positifs : «rejoignez vos camarades», etc. À en juger par les mannequins de ces publicités, les hommes qui s’inscrivent semblent avoir entre 20 et 30 ans, et une deuxième tranche entre 40 et 50 ans… Il n’y a aucune allusion au fait que ceux qui ne s’inscrivent pas sont des tire-au-flanc, des lâches ou des mauviettes.
À Saint-Pétersbourg et dans les environs, on voit beaucoup plus d’annonces de recrutement que de soldats en uniforme. Dans mon quartier périphérique de Pouchkine, nous avons plusieurs académies militaires et le matin, on peut donc apercevoir une section en train de faire sa course matinale. Mais ce n’est pas nouveau.
L’autre jour, dans un train de banlieue, nous étions assis juste en face d’un jeune soldat d’une vingtaine d’années. Alors que l’image vestimentaire de ces hommes était triste il y a une dizaine d’années, je peux dire que l’uniforme de ce jeune homme était très élégant. Et il avait une attitude pleine d’assurance.
Ce que l’on ne voit pas, c’est un militaire portant les armes en zone civile.
Malgré l’appel aux mâles alpha, les journaux télévisés nous apprennent également que des femmes servent dans les forces armées. Nous voyons parfois des interviews de femmes pilotes de l’armée de l’air. Mais le thème dominant en ce qui concerne les femmes est qu’elles servent en tant que médecins ou infirmières qui peuvent soigner des soldats blessés sur le terrain sur le chemin du retour vers les hôpitaux du centre de la Russie. Elles sauvent des vies, elles n’en prennent pas.
Entre-temps, pour ceux qui peuvent supporter de regarder les informations sur la guerre à la télévision, le récit a changé, en particulier au cours de la semaine dernière. Jusqu’alors, les informations sur les dégâts matériels et corporels causés par les bombardements ukrainiens quotidiens sur la ville de Donetsk et d’autres villes du Donbass occupaient une grande partie des bulletins d’information. Désormais, l’accent est mis sur les destructions que les forces russes infligent aux Ukrainiens, alors que Kiev mène des attaques de plus grande envergure et met en jeu ses réserves stratégiques, notamment dans la région de Zaporijia. La nouvelle offensive ukrainienne ne semble pas mieux réussir que les manœuvres exploratoires précédentes à percer les lignes de défense russes très denses.
Les experts militaires russes des principaux talk-shows qui, il y a une semaine, faisaient preuve d’une grande réserve pour prédire l’évolution du conflit de peur que les Russes ne soient trop confiants, semblent aujourd’hui radieux et prêts à confier que les Ukrainiens n’ont jamais reçu l’équipement dont ils avaient besoin pour que leur contre-offensive soit un succès.
Comme je l’ai noté dans un récent essai, le commandement militaire russe a attendu qu’il soit certain que l’Ukraine engageait déjà ses réserves dans la bataille et qu’elles seraient bientôt épuisées. Ce moment approche à présent. Nous constatons que les Russes lancent une offensive dans le nord-est, dans la région de Kharkov.
Il y a de bonnes raisons de croire que l’avancée russe autour de Kharkov donne des résultats. La semaine dernière, il a été question de commencer les travaux de reconstruction dans la région frontalière de Belgorod, où les Ukrainiens ont fait des incursions armées il y a six semaines à partir de Kharkov et ont détruit ou endommagé un grand nombre d’habitations par des tirs d’artillerie. La Russie a lancé le signal qu’il fallait prendre Kharkov et mettre fin à ces calamités. De toute évidence, les militaires russes parviennent à faire taire les canons ukrainiens.
Dans ce contexte de changements dans la répartition des forces en faveur de la Russie, je suis stupéfait que les observateurs et les commentateurs américains et autres n’en prennent pas note. Un très bon exemple de cet aveuglement ou de cette ignorance est l’article publié la semaine dernière par Katrina vanden Heuvel, propriétaire et éditrice de The Nation, et James Carden, dont on peut dire qu’ils représentent les opinions prétendument éclairées des démocrates progressistes aux États-Unis. Les co-auteurs ont appelé à des pourparlers de paix basés sur des compromis entre les deux parties au conflit. En particulier, l’Ukraine accepterait la neutralité et la Russie paierait des réparations de guerre. Des réparations de guerre !
Ces auteurs, comme tant de «têtes parlantes» en Occident, n’ont pas les compétences linguistiques nécessaires pour accéder aux sources d’information russes par leurs propres moyens. Ils dépendent entièrement des propagandistes du département d’État pour obtenir les faits bruts à partir desquels ils peuvent élaborer leurs propositions, aussi raisonnables soient-elles. Je soutiens humblement que cette guerre se terminera soit selon les termes de la Russie, soit par une escalade due aux erreurs de calcul et à l’obstination des Américains, au point d’aboutir à un échange nucléaire qui mettrait en péril la survie de l’humanité.
Pendant ce temps, le secrétaire d’État Antony Blinken déclare aux journalistes que les risques d’extinction de l’humanité par une guerre nucléaire ne sont pas plus grands que les dangers auxquels l’humanité est confrontée en raison du changement climatique. Goebbels serait fier de lui.
source : Gilbert Doctorow
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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