Dans cet article, Aymeric Monville, des éditions Delga, s’étonne de n’entendre parler de ses auteurs que dans des rapports écrits pour l’OTAN et des commissions d’enquête de l’Assemblée nationale. Maxime Vivas, bien connu des lecteurs du Grand Soir, et dont l’œuvre romanesque et journalistique est traduite en treize langues, méritait sans doute mieux qu’une mise au pilori ! Quant au haut-fonctionnaire Benoît Quennedey, après trois ans de lourde procédure contre lui aboutissant à un non-lieu, il se voit, malgré cette décision de justice, qualifié par le député RN de « cas avéré » d’ingérence étrangère, nord-coréenne en l’occurrence. Quelle sera la prochaine étape ? (n.d.r.)
LGS
Extrait du journal de bord d’un éditeur non sinophobe.*
Au fond, être éditeur « engagé », comme disait le vieux Sartre, ne coûte guère en abonnements aux revues littéraires et fort peu en raouts mondains. Depuis quelque temps, je me suis même résolu à n’entendre parler de « mes » auteurs – qu’on me pardonne ce possessif qui n’est rien qu’affectueux – que dans les chroniques judiciaires, les rapports militaires écrits pour l’OTAN, et aujourd’hui, une commission d’enquête sur les ingérences étrangères à l’Assemblée. Assemblée nationale, bien sûr, on ne se refuse rien.
J’étais donc en robe de chambre, sirotant mon café, et voilà qu’on m’envoie, en guise de « critique littéraire » de mes amis Benoît Quennedey[1] et Maxime Vivas[2], ce rapport de commission. Le rapport est sans doute le seul genre littéraire que peut encore produire notre époque, époque si formidable qu’elle n’a même plus besoin de demander aux poètes leurs papiers, puisqu’elle sait déjà tout sur eux.
Pour le titre, accrochez-vous : « Commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français[3] ».
Ingérence, vaste programme
L’époque étant toujours formidable, cette commission au Palais-Bourbon était dirigée par M. Jean-Philippe Tanguy, député du si mal nommé « Rassemblement national ». Par réflexe, j’aime toujours retenir le nom des présidents de tribunaux et des procureurs. Certains passent à la postérité, comme Pinard, par exemple, celui qui condamna Baudelaire et Flaubert avec un sens inégalé de ce qui comptait à son époque. Son nom était proverbial, comme l’histoire retiendra que Robespierre, en Thermidor, a vu sa mâchoire arrachée par une balle du sergent Merda, sans oublier la bonne Lorraine consumées sur les braises allumées par l’évêque Cauchon.
Le président s’appelle donc Tanguy, ce qui en bon breton signifie : « chien de feu ». Tout un réjouissant programme jappant, sautillant et mordillant.
On aurait pu naïvement penser qu’amené à résipiscence, le président Tanguy allait décider d’enquêter sur les ingérences étrangères venues de son propre camp, à l’époque où le Front national avait été fondé par les anciens SS Léon Gaultier et Pierre Bousquet, par le doriotiste Victor Barthélémy, par le milicien François Brigneau et j’en passe. Ou bien que, dans un accès subit de courage, il eût posé la question de savoir pourquoi le président Macron était lui-même un « young leader » de la French Americain Foundation à une époque où les USA ne se gênent nullement pour espionner les communications des dirigeants européens ?
Que nenni.
L’Affiche était rouge
Ce jour-là, la commission recevait M. Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, organisme dont le financement étranger, qu’on se rassure, ne sera, lui, jamais questionné[4], puisque tout provient du camp du « bien ». Et comme il est dans le camp du « bien », ce monsieur si bien entouré repère ses moutons noirs, ce qu’il appelle « cet individu », en l’occurrence Maxime Vivas, et lui taille un costard. C’est visiblement la règle du jeu de ces auditions à huis clos qui permettent de ne pas s’embarrasser de contradicteurs, avec tout le prestige d’un palais républicain qui sert désormais de paillasson aux amis des Le Pen.
A la lecture, le compte rendu, la journée a donc été consacrée à l’énumération de trois dangereux fléaux :
1) Benoît Quennedey
2) Maxime Vivas
3) Lu Shaye
Son Excellence l’ambassadeur de la République populaire de Chine à Paris était le seul de cette liste que je n’avais pas encore eu l’honneur de publier. Mais grâce un nouveau livre à paraître[5], sous la direction de Maxime Vivas lui-même et Jean-Pierre Page, je peux assurer M. Tanguy et son parti que cette faute de goût sera vite réparée.
Quant à Maxime Vivas, on ne le présente plus, c’est l’incontournable ennemi public numéro 1, le méchant dans le film, cité plus de soixante fois dans un rapport de l’Institut de Recherches Stratégiques de l’Ecole Militaire destiné à l’OTAN, l’objet de tous les ressentiments.
Quennedey, en revanche, est plus jeune et donc moins connu mais néanmoins jugé « l’un des rares cas d’ingérence avéré », selon le président Tanguy, qui le décrit comme « un administrateur du Sénat qui avait effectué plusieurs voyages en Corée du Nord avant d’être arrêté ».
Cas d’ingérence avéré ? a-vé-ré ???
A ce moment, la tasse de café m’échappe des mains.
Du Palais du Luxembourg au procès du Reichstag
Même son interlocuteur, Antoine Bondaz, se sent obligé de rappeler que Benoît Quennedey « a bénéficié d’un non-lieu » et qu’il n’était responsable qu’à la section « jardins » du Sénat, lieu, comme on sait, peu connu pour être un secteur regorgeant d’informations secret défense.
Même acquitté, on serait donc toujours présumé coupable ? Ça promet, la justice, si le RN arrive au pouvoir…
A quand, d’ailleurs, tant cette époque se confirme comme formidable, un nouveau procès du Reichstag ?
Le Reichstag, c’était l’Assemblée en Allemagne en l’an 1933, et les nazis y avaient mis le feu pour faire porter le chapeau aux communistes et lancer ainsi le signal de leur extermination. Après tout, allez savoir, Benoît Quennedey, haut-fonctionnaire Sénat, n’aurait-il pas joué avec des allumettes au palais du Luxembourg en arpentant le secteur si sensible des jardins ?
Je ruminais ces perspectives peu réjouissantes de répression politique sous n’importe quel prétexte, en me demandant quand ils viendraient me chercher chez moi et qui viendrait m’apporter des oranges…
Et là, coup de tonnerre : une absolution ! Oyez, braves gens ! Maxime Vivas n’a pas incendié le Reichstag !
Au fond, de gentils garçons
Qui le dit ? Antoine Bondaz himself, le « spécialiste » de la Chine invité par la commission d’enquête, et a fortiori un « International visitor leadership Programm », in english in ze text, programme financé par le Département d’Etat[6]. Et le « visitor » de rendre son verdict :
« [Maxime Vivas] n’est pas prochinois [ouf !], il est surtout anti-américain. Il suit une logique anti-impérialiste, qui n’est pas condamnable en tant que telle [re-ouf !] mais qui se transforme en une sorte d’anti-américanisme. »
« Pas condamnable »…. J’éponge mon front….
Et Bondaz de continuer : » Je ne suis pas là pour défendre les États-Unis, qui peuvent être critiqués sur de nombreux aspects – je pense par exemple aux 40 000 morts par an par armes à feu et aux 600 tueries de masse perpétrées l’année dernière. Le problème de M. Vivas, c’est que son anti-américanisme est utilisé par un pays étranger à d’autres fins. »
Etrange de la part de M. Bondaz de dévier soudainement du problème de l’impérialisme à la politique strictement intérieure des Etats-Unis, mais passons.
Bondaz toujours (puisque c’est le seul invité) : « Même si je le critique, je ne pense pas qu’il soit un agent de Pékin – ou alors il l’est malgré lui. Ce n’est pas quelqu’un qui a touché 50 000 ou 100 000 euros de la Chine. À mon sens, il est lui-même persuadé qu’il fait quelque chose de bien, il agit de sa propre initiative. Pour les Chinois, c’est encore mieux ! »
Agent-de-Pékin malgré lui, à l’insu de son plein gré. Soit ! Bondaz a réinventé le purgatoire. Et il nous refait le coup des idiots utiles, faire-valoir ingrats de ce puits de science sinologique qu’est Antoine Bondaz sous l’œil avisé du président Tangy, député du Rassemblement national.
Soudain, un sursis ?
Cette mansuétude soudaine, ce sursis avant exécution finale, a néanmoins une cause et est due à un phénomène qu’on risquerait de perdre de vue : sur le plan des faits, que la commission avait un peu oubliés en route, il n’y a rien.
Rien.
Benoît Quennedey occupait le poste de président d’une Association d’amitié franco-coréenne fondée en 1969 et présidée, en son temps, par Louis Terrenoire, ministre du général de Gaulle, déporté, résistant. La seule explication à cette hystérie contre lui et son association est qu’aujourd’hui, s’intéresser à la Corée, du Nord comme du Sud, penser que ce sont des êtres humains qui méritent considération et étude de leur culture – ce qu’on appelait dans le « monde d’avant » l’humanisme -, c’est évidemment trop pour la sous-culture des députés macrono-lepénistes.
Maxime Vivas, quant à lui, a été confirmé dans son enquête sur le Xinjiang par – excusez du peu – l’ONU.
Je crois savoir qu’il aurait, malgré cet étayage international, apprécié quelques mots de soutien chaleureux d’un de ses camarades député de LFI, Aurélien Saintoul, présent à la commission. Dans toute bonne histoire, il faut bien des Judas et des Saint-Pierre qui se renia trois fois.
Ce qui explique cette conclusion en forme de « allez, circulez », au fond, ce n’est pas un prurit d’humanité qui aurait démangé les acteurs de ce sombre cénacle ; c’est surtout que Maxime Vivas a déjà croisé le fer avec Antoine Bondaz, Bondaz aux traductions soudainement vacillantes surtout quand il s’agit du Xinjiang[7], Bondaz qui ne croyait pas à l’existence de la journaliste Laurène Beaumont et y croit désormais (Allélouiah !), Bondaz au parcours universitaire lustré comme un paquebot transatlantique. Le « chercheur » se sera donc vraisemblablement heurté au réel et aura donc compris qu’il y a vraiment des gens qui ne pensent pas comme lui, même si cela paraît très vilain, et ne posent pas sur sa tête blonde le regard enamouré d’une commission universitaire aux bourses pleines.
Il n’y a rien dans l’affaire, donc, et sinon il reste néanmoins un tout. Ce tout c’est l’impérialisme américain qui, depuis 1898 environ, ravage la planète, mène près d’une guerre par an et achève de nous porter vers la Troisième Guerre mondiale si nous n’y mettons pas fin. Un détail, qui, je le conçois, détourne à peine du sans doute réjouissant spectacle de quelques rouges mis au pilori par un député RN trop heureux d’exercer enfin le POUVOIR.
Ces réflexions faites, je repose le rapport de l’Assemblée sur la table maculée de café. Il ne me reste plus qu’à ranger ma robe de chambre et partir au turbin. Un autre jour, promis, on parlera littérature.
Aymeric MONVILLE, juillet 2023.
NOTES :
[1] De qui j’ai publié : La Corée du Nord cette inconnue.
[2] A qui je dois La Chine sans œillères (ouvrage collectif édité avec Jean-Pierre Page), deux amis avec qui j’ai eu l’honneur d’écrire Les Divagations des antichinois en France (préfacé par le contre-amiral Gaucherand).
[3] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceingeren/l16…
[4] La page wikipedia, en anglais, renseigne sur les financements de ladite Fondation : « Ses partenaires sont publics et privés : Les institutions de l’Union européenne comprennent la Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure, le Parlement européen, l’Agence spatiale européenne et l’Agence européenne de défense ; les organisations internationales comprennent les Nations unies et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. La Fondation travaille également avec des entreprises privées françaises et européennes, ainsi que, pour des projets spécifiques, avec les gouvernements de certains pays étrangers : Australie, Finlande, Japon, Pologne, Royaume-Uni, etc. En 2016, les ressources de la Fondation s’élevaient à 3,68 millions d’euros. Les financements de la recherche provenaient de ministères (64%), d’organisations européennes et internationales (14%), d’agences publiques (10%), d’entreprises du secteur privé (9%), et de sources diverses (3% : projets avec d’autres think-tanks…). »
[5] Chine-USA, guerre imminente ?, ouvrage collectif sous la direction de M. Vivas et J.-P. Page, à paraître aux éditions Delga.
[6] Comme indiqué sur le site même de la Fondation d’Antoine Bondaz : https://www.frstrategie.org/en/frs/researchers/antoine-bondaz
[7] Voir Les Divagations des anti-chinois en France.
* Ce texte est un extrait d’un livre collectif à paraître à la rentrée. Voir ci-dessous.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir