Comment l’OTAN prépare son entrée en Indo-Pacifique

Comment l’OTAN prépare son entrée en Indo-Pacifique
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À la veille de la réunion de l’OTAN de Vilnius, c’est un plaidoyer pour que la France ne cède pas à la politique des États-Unis qui vise à impliquer l’OTAN, en tant que telle, dans la zone Indo-Pacifique face à la menace chinoise.

Sans méconnaître cette dernière et la défense de nos intérêts qu’elle implique dans la zone, en particulier concernant la libre circulation maritime, la France ne doit pas accepter que l’OTAN se substitue à l’ONU, accentuant de fait cette opposition dramatique et dangereuse pour la sécurité du monde entre un occident jugé arrogant et le reste de la planète. Il a fait l’objet d’une large diffusion vers les responsables politiques.

Pour ma part, je pense que ce concept OTAN 2030 visant à élargir sans cesse le rôle de l’Organisation et à lui donner un rôle qu’il n’a jamais eu dans l’histoire, en sortant, au seul profit des USA, des termes d’un traité applicable exclusivement à l’Atlantique Nord, est évidemment porteur de nouvelles conflictualités dont les USA, créateurs de chaos et imaginant clairement se substituer à l’ONU, ont le secret.

La bonne nouvelle, c’est que l’inéluctable défaite des otano-kiéviens en Ukraine, risque fort d’affaiblir, voire de faire éclater l’OTAN.

Dans les nouveaux équilibres géopolitiques et géo-économiques mondiaux qui émergeront du chaos ukrainien, ce concept OTAN 2030 a de fortes chances de ne jamais voir le jour, en tout cas dans la forme qui nous est présentée dans ce texte.

À chacun de se forger son opinion, bien sûr.

Dominique Delawarde

***

par les généraux (2s) Daniel Schaeffer, Asie21, ancien attaché de défense en Thaïlande, Vietnam et Chine, et Grégoire Diamantidis, membre du Centre de réflexion interarmées (CRI)

La préparation de l’entrée de l’OTAN en Indo-Pacifique, objet de beaucoup de pressions aujourd’hui pour que cela se produise, a commencé il y a maintenant près de vingt ans par des rencontres, des échanges, avec quatre pays : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, le Japon. Au niveau opérationnel, les quatre ont participé, en partenariat avec l’OTAN, aux tentatives de stabilisation, échouée, de l’Afghanistan. Cela a conduit à la familiarisation des rapports entre l’Organisation et ces quatre États, devenus les quatre partenaires («Asia partners 4» / AP4). À partir de là il devenait plus facile de proposer un renforcement de ces relations au travers de l’adoption d’accords bilatéraux de partenariats tels que le propose l’OTAN qui, à cette fin, déploie une large gamme de programmes, de degrés divers, soit qui se juxtaposent, soit qui s’imbriquent, soit qui se déclinent les uns des autres et qui ne cessent de s’enrichir. Ce sont les outils de partenariat.

L’OTAN a déjà un pied en Indo-Pacifique

Ainsi, depuis 2012, les relations OTAN – AP4 se renforcent avec chacun des quatre, bilatéralement, au travers des «programmes personnalisés de partenariat et de coopération» (Individual Partnership Cooperation Programme/IPCP), qui sont en cours d’évolution vers leur nouveau format de «programmes personnalisés taillés sur mesure de partenariat» (Individual Tailored Partnership Programme / ITPP), plus précis.

Les IPCP

Dans une gamme de trois outils présentés de partenariat, l’IPCP vient en tête. Il est le moins exigeant sur le plan de la coopération même si, lors de la signature qui entérine un accord, les engagements pris sont clairement définis. Ceux-ci ne sont cependant pas imposés par l’OTAN puisque ce sont les partenaires eux-mêmes qui exercent leurs choix en indiquant les secteurs spécifiques dans lesquels ils veulent coopérer, choix opérés à partir d’un menu de 1400 propositions de formation. Mais d’une manière générale, comme l’indique le site d’information de l’Organisation, les initiatives ouvertes permettent aux partenaires «de coopérer avec l’OTAN, principalement dans les domaines de l’interopérabilité, du renforcement des capacités, et des réformes des secteurs de la défense et de la sécurité». En dehors de toutes autres considérations telles que les échanges, les dialogues, les  visites, les participations à des réunions, le fond de la question reste bien celui de préparer les partenaires à leur contribution opérationnelle à des actions militaires quelles qu’elles soient : secours humanitaires, sécurité en mer, gestion de crises, exercices, interventions armées, autres.

Les engagements australiens et néo-zélandais

Dans ce cadre, les plus impliqués des AP4 sont pour l’instant la Nouvelle-Zélande, qui est entrée dans son premier IPCP le 4 juin 2012, et l’Australie qui a signé le sien le 21 février 2013 et l’a renouvelé le 19 août 2019. Par ce renouvellement Canberra entérine un passé historique relationnel fort avec l’OTAN, fondé sur ses engagements antérieurs en Afghanistan (2005 – 2014) et en Irak entre 2003 et 2009 et depuis octobre 2018 dans le cadre de la mission OTAN en Irak (NATO mission in Iraq/NMI).

De surcroît son passé opérationnel avec l’Alliance en Afghanistan lui vaut, en 2014, à l’occasion du sommet de Glasgow, d’être cooptée en tant qu’«opportunité partenariale augmentée» (Enhanced opportunities partner /EOP), un statut obtenu dans le cadre d’un volet de coopération parallèle à celui des IPCP, l’initiative d’interopérabilité partenariale (Partnership interoperabily initiative/PII), justement adoptée en 2014. L’accent porté sur une telle initiative y est franchement opérationnel militaire puisque son objectif est de ne pas laisser perdre des savoir-faire acquis antérieurement lors d’opérations communes et, sur de telles bases, ouvrir aux «partenaires la possibilité de contribuer à la gestion de crises futures, notamment dans le cadre d’opérations dirigées par l’OTAN, et le cas échéant à la Force de réaction de l’OTAN».

Avant cela cependant un tel engagement opérationnel est déjà acté lorsque Canberra adhère à l’IPCP en 2013 puisque dans le point 1.3.5 des secteurs choisis de coopération, l’accord porte sur «l’accroissement de l’interopérabilité et la participation dans des exercices et des opérations de l’OTAN». En revanche, du côté de la Nouvelle-Zélande, le caractère opérationnel de l’IPCP adopté se limite à l’interopérabilité dans les opérations logistiques. Dans un avenir proche cependant l’engagement sera accentué pour les deux États lorsque leurs IPCP muteront en ITPP, au travers desquels seront «traitées des questions de sécurité transversales d’intérêt mondial (y compris la sécurité maritime, les nouvelles technologies, le cyberespace, l’impact du changement climatique sur la sécurité et la résilience) par le biais de consultations politiques et militaires sur mesure, d’entraînements et d’exercices conjoints et d’une coopération dans le cadre d’opérations et de missions dirigées par l’OTAN».

Les engagements japonais et sud-coréens

Quant à la Corée du Sud et au Japon, dont les premiers IPCP en date ont été respectivement signés les 20 septembre 2012 et 6 mai 2014, ils restent quelque peu en arrière de la main. Celui du Japon, comme l’indique celui renouvelé le 31 mai 2018, se limite aux questions de sécurité générale comme la cyberdéfense, la sécurité maritime, l’aide humanitaire, le dialogue et les échanges. Aucune information n’indique quand il va muter vers un ITPP mais les discussions à ce propos sont en cours.

Pour la Corée du Sud la position est approximativement la même et l’évolution, annoncée le 16 février 2023, vers un ITPP portera sur un renforcement de la cyber défense, sur les nouvelles technologies, les changements climatiques et l’industrie de défense. Les deux Asiatiques se montrent donc très prudents, même si par ailleurs le Japon clame haut et fort qu’il a besoin du parapluie «otanien». Sur l’air de «armons-nous et partez» en quelque sorte !

La relation OTAN-AP4 instaurée dans le cadre des IPCP va ensuite être inscrite dans le marbre du programme OTAN 2030, formellement approuvé en juin 2021 lors du sommet de Bruxelles.

OTAN 2030 : l’affichage d’une intention accrue vers l’Indo-Pacifique

Il y est écrit que «l’OTAN devrait approfondir les consultations et la coopération avec » ces quatre capitales dans le cadre de «la configuration OTAN+4 existante ou le conseil de Partenariat TANPacifique». Ainsi, en renforçant leurs liens avec l’OTAN, les quatre vont devenir les points d’ancrage d’une réelle entrée de l’Organisation en Indo-Pacifique avec objectif premier de contrer sur zone la menace potentielle chinoise ainsi dénoncée dans le document.

Si la menace croissante de la Chine est une réalité qui est loin d’être fausse, à cause des progrès imposants de son économie, à cause de son comportement conquérant de par le monde, et à cause de sa montée en puissance militaire, elle représente surtout un danger pour ses voisins immédiats en raison de ses prétentions territoriales illégitimes. Mais si, comme il est dit, elle représente une «menace systémique» mondiale, elle ne représente pas une menace militaire pour l’Europe puisqu’il n’existe pas de réels contentieux entre les deux extrêmes de l’île continentale. Que la Chine vienne un jour brandir une menace militaire sur le théâtre atlantique les dispositions du traité de Washington pourraient effectivement jouer puisque cela s’appliquerait dans la zone de couverture de l’accord.

Mais que le programme 2030 laisse supposer qu’il faille pouvoir intervenir contre la Chine en Indo-Pacifique il est manifeste qu’il s’agirait là de répondre d’abord aux seuls soucis des États-Unis et de leurs alliés, les voisins immédiats de la Chine que sont le Japon, la Corée du Sud, les Philippines, entraînés seraient-ils dans la tourmente d’une attaque armée communiste contre la Chine démocratique.

Mais en tout état de cause il n’est en aucun cas dans la vocation de l’OTAN de s’ériger en coalition contre la Chine en Indo-Pacifique même en cas d’agression militaire de Pékin contre Taipei.

L’OTAN doit-il venir au secours du soldat Taïwan pris dans le piège sino-américain ?
Les risques de dévoiement de l’article 5

Dans le cas de figure extrême envisagé, de par les normes communes adoptées dans le traité de Washington, il ne peut pas s’appliquer à l’Indo-Pacifique, d’abord parce que ce n’est pas sa zone de couverture, tel que le spécifie l’article 5 : «les Parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les Parties et, en conséquence, elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la Partie ou les Parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres Parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord». Il ne peut pas non plus s’appliquer à l’Indo-Pacifique parce que les quatre partenaires marqués ne sont pas membres de l’Alliance. Voici donc deux considérations qui interdisent à priori à l’OTAN d’intervenir aux côtés des États-Unis dans le cadre d’une attaque chinoise contre Taïwan ou russo-chinoise contre le Japon ou nord-coréenne contre son voisin du sud.

Cela dit, cela empêcherait-il l’OTAN d’intervenir, comme il l’a déjà fait au cours des deux décennies passées, soit sans mandat de l’ONU, en Syrie en 2017, au printemps 1999 au Kosovo contre la Serbie, soit en Lybie en 2011 en dépassement et non-respect du mandat, normalement limité à l’instauration d’un régime d’exclusion aérienne afin de protéger les civils, mais de facto transformée en aide au changement de régime.

Sans aller jusque-là cependant, contourner les limites de l’article 5 en Indo-Pacifique ne serait pas trop difficile à réaliser dès lors qu’un aéronef ou un navire américain viendrait à être attaqué par une arme chinoise dans la région, pire encore si les Chinois s’avisaient à bombarder la base d’Okinawa avant qu’alertée, elle ne se vide de ses moyens pour se disperser en mer ou ailleurs. Il y aurait dans ce cas atteinte portée contre un membre de l’OTAN, ce qui permettrait aux États-Unis de faire jouer l’Alliance en Extrême-Orient dans le cadre de l’article 5, en oubliant dans ce cas-là que l’incident et l’appel au soutien se situeraient hors zone de couverture du traité de Washington.

C’est donc pour ne pas être entraîné dans un tel risque de cercle vicieux que l’OTAN n’a pas à intervenir en Indo-Pacifique, l’objectif des États-Unis dans la région étant d’abord d’y défendre leurs intérêts propres contre la Chine. Car ne soyons pas dupe, derrière le bien-fondé d’une protection de Taïwan le but de Washington est envers et contre tout de maintenir sa suprématie en déclin face à une Chine en ascendance. Si les autres membres de l’OTAN, avec juste raison, peuvent se soucier du devenir de Taïwan, ce n’est pas en se faisant solidaires d’une défiance américaine envers la République populaire qu’ils sauvegarderont la paix de l’île, même si par ailleurs Pékin se montre verbalement agressif à l’égard de celle-ci. Voilà 74 ans que les Taïwanais vivent avec l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête, s’en accommodent, même si ce n’est pas confortable, et parviennent à entretenir des relations, certes claudicantes politiquement, mais intéressantes sur le plan des affaires avec leurs confrères communistes.

Il n’est donc pas nécessaire, sous prétexte de vouloir sauvegarder la quasi-indépendance de Taïwan, d’exciter la vindicte de Pékin en accroissant les visites officielles entre politiciens américains et taïwanais, rencontres apparaissant être autant de véritables provocations qui ne font qu’attiser les menaces de Pékin. Preuves en sont les multiples manifestations aériennes et navales chinoises d’intimidation quasi permanentes à proximité de l’île et de ses dépendances proches depuis au moins une décade, manœuvres dont le paroxysme a été le vaste exercice d’encerclement, avec tirs de 11 missiles à l’appui, réalisé au début du mois d’août 2022, à la suite de la visite à Taipei de Nancy Pelosi, présidente de la chambre américaine des représentants.

Tout en maintenant une veille les États-Unis seraient bien avisés d’apaiser la situation en s’abstenant d’attiser l’ire de Pékin. Ce qu’ils sembleraient cependant enclins à faire depuis très peu avec la visite du secrétaire d’État Blinken en Chine les 18 et 19 juin, même si les Chinois continuent de leur côté à refuser de reprendre le dialogue militaire. Cette visite a peut-être momentanément instauré un répit entre les deux États mais il n’est pas dit qu’un retour à l’exacerbation des tensions soit circonscrit. Il suffirait pour cela que les républicains reprennent le pouvoir aux États-Unis lors des prochaines élections présidentielles.

Se calmer sur Taïwan mais continuer à défendre le droit de la mer autour

À côté de cela apaiser la situation ne veut pas dire cesser les actions américaines, japonaises et occidentales de présence en mer de Chine du Sud. Car là, comme dans le détroit de Taïwan, il s’agit d’abord de défendre le droit international de la mer, droit que la Chine bafoue en permanence au travers de prétentions fallacieuses, prétentions qui ne sont reconnues par quiconque, sauf  exceptions, non seulement en Asie mais dans le monde entier, contrairement à ce qu’affirme sans se lasser la propagande péremptoire chinoise. Pour ce qui concerne la mer de Chine du Sud, de telles prétentions ont été déboutées par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye dans son jugement du 12 juillet 2016, dans l’affaire Philippines contre Chine, un jugement que Pékin réfute puisqu’il ne va pas dans le sens de son interprétation erronée du droit de la mer, et que par conséquent il efface de jure ses prétentions sur la quasi-totalité de la mer de Chine du Sud. Mais, compte tenu d’une telle position de négation, le problème n’est pas résolu de facto, pas plus que n’est celui du détroit de Taïwan et de la mer de Chine de l’Est.

Une réponse otanienne au service des États-Unis en Indo-Pacifique

La défense des intérêts américains contre les Chinois par Taïwan interposé, voilà donc la vraie raison qui pousse le gouvernement américain à influencer l’OTAN dans la perspective d’une implication plus dense dans la grande région. Et la France a raison de se méfier d’un tel renforcement dans la mesure où la perspective la plus préoccupante est celle d’un possible engagement militaire ultérieur contre la Chine. À ce stade et dans une telle potentialité, l’on n’en est pas encore au projet de transferts de forces. Mais les voix se multiplient pour dénoncer la menace chinoise et pour renforcer davantage les liens avec les pays déjà partenaires de l’OTAN. C’est le cas des Pays-Bas qui, dans leurs «orientations pour le renforcement de la coopération hollandaise et européenne avec leurs partenaires en Asie», dans lesquelles ils s’érigent pratiquement en leaders de l’Europe, veulent carrément impliquer l’OTAN, avec cependant pour l’heure une orientation autre que celle de venir au secours de Taïwan, celle en particulier de défendre le droit international de la mer. Mais il s’agit bien d’une extension de la dimension de l’OTAN au-delà du théâtre atlantique. Quant à l’Allemagne, une telle insistance n’apparaît pas, de son côté, dans ses orientations pour l’Indo-Pacifique. Mais ses engagements militaires récents et nouveaux dans la région doivent être considérés comme un signal.

Enfin, à un degré supérieur vient la création de l’AUKUS (Australie, Royaume-uni, États-Unis) le 15 septembre 2021. Ainsi, petit à petit se construit, par pièces, un engagement plus fort de l’OTAN en Indo-Pacifique.

Mais cela conduira-t-il à son engagement armé au profit des Américains ? La perspective de servir de supplétifs ou de forces d’appoint aux États-Unis pour défendre leurs intérêts en Indo-Pacifique contre la Chine par Taïwan interposé est l’argument qui doit être servi au gouvernement de Washington sans sourciller, puisque c’est lui qui a la main sur l’OTAN, même si cela doit générer un peu de brouille.

Un conflit sino-américain demain en Extrême-Orient ne serait pas plus la guerre de l’OTAN que la guerre en Ukraine n’est aujourd’hui celle du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Asie du Sud-Est, de l’Inde, même s’ils s’en inquiètent, à juste titre cependant.

L’escalade en cours : Une France «non suiviste» et les «suivistes»
L’appel du Japon

L’autre argument qui plaiderait en faveur d’une intervention de l’OTAN dans la région est l’appel du Japon, qui se sent forcément et à juste titre menacé des retombées potentielles d’un conflit  sinotaïwanais puisqu’il se trouve géographiquement en première ligne. Dans ses discours Fumio Kishida tente de convaincre que les intérêts de l’Europe et de l’Asie sont «inséparables» sur le plan stratégique. À cette fin il fait valoir que l’ennemi commun est la Russie puisqu’elle apparaît à la fois ennemie de l’Europe et ennemie de l’Asie libre du Nord-Est depuis 2014, date à laquelle les événements de la place Maïdan, à Kiev, ont poussé Moscou à se jeter dans les bras de Pékin. Ce qui n’a cependant pas conduit à de quelconques accords formels entre Russes et Chinois, il faut le souligner, tels que traité, pacte ou autre format d’alliance formelle. Mais cela n’empêche en aucun cas les deux compères de se livrer en bonne entente à de fréquents exercices navals et aériens d’intimidation du Japon dans son environnement international proche et autour de l’État-archipel.

Tokyo a donc toute légitimité pour exprimer ses craintes. Mais la raison n’est pas suffisante pour appeler l’OTAN au secours puisque le Japon a déjà l’appui de Washington, qui n’est pas un mince allié. L’argument de l’imbrication stratégique de l’Europe et de l’Indo-Pacifique est fallacieux à cause de ce Russe dénoncé hostile commun aux deux pôles du continent eurasiatique.

En revanche là où le Japon n’a pas tort, c’est l’imbrication effective de l’Europe et de l’Extrême-Orient sur le plan économique, que ce soit sur le plan des marchés, des échanges, des transports. Mais ce ne serait pas une raison suffisante non plus pour engager militairement la France dans un cadre OTAN pour défendre Taïwan, le Japon, les Philippines, tous soutenus par les États-Unis. Un conflit armé dans la région perturberait en effet gravement les relations économiques entre l’est et l’ouest du continent eurasiatique. Mais de nombreux conflits antérieurs ont démontré que les difficultés créées par des actes de guerre pouvaient techniquement se contourner même si sur le plan économique les troubles soudains grevaient les budgets nationaux.

L’invitation des AP4 aux sommets de l’OTAN

En tout état de cause, cette inquiétude, ce besoin de se sentir soutenu par une formation supérieure à celle des seuls États-Unis, le Japon les a exprimés pour la première fois à Madrid, lors du sommet de 2022, auquel il avait été convié en même temps que les trois autres partenaires des AP4. Nul doute que cette année encore, lors du sommet de Vilnius, où les AP4 ont à nouveau été invités, Kishida les exposera à nouveau. Si les tourments du Japon face aux menaces russe et chinoise sont tout à fait compréhensibles, le sommet de l’OTAN, n’est pas le lieu pour les entendre. Ces invitations, qui se répèteront sans doute les années prochaines, constituent un précédant encourageant pour justifier une amenée ultérieure de l’OTAN en Extrême-Orient. Elles constituent un nouveau pas en avant dans un projet qui s’échafaude progressivement comme l’est l’intention d’accueillir la participation de la partie japonaise au Conseil Nord Atlantique et régulièrement aux réunions des responsables défense de l’OTAN.

Troisième marche : l’installation envisagée d’un bureau de l’OTAN à Tokyo

Dans la trajectoire des démarches en ce sens s’inscrit la visite de Jens Stoltenberg le 31 janvier 2023 à Tokyo où, avec le premier ministre japonais, les deux dirigeants ont exprimé leur «engagement à  accroître» la coopération OTAN-Japon. S’inscrivent aussi les négociations en cours en vue de l’installation d’un bureau de liaison de l’OTAN dans la capitale japonaise en 2024. Accéder à la demande japonaise serait pour l’OTAN mettre un pied opportun dans la place Indo-Pacifique. La France s’y oppose, avec en particulier l’argument des contenus des articles 5 et 6 quant à la zone de couverture du traité de Washington. Et elle a raison, sachant qu’en contrepartie un tel refus ne signifie pas pour autant une réticence à contribuer à des actions communes de coopération en bonne entente, de diverses manières, selon diverses configurations, bilatérales comme multilatérales, avec divers partenaires, selon les situations présentes ou futures envisageables, dans toute la région Indo-Pacifique. C’est ce qu’elle démontre déjà régulièrement au travers des diverses actions qu’elle mène en collaboration : lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden, surveillance de la pêche illégale en Pacifique sud, contribution au contrôle du respect de la résolution 2375 contre la Corée du Nord, exercices militaires internationaux, comme celui auquel la frégate Lorraine a participé le 9 juin avec le Japon, le Canada, les États-Unis en mer des Philippines, pour ne citer que quelques-unes de ses actions.

La France doit tenir ses positions sans sourciller

Devant toutes ces étapes cumulatives qui visent à parvenir au projet d’introduction de l’OTAN en Indo-Pacifique, la France doit donc continuer à tenir une veille pointilleuse sur ces risques annoncés de détournement de la vocation de l’Alliance. D’autant plus que depuis que le programme OTAN 2030 a été entériné, la position originale et personnifiée française est fragilisée. Et elle est susceptible d’être balayée tant les sous-entendus d’aspiration à l’abandon du consensus au profit de la prise de décisions transpire dans «OTAN 2030», même s’il y est écrit : «Le consensus est l’une des pierres angulaires de l’Alliance». Mais il y est aussi dit : «Pourtant, ces dernières années, il est arrivé de plus en plus souvent que des pays bloquent des décisions à eux seuls». La France est donc clairement visée et il n’y a pas lieu de se laisser impressionner par de tels propos face à l’autoritarisme sous-jacent. Ce serait démissionner sous la pression.

La veille française doit aussi se poursuivre sur les autres risques de contournement du traité en ce sens que justement la direction de l’OTAN, se sentant bridée de ne pas pouvoir prendre de décisions immédiates, avance un certain nombre de propositions telles que :

– «L’OTAN devrait créer, au sein des structures existantes de l’Alliance, un mécanisme plus structuré pour la formation de coalitions. L’objectif serait que les Alliés puissent placer de nouvelles opérations sous la bannière OTAN même si tous ne souhaitaient pas participer à une éventuelle mission». Autrement dit, si l’on applique le raisonnement au théâtre Indo-Pacifique, le projet ouvrirait la porte à une action de l’OTAN sans la France et sans son avis contre la Chine, quelle que soit la partie à soutenir, Taïwan, États-Unis, Japon, Corée du Sud, Philippines.

– «L’OTAN devrait envisager de renforcer le secrétaire général dans son rôle de chef en lui déléguant le pouvoir de décision sur les questions de routine et en l’encourageant à mettre les dossiers sensibles sur la table aussi tôt que possible. Le secrétaire général pourrait ainsi consacrer davantage d’attention aux questions stratégiques sans mettre à mal le principe du consensus».

Par voie de conséquence, tout se mettrait en place pour que, par effet d’entraînement lié à sa qualité de membre de l’OTAN, la France soit happée contre son gré, et même ses intérêts, dans un conflit sino-américain à cause de Taïwan. Or elle n’aurait aucune raison de s’impliquer dans une guerre suscitée par les États-Unis, et aux côtés des États-Unis, au profit des intérêts primordiaux de Washington, contre la Chine, sous le couvert d’une défense de Taïwan. Si soutien à apporter à Taïwan dans les moments difficiles que rencontrerait l’île il appartiendrait à Paris d’en décider librement, selon ses moyens et sa capacité, sans pour autant se laisser engluer dans le piège d’une coalition. «Ne pas être suiviste» des États-Unis et de leurs inconditionnels de l’OTAN s’impose encore davantage à la lumière de ce risque de dévoiement des règles historiques du traité de l’Alliance. En ce sens le président de la République a mille fois raison de tenir une position de fermeté et devrait la maintenir lors du sommet de Vilnius.

Il doit en être ainsi parce que, malgré le dépouillement de ses capacités militaires, conséquence de l’argument tendancieux qui a été celui du «recueil des dividendes de la paix», la France dispose encore de quelques moyens qui lui permettent de démontrer qu’elle est encore une puissance qui compte. Elle est d’ailleurs actuellement en train de renforcer cet affichage avec les opérations Pégase en Indo-Pacifique, celle de 2023 l’amenant à déployer, entre le 25 juin et le 3 août, 10 Rafale, quatre avions de transport A400M et cinq de ravitaillement A330, un déploiement en parallèle à l’affirmation française de présence en mer de Chine du Sud avec l’expédition de la frégate «Lorraine». Une telle projection aérienne de puissance est en cours avec escales dans dix pays d’Indo-Pacifique et exercices communs à la clé. Il n’y a donc pas de raison pour que la France, parce qu’elle a des arguments, ne puisse pas faire entendre sa voix, même si elle est dissonante et dérangeante pour les États-Unis et les Européens inconditionnellement otaniens.

Les Allemands en Indo-Pacifique

Dernier projet annoncé en date par le ministre allemand de la défense Boris Pistorius lors des dialogues du Shangri la 2023 : celui du déploiement de deux navires de guerre en Indo-Pacifique en 2024 pour y «renforcer la coopération en vue de construire un Indo-Pacifique libre et ouvert», formule synthétique qui demande toutefois une certaine exégèse pour en déterminer le concret.

Néanmoins si le but est effectivement celui qu’annonce Pistorius et qu’il se concrétise par une présence visible significative en mer de Chine du Sud et de transit par le détroit de Taïwan, il est louable. Il est louable en ce sens que, faute de pouvoir contraindre Pékin d’y respecter les engagements qu’il a pris en ratifiant la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, une telle manifestation entre parmi celles qui sont destinées à le convaincre de changer de position, quand bien même l’idée relève de l’utopie aujourd’hui. Mais si l’objectif d’une telle expédition programmée est de procéder à une opération écran d’un éventuel projet de transfert de capacités otaniennes vers l’Indo-Pacifique, alors un pas de plus sera fait dans la direction recherchée par l’Organisation, les États-Unis, le Japon.

Conclusion

Au total, sous prétexte de soutenir Taïwan contre la menace chinoise, il n’y a cependant aucun lieu pour la France de risquer de se trouver impliquée dans un éventuel conflit qui serait avant tout sino-américain, que ce conflit soit suscité par l’un ou par l’autre, soit pour ramener l’île à la Chine, soit pour la défendre contre les ambitions de Pékin.

La menace chinoise existe bel et bien à l’encontre de Taïwan mais il n’est nullement nécessaire de l’exciter comme l’ont fait encore jusqu’à très peu les États-Unis. Il n’est nullement nécessaire de l’exacerber en projetant d’amener l’OTAN en Asie-Pacifique, un projet qui pourra n’être considéré que comme hostile par Pékin, et pour cause.

S’en abstenir ne serait en aucun cas démissionner devant l’ambition chinoise. Mais le maintenir ne peut qu’aviver les tensions au lieu d’amener un minimum de sérénité dans la région quand par ailleurs l’objectif international est d’abord de contraindre la Chine à y respecter le droit de la mer, qu’elle y bafoue sauvagement au détriment des pays d’Asie du Sud-Est et en y affichant, avec une rhétorique fumeuse, un dédain méprisant à l’égard de l’ONU et de ses institutions dédiées.

Il est clair que la France, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, devra s’opposer à ce projet visant à donner à l’OTAN un rôle planétaire non prévu par le Traité de l’Atlantique Nord, si elle veut pouvoir garder sa liberté de manœuvre politique au sein de l’ONU, seule organisation mondiale, dont le multilatéralisme lui est indispensable au maintien de sa souveraineté pleine et entière sur l’ensemble de ses territoires et zones économiques exclusive (ZEE) dans la zone Indopacifique.
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Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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