Auteur(s) Laurence Beneux, France-Soir. Publié le 20 juillet 2023 – 17:00. Mis à jour le 21 juillet 2023 10:46
Le film, en salles aux États-Unis depuis le 4 juillet, trouvera-t-il un distributeur en France ?
Laurence Beneux
TRIBUNE – C’est un euphémisme de dire que le succès* aux États-Unis du film « Sound of Freedom » de Alejandro Gomez Monteverde me fait plaisir. Inspirée d’une histoire vraie, celle de Tim Ballard, cette œuvre cinématographique alerte sur le trafic sexuel d’enfants et sur l’ampleur du phénomène.
Je suis avec émotion, sur les réseaux sociaux, les réactions que suscite la sortie de ce film.
Les internautes indignés expriment leur sidération en découvrant que cet horrible marché qui brasse des milliards de dollars. Ceux qui n’ont pas pu voir le film exigent qu’il soit traduit et distribué dans leur pays. L’intervention de l’acteur Mel Gibson qui plaide pour une prise de conscience concernant l’existence de réseaux de traite humaine, et notamment d’enfants, et encourage à regarder « Sound of Freedom », y est sans aucun doute pour quelque chose.
Et je me dis : « ENFIN ! Même si le sujet est douloureux, le public accepte de voir… »
Parce que permettez-moi de vous le dire gentiment : vous en avez mis du temps !
Que la traite sexuelle des enfants est une criminalité qui engendre des milliards de dollars, je l’écrivais déjà en 2000 ! Je l’ai clamé sur tous les plateaux de télévision où j’étais invitée. Je n’ai jamais arrêté, à longueur de livres, d’articles, de magazines TV, d’interviews… J’ai même accepté de participer à des conférences.
Plus de 20 années passées à alerter sur l’existence de cette criminalité prédatrice, dont tout enfant peut se retrouver victime. Il suffit d’une mauvaise rencontre, au mauvais moment, au mauvais endroit.
Plus de deux décennies à dénoncer l’indifférence des pouvoirs publics, les dérapages des institutions en la matière, le manque de moyens mis en œuvre pour lutter contre ce fléau, des dysfonctionnements judiciaires parfois tellement énormes qu’il est permis de soupçonner, a minima une indulgence envers la pédocriminalité et un déni des ravages qu’elles causent chez les enfants qui y survivent, et au pire, dans certains cas, une réelle complicité.
Franchement, je commençais à désespérer !
Parlons de la pédopornographie. Je ne peux pas vous en vouloir de ne pas réaliser l’horreur de ce type de documents. Tant qu’on ne les pas vus, on ne peut pas se rendre compte. Comme l’avait dit Paul Moreira, rédacteur en chef de l’émission 90 minutes sur Canal Plus à l’époque où j’y travaillais, « il y a un avant et un après ». Au passage, le documentaire de 40 minutes sur la pédocriminalité, intitulé « La pièce qui accuse », fruit de ma collaboration avec ce magazine d’investigation, a totalement disparu des radars. On retrouve tout sur internet, sauf cette enquête pour laquelle nous avons pourtant reçu des prix.
Dans le cadre de mes enquêtes, j’ai eu la douleur de voir des photos et vidéos pédopornographiques. C’est atroce. J’ai vu des viols de bébés, oui de bébés, des nourrissons, des gosses torturés et d’autres images à vomir.
Ce n’est pas votre cas, je vous l’accorde bien volontiers. Mais enfin, il me semble qu’il ne faut qu’un élémentaire bon sens pour comprendre que, pour que de tels documents existent, il faut que des gosses souffrent ! Et il n’est pas besoin d’avoir étudié la question pour savoir que ces enfants sont en immense danger, qu’il faut les chercher, que les gens qui fabriquent ou se repaissent de tels documents sont extrêmement dangereux ! Or, vous savez qu’ils existent. Les médias parlent de temps à autre, de coups de filet où des pédocriminels se font arrêter, détenteurs de dizaines, voire des centaines de milliers de documents pédopornographiques.
Les milliers d’enfants qui disparaissent chaque année, les réseaux criminels qui récupèrent les mineurs isolés dans les camps de réfugiés, le tourisme sexuel de consommateurs d’enfants, la pédopornographie, tout ça est évoqué périodiquement dans des médias de masse.
Dans ce film, Tim Ballard explique que les plus gros clients des trafiquants d’enfants se trouvent aux États-Unis. Je pense pour ma part que l’on trouve ces clients prédateurs d’innocence dans tous les pays aisés, notamment les pays occidentaux, dont la France.
Dès 2000, Serge Garde et moi-même avons sorti ce qu’on a appelé « l’affaire de Zandvoort », du nom de la ville aux Pays-Bas où résidait un pédocriminel au cœur d’un trafic de pédopornographie. Ce dernier a fini assassiné. Sur les affreux documents saisis en Hollande, des enfants français ont été reconnus par leur famille. Et derrière l’affaire de Zandvoort, c’est tout un réseau international qui se cachait. Nous l’avons expliqué dans un ouvrage intitulé « Le livre de la honte. Les réseaux pédophiles » paru au Cherche-Midi. Comme il est épuisé, j’envisage de le mettre en accès gratuit sur internet, mais je ne suis pas la seule qui décide. Franchement, si peu de choses ont changé que la mise à jour ne me prendrait pas plus d’une journée !
Évidemment, à l’époque comme aujourd’hui, il y a eu des journaux pour affirmer d’autorité que tout ça n’était que « complotisme ». Hé oui, l’accusation de complotisme, quand on n’a pas d’argument à opposer, ne date pas d’aujourd’hui. Libération, Marianne et d’autres, se sont faits les porte-paroles d’officiels de mauvaise foi, et se sont empressés de bâcler des « contre-enquêtes », composées pour l’essentiel d’affirmations gratuites souvent contraire au bon sens.
Je me souviens d’un article de Marianne particulièrement indigent où le journaliste expliquait qu’il n’existait pas de réseaux pédocriminels organisés mais que… les pédocriminels avaient « des liens entre eux » et formaient des « sortes de cercles ». Il concluait : « Le vrai réseau, il est là sous notre nez : c’est Internet ». Comme si, derrière les ordinateurs reliés par internet, ne se trouvaient pas des êtres humains !
Quant à Libération, le quotidien s’était empressé d’expliquer que les carnets d’adresses saisis à Zandvoort, dont j’avais personnellement remis des copies à la Brigade des mineurs de Paris, ne contenaient que des commerçants, boulanger, coiffeur… Bref rien d’intéressant.
Trois fois rien : des correspondants au Crédit Lyonnais-Ukraine à Kiev, à la Banque nationale d’Ukraine, à la Banque mondiale, à la Comm Bank of Social Development, à l’Oschadny Bank, à l’Exim Bank, à la Berrents Group à Kiev, à la State Export Import Bank of Ukraine, à la BERD, à la ABN AMRO Private Banking, un compte au Crédit agricole de Garches et un compte joint en dollars dans une agence du Crédit Lyonnais à Paris… Sans parler de tarifs pour un service « d’escort » enfants. Les enfants occidentaux coûtaient beaucoup plus cher que ceux de pays du tiers-monde : plus risqué de se les procurer.
Quelques années plus tard, il n’y avait plus grand monde pour affirmer que les réseaux pédocriminels n’existaient pas, mais toujours pas grand monde non plus pour exiger qu’on se dote de moyens conséquents pour les combattre et pour protéger les enfants.
Depuis le livre de Camille Kouchner, il est permis d’envisager qu’il y ait des personnalités influentes parmi les pédocriminels, sans se faire immédiatement taxer de complotisme. Mais la route est encore longue pour en tirer les conclusions qui s’imposent… Quand des juges sont condamnés pour des affaires de pédocriminalité, les dossiers qu’ils ont traités ne sont pas inspectés.
On accepte qu’au sommet de l’État français, un couple envoie un regrettable message d’impunité. On polémique sur l’affaire Polanski, mais lui au moins a été poursuivi ! Brigitte Macron, même pas. Et pourtant elle aurait dû. Même Wikipédia le reconnait; c’est dire ! En invoquant le mauvais article du code pénal et donc en minorant la peine encoure, mais l’encyclopédie en ligne le reconnaît !
Des affaires où des institutions pour enfants placés servaient de viviers à des prédateurs sexuels ont été rendues publiques. Pourtant, les foyers ne font pas l’objet de contrôles fréquents. Et il faudrait en faire autant en ce qui concerne les adoptions à l’international.
Dans une affaire de réseau jugée en France, non seulement les pédocriminels voyageaient dans le monde, Thaïlande, Maroc…, mais ils avaient en projet l’achat d’un orphelinat en Roumanie ! Pour la petite histoire, une perquisition a été effectuée au palais de Justice de Paris dans le cadre de cette affaire: un membre du réseau avait tourné des films pédopornographiques dans le somptueux décor de la Cour de cassation, et il piquait des documents pédopornographiques dans les scellés pour les remettre dans le circuit !
Il y a pléthore de dossiers où des personnes sont condamnées pour viols sur mineurs, mais aussi pour proxénétisme, sans qu’on ne cherche les clients. Et je ne vous parle pas des dossiers où des pièces disparaissent… La loi, prévoyant que tout résident français abusant sexuellement des mineurs à l’étranger doit être poursuivi, est extrêmement rarement appliquée.
Tout ça a été publié. Tout est sous vos yeux, depuis des années !
Alors oui, je suis heureuse du succès rencontré par « Sound of Freedom ». Après toutes ces années à alerter sur la situation en ayant l’impression de prêcher dans un désert, sinon d’indifférence du moins de déni ou de refus de savoir, je nourris le grand espoir d’une prise de conscience, d’un début de réflexion collective.
Évidemment, l’étape d’après est d’exiger qu’une lutte efficace s’organise pour protéger les enfants, tous les enfants. J’espère qu’il ne faudra pas quelques décennies de plus…
- Laurence Beneux est journaliste d’investigation, rédactrice en chef adjointe de France-Soir.
*Selon le classement du site spécialisé Boxofficemojo, le film a rapporté 96,2 millions de dollars (en date du 18/07). À ce jour, il est le 18e film le plus rentable de 2023 aux États-Unis et au Canada. Une vraie performance pour un film qui a connu un meilleur démarrage en salles que plusieurs blockbusters comme le dernier Indiana Jones.
Source : France Soir
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