Un adolescent de 17 ans a été tué par un policier lors d’un contrôle routier, suscitant une vive émotion au sein de la société française.
- Le 27 juin 2023, à Nanterre, près de Paris, à 8h du matin, deux policiers arrêtent une voiture occupée par trois personnes, toutes mineures, suite à un refus d’obtempérer. Le conducteur est un adolescent de 17 ans prénommé Nahel. Lorsque la voiture redémarre, l’un des policiers tire à bout portant et tue le jeune, enfant unique d’une famille monoparentale. La vidéo disponible sur les réseaux sociaux montre clairement que la voiture ne présentait pas de danger pour les deux policiers.
- N’ayant pas la connaissance de l’existence de la vidéo, les deux policiers ont déclaré que la voiture leur avait foncé dessus et qu’ils s’étaient retrouvés dans l’obligation de faire usage de leur arme à feu pour protéger leur vie. Il s’agissait à l’évidence d’un mensonge. Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire des arts et métiers, spécialiste reconnu qui forme les policiers et les gendarmes, a insisté sur ce point : « La version mensongère, totalement contredite par les images, ruine l’ensemble de l’édifice. C’est un mensonge. La voiture n’a lui a pas roulé dessus. La voiture ne lui a pas foncé dessus. » Il a également dénoncé « les quelques policiers pourris, corrompus et moutons noirs de la profession […] qui jettent l’opprobre sur tous ceux qui respectent la loi, l’ordre et qui sont des défenseurs des libertés ». Sans la vidéo, la version mensongère des policiers aurait prévalu et le responsable de la mort de l’adolescent n’aurait jamais été inquiété par la justice.
- Relayant la fausse version policière, les médias se sont empressés de dépeindre l’adolescent comme étant un dangereux délinquant multirécidiviste. En réalité, le jeune Nahel disposait d’un casier judiciaire vierge. Le parquet de Nanterre a même ouvert une enquête pour « refus d’obtempérer et tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique » contre le conducteur. Cette décision a suscité l’incompréhension générale car, les images apportent un démenti formel à la version policière. De plus, le décès entraîne automatiquement la fin de toute action judiciaire. Le parquet a également ouvert une enquête contre le policier pour « homicide volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique ». Ce dernier a été présenté devant un juge et a été mis en détention provisoire à la prison de la Santé.
- L’avocat du policier, Maître Laurent-Franck Liénard, a souligné le caractère exceptionnel de la détention : « En 31 ans de carrière à défendre des cas d’usage des armes, je n’ai jamais eu un client qui parte en détention à l’issue de sa présentation devant un juge ». Cette déclaration illustre la réalité de l’impunité policière et renforce le sentiment répandu dans la société française selon lequel la justice protège les policiers auteurs de crimes. Maître Jean-Pierre Mignard, avocat de victimes de violences policières, est catégorique à ce sujet : « Toutes les professions ont une génétique : celle de la police est l’impunité ».
- Camille Chaize, porte-parole du Ministère de l’Intérieur, a rejeté les polémiques sur les supposés antécédents judiciaires de la victime, mis en avant par la police et les médias dans le but de justifier l’action de l’agent. Questionnée à ce sujet, elle a apporté la réponse suivante : « Ce n’est pas l’objet du débat, ça n’a pas de sens de réfléchir ainsi, peu importe s’il était connu ou pas des services de police. […] Mais c’est vrai que certaines sources policières […] mettent en avant des casiers judiciaires, ou même des inscriptions dans la main courante, qui est de l’infrajudiciaire, qui n’est pas le casier judiciaire, mais tout ça n’a pas de sens, n’a pas d’importance ».
- L’avocat de la famille de la victime, Maître Yassine Bouzrou, a annoncé le dépôt d’une plainte contre les deux policiers, l’une pour homicide volontaire et l’autre pour complicité d’homicide volontaire. Il s’en est expliqué de la façon suivante : « Son intention de donner la mort ne fait aucun doute puisqu’il résulte de la bande-son de la vidéo qu’il annonce avant son tir : “Je vais te mettre une balle dans la tête”. La plainte visera également son collègue pour complicité d’homicide volontaire, lequel semble faire injonction à son collègue de faire feu en disant “shoote-le” juste avant le tir. »
- Le témoignage du passager assis à côté de Nahel est accablant. Il a relaté les faits en détail : « Le premier policier a demandé à Nahel de baisser sa vitre, ce qu’a fait Nahel. Il lui a dit : ‘Coupe le moteur ou je te shoote’. Il lui a mis un premier coup de crosse. Ensuite, le deuxième est arrivé et lui a aussi mis un coup de crosse et s’est placé au niveau du pare-brise face à Nahel. De là, le premier policier, qui est au niveau de la fenêtre, lui braque une arme et lui dit : ‘Bouge pas ou je te mets une balle dans la tête’. Le second policier lui dit : ‘Shoote-le’. Le premier policier lui remet un coup, un coup de crosse. La voiture, c’est une boîte automatique. La voiture n’était pas sur ‘parking’. Au moment où il a reçu le troisième coup de crosse, son pied a lâché la pédale de frein et la voiture a avancé. Et le second policier qui était au niveau du pare-brise a tiré. Du coup, son pied a enfoncé l’accélérateur. Je l’ai vu agoniser, il tremblait. On a percuté une barrière. J’ai eu peur, je suis sorti de la voiture. Je me suis enfui. Je pensais que même moi ils pouvaient me tirer dessus. Du coup, j’ai couru ».
- Le passager arrière, âgé de 14 ans, a également apporté son témoignage. Il se rendait au collège pour passer le brevet et a croisé Nahel qui lui a proposé de le déposer. « Les policiers ont pointé leurs armes sur Nahel » qui a pris « environ trois » coups, essayant de « se protéger la tête ». Un policier a affirmé « qu’il allait lui mettre une dans la tête ». Nahel a ensuite « lâché le frein sûrement par panique, en essayant de se protéger. La voiture a avancé toute seule. C’était une automatique. Et le policier a dit à son collègue de tirer. Et le coup est parti ».
- Le Président de la République Emmanuel Macron a condamné l’action du policier dans une déclaration publique : « Je veux dire l’émotion de la nation tout entière et dire à sa famille toute l’affection de la nation […]. Nous avons un adolescent qui a été tué, c’est inexplicable, inexcusable. » Pour sa part, Gérarld Darmanin, Ministre de l’Intérieur, a pointé du doigt « des images extrêmement choquantes ».
- En février 2017, le gouvernement socialiste de François Hollande a fait adopter la loi de sécurité publique autorisant la police à utiliser leur arme à feu en cas de refus d’obtempérer. L’alinéa 4 stipule que les agents peuvent faire usage de leur arme « lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». La Ligue des Droits de l’Homme et de nombreux parlementaires ont dénoncé « un permis de tuer », demandant l’abrogation de la loi. Maître Liénard s’est lui-même publiquement opposé à la loi : « Si on commence à dire aux policiers qu’ils peuvent tirer sur une voiture en fuite, nous aurons plus de coups de feu, plus de blessés et plus de condamnations de policiers ».
- Depuis 2017, le nombre de personnes ayant perdu la vie suite à un refus d’obtempérer a augmenté de façon considérable. De 17 personnes entre 2002 et 2017, soit une moyenne de 0,88 personne par an, il est passé à 13 personnes pour l’année 2022, parmi lesquelles certaines étaient de simples passagers. Les victimes présentent deux caractéristiques principales : elles sont pour la plupart jeunes, voire très jeunes, et racisées. A titre de comparaison, en Allemagne, il n’y a eu qu’un seul décès suite à un refus d’obtempérer en dix ans.
- Le 30 juin 2023, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a dénoncé le racisme structurel présent au sein de la police et de la gendarmerie en France. Son porte-parole Ravina Shamdasani a lancé un appel aux autorités : « C’est le moment pour le pays de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre ». Quelques jours plus tard, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU a dénoncé « le meurtre de Nahel M., 17 ans, d’origine maghrébine, par un policier en France » et s’est dit « profondément préoccupé par la pratique persistante du profilage racial, combinée à l’usage excessif de la force dans l’application de la loi, en particulier par la police, contre les membres de groupes minoritaires, notamment d’origine africaine et arabe, qui se traduit fréquemment par des meurtres récurrents, de façon disproportionnée, dans une quasi impunité ».
- Questionné à ce sujet, Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, a nié la réalité de la situation : « Il n’y a pas de racisme dans la police ». Pourtant, même le Président de la République a reconnu l’existence de pratiques discriminatoires persistantes : « Aujourd’hui, quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé […]. On est identifié comme un facteur de problème et c’est insoutenable ».
- Selon diverses études, les forces de l’ordre votent majoritairement à l’extrême droite. Ainsi, d’après le Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof), l’institut de sondage Ipsos et la Fondation Jean Jaurès, 60% des policiers et des militaires ont voté pour Marine Le Pen en 2022. En 2017, 67% des policiers actifs ont voté pour la candidate d’extrême droite.
- Une étude menée en 2017 par Jacques Toubon, Défenseur des droits et ancien ministre de la Justice sous Jacques Chirac, illustre les préjugés racistes présents au sein des forces de l’ordre et la maltraitance policière dont sont victimes les jeunes des quartiers populaires. Ainsi, les individus perçus comme étant Noirs ou Arabes ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés » par la police. Le Défenseur des droits souligne que 40% de ces personnes affirment avoir été tutoyées, 21% insultées et 20% brutalisées lors du dernier contrôle. Une autre étude réalisée par le Centre national de recherche scientifique souligne que « le comportement de la police française […] peut être assimilé à du profilage racial ». Christian Vigouroux, déontologue du Ministère de l’Intérieur, a même rendu un rapport de 160 pages en 2021 sur « la lutte contre les discriminations au sein des forces de sécurité », formulant 54 propositions restées lettre morte.
- Selon le droit international, « la discrimination raciale est une forme de discrimination particulièrement odieuse et, compte tenu de ses conséquences dangereuses, elle exige une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités ». L’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que « toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine national ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
- Selon Amnesty International (AI), « en France, la pratique des contrôles d’identité est généralisée, profondément inscrite dans l’action policière, au point qu’elle favorise une discrimination systémique ». Selon le Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, une discrimination systémique « peut être comprise comme un ensemble de règles juridiques, de politiques, de pratiques ou d’attitudes culturelles prédominantes dans le secteur public ou le secteur privé qui créent des désavantages relatifs pour certains groupes, et des privilèges pour d’autres groupes ». AI ajoute que « la pratique des contrôles d’identité discriminatoires est connue et amplement documentée », dénonce son « ampleur » et souligne « ses effets dévastateurs sur les victimes, parmi lesquelles des enfants parfois âgés de seulement douze ans ».
- La Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, a reconnu l’existence de cette pratique dans un arrêté de 2016 et a souligné que les contrôle au faciès constituaient une faute lourde engageant la responsabilité de l’État.
- Jean Hossam Botros Messiha, militant d’extrême droite, né en Égypte et naturalisé français à l’âge de 20 ans, aujourd’hui encore étant considéré comme un immigré par l’INSEE, porte-parole d’Éric Zemmour durant la campagne présidentielle de 2022, adepte de la théorie raciste du « grand remplacement », qui déclare que l’immigration – dont il a pourtant bénéficié à l’âge de 8 ans – constitue aujourd’hui une « menace existentielle historique qui pèse sur la France », a ouvert une cagnotte en ligne en faveur du policier mis en examen pour homicide volontaire. En l’espace de quelques jours, « la cagnotte de la honte », telle qu’elle a été qualifiée par de nombreux observateurs, a récolté 1,6 millions d’euros avec plus de 76 000 donateurs, rendant millionnaire un homme responsable de la mort d’un adolescent, suscitant la colère légitime de la famille et l’indignation de l’opinion publique.
- La mort de Nahel a déclenché une explosion de colère dans toute la France, dont la dimension politique est minimisée par les pouvoirs publics, qui ne préfèrent voir dans ces révoltes urbaines qu’un élan destructeur. Du côté des soulevés règne le sentiment que seule la violence permet de faire entendre leur voix. De nombreux commerces et édifices publics, principalement dans les quartiers populaires, ont été saccagés par de jeunes individus, parfois à peine âgés de douze ans. Près de 12 000 voitures ont été brûlés et 2 500 bâtiments publics dégradés, dont plus de 250 commissariats et plus de 150 écoles. Le domicile personnel du maire de La Häy-les-Roses a même été attaqué à la voiture-bélier alors que sa famille se trouvait à l’intérieur.
- La réponse de l’État à la contestation sociale a été uniquement autoritaire et répressive avec la mobilisation de 45 000 agents des forces de l’ordre, dont les corps d’élite tels que le GIGN, le RAID et la BRI. A Marseille, un père de 27 ans a perdu la vie suite à un tir « probable » de flash-ball, selon le Parquet. En Meurthe-et-Moselle, un jeune d’une vingtaine d’années se trouve dans le coma après avoir été atteint à la tête par la police. Selon les autorités judiciaires, aucun élément ne permet d’affirmer que ces deux personnes participaient aux émeutes. Toutes d’eux sont d’origine maghrébine. Par ailleurs, près de 3 500 personnes ont été interpellées et près de 60% d’entre elles n’avaient pas d’antécédents judiciaires, selon Gérald Darmanin,. D’après le Ministre de l’Intérieur, 90% des personnes arrêtées sont françaises. Lors de son audition au Sénat, Gérald Darmanin a balayé l’explication identitaire : « J’ai regardé dans les commissariats. Oui, il y a des gens qui apparemment pourraient être issus de l’immigration. Mais il y a eu beaucoup de Kevin et de Mattéo ».
- La justice, de son côté, a été expéditive et implacable. A titre d’exemple, un homme de 28 ans a été condamné en comparution immédiate à 10 mois de prison ferme avec mandat de dépôt pour avoir volé une canette de Red Bull d’une valeur de 1,15 euros. Son avocate Camille Bal a témoigné à ce sujet : « Les principaux acteurs des violences sont les grands absents des audiences qui se sont tenues hier. Ceux qui ont été cueillis par la police sont ceux qui sont apparus après le délit, après que le magasin a été la cible des casseurs. Mon client est venu dans le Monoprix plongé dans le noir, il a pris une canette de Redbull, il est sorti et il a été cueilli comme une rose ». Pour Maître Camille Vannier, qui a participé au système de défense collective, « la justice est complètement instrumentalisée » par le pouvoir politique. Elle souligne que les juges du siège suivent de manière aveugle les réquisitions : « C’est très inquiétant du point de vue de l’indépendance de la justice. Des mandats de dépôt, des mandats de dépôt, des mandats de dépôt… pour des faits mineurs ». Maître Elsa Marcel fait également part de sa stupeur : « Les peines sont extrêmement fermes, les procédures bâclées, il y a de nombreux scénarios où on ne reconnaît pas les gens, les PV d’interpellation sont extrêmement flous, c’est une justice politique ».
- Le 30 juin 2023, les deux principaux syndicats de police Alliance Police Nationale et UNSA Police ont publié un communiqué d’une rare violence, confirmant toutes les accusations de racisme dont les forces de l’ordre sont l’objet. Les protestataires des quartiers populaires sont animalisés et qualifiés de « hordes sauvages » et de « nuisibles » qu’il faut combattre, demandant à ce que « tous les moyens » soient utilisés dans ce but. Le communiqué menace également directement le gouvernement de sédition en des termes à peine voilés, fait inédit pour une police républicaine dont la mission est d’obéir au pouvoir exécutif et de faire respecter la loi : « Pour ces raisons, Alliance Police Nationale et UNSA Police prendront leurs responsabilités et préviennent dès à présent le Gouvernement qu’à l’issue, nous serons dans l’action et sans mesure concrète de protection juridique du Policier, de réponse pénale adaptée, de moyens conséquents apportés, les Policiers jugerons de la hauteur de la considération portée. Aujourd’hui, les Policiers sont au combat car nous sommes en guerre. Demain, nous serons en résistance et le Gouvernement devra en prendre conscience ». Autre fait inédit, UNSA Education a publiquement condamné le communiqué, dénonçant des mots « inquiétants et insupportables ». Pour ce qui est du gouvernement, il n’a pris aucune mesure contre les auteurs de cette déclaration.
- La mort du jeune Nahel est l’étincelle qui a mis le feu à une poudrière sociale dans les quartiers abandonnés par la République. En plus du racisme systémique dont sont principalement victimes les personnes issues de l’immigration (47% des personnes originaires d’Afrique subsaharienne et 30% des personnes originaires du Maghreb en sont victimes), les populations défavorisées sont délaissées par les pouvoirs publics. Les chiffres sont éloquents : 7,5% des Français (5,5 millions d’habitants) vivent dans les banlieues. Dans ces territoires, le taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. La moitié des jeunes ne disposent pas d’emploi. Près de 40% des habitants n’ont aucun diplôme alors que la moyenne nationale est de 20%. Il y a près de deux fois moins de bibliothèques et trois fois moins d’équipements sportifs dans les quartiers populaires que dans le reste du pays. Le taux de pauvreté y est trois fois plus élevé que dans le reste du pays (42% contre 14,9%). Pour rappel, il y a 9 millions de pauvres en France, dont 3 millions d’enfants. Alors que la moyenne nationale est de 400 médecins pour 100 000 habitants, ils ne sont que 250 dans les quartiers populaires. 40% des quartiers populaires ne disposent pas de crèches, alors que les familles monoparentales y sont deux fois plus nombreuses que dans le reste du pays (20%). Contrairement à une idée reçue, les transferts sociaux y sont moins élevés : 6 100 euros par an et par habitant contre 6 800 euros pour la moyenne nationale. En outre, ces quartiers, loin d’être sous perfusion, contribuent davantage à l’effort national que le reste du pays. Par exemple, la Seine-Saint-Denis est le troisième département le plus pauvre de France (le premier de l’hexagone) sur un total de 101 départements et celui qui reçoit le moins de protection sociale par habitant, alors qu’il est le huitième contributeur social aux finances publiques du pays. Ainsi, la Seine-Saint-Denis compte 1 100 effectifs de la fonction publique hospitalière pour 100 000 habitants contre une moyenne de 1 800 pour le reste du pays. Les gouvernements ne se soucient guère du sort de ces populations paupérisées car elles ne disposent que de très peu de pouvoir politique et électoral. En effet, 48% des habitants des quartiers populaires sont soit non-inscrits, soit se sont abstenus lors des dernières élections présidentielles.
- Des mesures urgentes s’imposent aux responsables politiques en général et au gouvernement en premier lieu :
-La Loi sur la sécurité publique de 2017 doit être suspendue en attendant son abrogation. Cela permettra de protéger à la fois les citoyens et les policiers en revenant au statu quo ante qui fixe un cadre strict pour l’usage des armes à feu.
-Il est impérieux que cesse le déni au sein de la police, des autorités gouvernementales et des responsables politiques au sujet du racisme structurel présent chez les forces de l’ordre.
-Il est indispensable que cesse l’impunité pour les policiers coupables de crimes et de délits et que ces derniers soient sanctionnés de façon exemplaire, à la hauteur du forfait commis. Les policiers racistes, et plus généralement ceux qui ne respectent pas l’éthique et le code de déontologie de la profession, doivent être exclus du corps des gardiens de la paix.
-Les affaires de violences policières doivent être systématiquement dépaysées pour garantir la sérénité des débats – revendication du Syndicat de la Magistrature – étant donné les liens étroits entre le parquet et les forces de l’ordre.
-Un commission « Justice et vérité », composée de membres indépendants, doit être créée afin d’analyser tous les cas de violences policières et d’apporter une réponse aux victimes et à leurs familles.
-L’Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui a perdu toute crédibilité en raison de la faiblesse des rares sanctions prononcées à l’encontre des agents responsables de crimes et délits, doit être réformée et composée de personnes indépendantes, non liées aux forces de l’ordre.
-Les policiers et gendarmes doivent être équipés de caméras-piéton qui donneront des garanties à la fois aux agents ainsi que la population et permettront d’améliorer la qualité des contrôles.
-Les gardiens de la paix doivent remettre un récépissé suite à chaque contrôle afin de réduire les discriminations.
-L’État doit revoir sa doctrine, ses pratiques et ses méthodes, avec un retour à une politique basée sur la prévention et non la répression. Ainsi, la police de proximité, saluée par tous les acteurs sociaux pour son efficacité et sa capacité à tisser des liens avec les jeunes, doit être rétablie, notamment dans les quartiers populaires.
-Il est indispensable d’améliorer le traitement des fonctionnaires de police et de leur offrir de meilleures conditions de travail afin de faciliter leur tâche et de rendre le métier attractif.
-Les candidats au concours de gardien de la paix doivent passer par un processus de sélection plus rigoureux, afin d’écarter ceux qui ne sont pas faits pour le métier. De la même manière, la police doit s’assurer d’intégrer au sein de ses rangs la population issue de l’immigration en lui offrant des conditions de travail dignes, libres de toute discrimination.
-Le processus de formation doit également être révisé de fond en comble, amélioré et étendu sur une durée beaucoup plus longue, comme le réclame de longue date la profession (tests psychologiques, épreuve de tolérance au stress, respect des valeurs de la république, etc.).
-Le gouvernement doit apporter une réponse politique, économique et sociale à la question de la pauvreté, de l’exclusion sociale et des discriminations, en mettant en place une action affirmative ambitieuse en faveur des personnes issues des quartiers populaires qui voient depuis trop longtemps leurs souffrances ignorées par les pouvoirs publics.
Salim Lamrani
Salim Lamrani : Docteur ès Études ibériques et latino-américaines de Sorbonne Université, Salim Lamrani est Maître de conférences HDR à l’Université de La Réunion et spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis.
Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
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