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par Mendelssohn Moses
Une étude de Benoist Bihan et Jean Lopez.
Au printemps de 2023, presque exactement un an après le lancement de la SMO dans l’ex-Ukraine, parut l’une des premières études soutenues en langue française de l’œuvre de Alexandre Svietchine (1878 – 1938 (?)).
Emprisonnés sans jugement pendant des mois en 2020 et 2021 – cela s’appelait «confinement» – Messieurs Bihan et Lopez, analystes de la chose militaire sans toutefois être des pratiquants, ont ainsi eu loisir d’échanger des centaines de courriels concernant «l’art opératif» (operativnoe isskoustvo) soviétique. Ils en ont décidé de faire un livre, adoptant le format surprenant de 356 questions-réponses, ce qui facilite pour le profane que je suis, la compréhension de ce sujet ardu.
(Notons en aparté que cet ouvrage n’a peut-être pas été largement commenté par la presse non-conforme : en effet, pour motif inconnu M. Bihan semble louvoyer par rapport à l’actuel conflit dans l’ex-Ukraine. Laquelle ambiguïté serait-elle en rapport avec son admiration affichée pour Henry Kissinger et la faction dite «réaliste» US ?)
Quoi qu’il en soit, tout ce que Papa Mendelssohn exige de la lecture d’un livre, c’est que celui-ci le fasse penser. Et c’est réussi.
L’art opératif pensé par Sviétchine «est d’une portée universelle».
Né à Odessa dans l’ex-Ukraine, fils d’un général du Tsar, celui qui sera le major-général Sviétchine a servi lui-même comme officier d’artillerie dans l’armée impériale au cours de la guerre russo-japonaise (1904-1905) et de la Première Guerre mondiale (où il commanda le Front du Nord), avant de rallier la Révolution en 1918 à quarante ans.
D’abord chef de l’état-major de campagne bolchévique, Alexandre Andreïévitch Sviétchine est rapidement nommé enseignant à ce qui deviendra l’Académie Frounze. Sa première mission : analyser les enseignements de la guerre de ‘14. Sviétchine y vit non seulement une révolution tactique mais l’importance capitale de maîtriser la logistique ainsi que la dimension politico-sociale. Polymathe, grand studieux, il saisit le flambeau que lui tendait métaphoriquement von Clausewitz et publia en 1927 «Strategia», dont il n’existe pour l’instant aucune traduction française ; la traduction anglaise de 1992 est épuisée. Seuls le Colonel David Glantz et en France, Laurent Henninger, ; y avaient prêté une attention soutenu avant le tandem Bihan-Lopez.
Titulaire de la Chaire de Stratégie à l’Académie militaire de Moscou dès 1923, Sviétchine inventa le terme d’«art opératif», défini comme «organiser l’activité militaire en opérations sur la base des buts du stratège». Affichant de notables différences avec la pensée du Maréchal Toukatchevski – aristocrate dont la beauté autant que les frasques ont hypnotisé l’Occident – Sviétchine dans ses écrits est strictement non-idéologique. Il prend la réalité soviétique de l’époque en compte telle qu’elle est : enseignements de la guerre civile, faibles institutions, désorganisation et insécurité intérieure, factions hostiles, risque de pénuries – et contemple la possibilité de buts limités à toute éventuelle guerre, toujours vus du point de vue de l’intérêt supérieur de la nation. Sa priorité est de saisir quels seraient les véritables objectifs de la guerre, tant pour la patrie que pour l’adversaire, plutôt que de poursuivre l’étoile filante d’un communisme conquérant et ne reconnaissant aucune frontière, servi par les seules guerres d’annihilation.
Dans la pensée de Sviétchine, la stratégie dite «d’annihilation» (Vernichtungstrategie) comme celle dite «d’attrition» (Ermattungsstrategie – deux termes pris chez le Prof. Hans Delbrück) ne sont pas, dans une guerre réelle, des objectifs opposés, mais des formes stratégiques, à manier selon l’objectif supérieur poursuivi par le Souverain. Cela n’exclut absolument pas, ainsi que nous le voyons en Russie en ce moment, le recours à la diplomatie.
Pour autant que les citations que donne «Conduire la Guerre» la reflètent, la pensée de Sviétchine semble empreinte d’une poésie homérique :
«En temps de guerre, le stratège doit faire face à la volonté contraire de l’ennemi, à différentes sortes de friction et à la manifestation anarchique de puissants développements au sein de la base politique et au front. Il est extrêmement difficile d’identifier le chemin le plus direct, le plus commode, le plus vrai et le plus logique vers le but ultime dans ces conditions (…) le déploiement des forces armées des deux camps dans un théâtre de guerre ne constitue qu’une partie des considérations qui doivent guider le stratège. Il doit être capable de saisir le futur de la guerre au moins en partie et de prédire les missions du futur proche… les pensées d’un stratège devraient être dégagées des détails d’une opération pour saisir les phénomènes les plus importants se produisant à domicile et dans la profondeur lointaine de l’ennemi ; ce n’est qu’un saisissant la nature de l’évolution de la vie des États hostiles dans son ensemble que le stratège peut être capable de lever au moins partiellement le voile du futur et assigner aux Fronts et aux armées leurs tâches avec une relative confiance».
Et encore «Bien que les «peut-être» nous soient insupportables, il n’est pas douteux que la chance affectera la course des évènements».
Avant de dessiner les contours de l’art opératif, Bihan et Lopez distinguent nettement la notion de Souverain de celle de Stratège : ce dernier, «agent des autorités» et non simple «technicien de la chose» comme aux USA, est chargé des objectifs de la guerre fixés par le Souverain : «employer les combats favorablement à la guerre». Le chaos qu’expérimentent les forces françaises en Afrique montre bien la confusion des genres lorsque les intérêts dits «nationaux» sont de facto privés, donc opaques. Or, Sviétchine n’entretenait aucun doute quant aux intérêts de la nation qu’il se devait de défendre.
La dernière partie du livre des Messrs. Bihan et Lopez est consacrée à une critique en règle de l’américanisation de la pensée française, et le vide sidéral, béant là où devrait surgir la notion de patrie et de peuple.
Condamné à mort pendant les Purges de Moscou (1936-1938), Sviétchine disparut. Churchill a-t-il alors sabré le champagne ? En tout cas, sa tombe est inconnue. Cependant son enseignement et ses écrits eurent une influence décisive sur ceux qui survivront aux Purges, et notamment sur le Maréchal Chapochnikov.
Ne disposant nullement de l’expertise qui lui auraient permis de résumer de façon intelligible pour le lecteur la discussion des campagnes et des batailles que proposent nos deux auteurs, Mendelssohn préfère poser la plume ici et vous invite à découvrir dans «Conduire la Guerre» un homme, A. A. Sviétchine, «without which, not».
Mendelssohn Moses
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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