RapSit-USA2023 : L’hégémon épuisé
• Le maître des experts US et fleuron de l’establishment, Richard Haass, quitte la direction du ‘Council of Foreign Affairs’ (CFR) après vingt années dans cette position. • Le CFR est le centre même de l’influence et de l’hubris du système de l’américanisme. • Haas s’en va en signant dans la revue du CFR un article où il dit décisivement : “La plus terrible menace contre nous, les USA, c’est-nous-mêmes, les USA”. • Ce départ ressemble à un suicide même si Haass garde tous ses privilèges, un “auto-suicide rituel” de l’américanisme. • Il valait mieux que Jefferson mourût.
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L’expression d’‘auto-suicide’ est certainement une sorte de pléonasme, sauf lorsque la CIA est dans le coup et qu’il s’agit de nous convaincre qu’il y a bien eu suicide. Mais les USA sont quelque chose de particulier, d’exceptionnel bien sûr, et il se peut bien que l’expression leur aille comme un gant. On désignera donc la décision de Richard Haass de démissionner de la présidence du CFR (‘Council of Foreign Affaires’) dans les conditions qu’il indique dans un article qu’il fait paraître dans la revue ‘Foreign Affaires’ de la même association, et cela après le record de vingt ans de présidence, comme une sorte d’auto-suicide rituel et symbolique. On sent même qu’il n’y a rien, ni dans l’acte, ni dans l’article, qui fasse penser que Haass espère quoi que ce soit de son geste, par exemple qu’il réveille les conscience et fouette les volontés ; qu’il n’y a rien, par ailleurs, qui montre qu’il mesure l’importance de son geste, et ainsi le terme “auto-suicide” est-il encore plus justifié par son caractère d’“automatisme” (il s’est suicidé sans le savoir, et d’ailleurs il va bien dans ses privilèges conservés, – ‘Humain, trop humain’, Richard Haass).
Effectivement et en fait de suicide, Haass n’est pas mort et tout va bien pour lui, sa situation, son statut, etc. Le suicide concerne la présidence du CFR, comme si la démission de Haass marquait sans consultation du pseudo-suicidé, le suicide de cette haute fonction, dirigeant l’organisation inspiratrice, symbolique et productrice de la sève de la puissance de l’américanisme, – diplomatie de l’hypocrisie comme un des beaux-arts, puissance militaire et quincaillerie tueuse, monde universitaire et influence, culture de masse et massage des cerveaux, sciences appliquées et technologie de dingue, fric & business, – depuis plus d’un siècle.
Le “suicide”, l’“auto-suicide”, c’est comme si l’on disait : “Malgré tout et malgré ce qui fut et que l’on crut, – tout, tout est fini”. La fin de cette adresse imaginaire, ce furent les derniers mots de Jefferson mourant en 1825, – étrange prémonition ou bien prémonition significative, – parlant du destin de l’Amérique qu’il avait rêvé et qu’ils (les Pères Fondateurs) avaient rêvé :
“Nous”, la principale menace
D’une façon générale, les divers commentateurs ont accueilli l’article et la démission de Haass comme un événement symbolique important, – sur la fin de l’hégémonie des USA ou sur la crise profonde et existentielle que traversent les USA, – c’est selon et, pour nous, la différence est très grande. On peut concevoir la fin de l’hégémonie des USA sans qu’il faille constater une crise existentielle qui contient en elle-même la fin des USA ; ou bien non, les deux sont liés, intimement liés… Nous sommes pour la seconde option, quoi que disent et pensent, et Haass, et les commentateurs de Haass.
En fait et pour être net, ce que dit Haass ne nous importe pas. Seul l’acte compte : la démission pour un motif de grave événement pour les USA par rapport aux ambitions et à la mission du CFR. Cet acte est en lui-même un événement d’une immense importance.
Nous ne nous sommes pas attardés à beaucoup de commentaires. Nous avons été alertés par deux articles et nous en sommes restés là, puisqu’ils suffisaient pour nous informer de l’acte.
• D’une part, « The official end to hegemony? », sur ‘Sona21.com’, le site de Larry S. Johnson (mais l’article n’est pas de Johnson, mais d’un collaborateur anonyme).
• D’autre part, « The Sun Sets On Richard N. Haass’s CFR Career », de ‘Simplicius TheThinker’.
Le second comporte une analyse beaucoup plus fouillée, qui prend largement en compte l’aspect rituel et symbolique de l’événement, soit ce que nous nommons l’“auto-suicide” de Haass qui implique totalement la dimension idéologique, symbolique et allégorique de l’américanisme. En d’autres mots : le système de l’américanisme peut-il exister, – non pas sans l’hégémonie, ce qui va de soi, – mais de manière plus sophistiquée : peut-il exister sans le CFR et la revue ‘Foreign Affairs’ ? La réponse est non, no, nein, nyet. On a donc, complètement et sans demander l’avis de monsieur Haass, la signification de l’acte qu’il a posé.
Nous prenons deux extraits de l’article de ‘Simplicius’ qui vont tous deux dans le même sens, qui est la seule chose qui nous intéresse. Puis nous revenons sur les réactions de ‘Simplicius’ et concluons.
• Le premier extrait est une approche du point essentiel que soulève Richard Haass, ici et pour commencer, la perte d’influence et d’inspiration des USA pour The Rest Of the World (ROW).
« L'article commence par nous rappeler que ce qui empêchait Richard Haass de dormir au cours des deux dernières décennies fut l’habituel kaléidoscope des “menaces” fictives : Corée du Nord, Russie, Iran, Chine et même le changement climatique. Mais tout cela appartient au passé ; aujourd'hui, Haass pense que la principale menace, c'est “nous”.
» “Jusqu'à récemment, ce stratège mondial n'aurait jamais envisagé une telle éventualité. Mais dans son esprit, l'effritement du système politique américain signifie que, pour la première fois de sa vie, la menace intérieure a surpassé la menace extérieure. Au lieu d'être le point d'ancrage le plus fiable dans un monde instable, les États-Unis sont devenus la source la plus profonde d'instabilité et un exemple incertain de démocratie.”
» [Haass] poursuit en déplorant que les développements politiques internes de l'Amérique ne soient plus un motif d'émulation pour le reste du monde. L'imprévisibilité et le “manque de fiabilité” qui caractérisent aujourd'hui la culture politique américaine sont qualifiés de “toxiques” par M. Haass et rebutent les alliés de longue date. »
• Le second extrait développe cette idée fondamentale du « Haass pense que la principale menace, c'est “nous”», qui est effectivement le fondement même du suicide, de l’auto-suicide, du « En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant » de Lincoln-1839, – effectivement comme si l’on parlait de la marque de fabrique de l’américanisme, sa façon d’être comme si l’on parlait de sa façon de mourir… En effet, tout va aux USA plus mal que cela ne fut jamais et, pourtant, il n’y a aucune des menaces qui, en d’autres temps, suscitèrent des crises : plus rien ne nous menace et jamais nous ne sommes trouvés si complètement menacés, – peuvent se dire ses citoyens qui se trouvent dans leur pays comme dans un pays en guerre.
« Maintenant que le karma a empoisonné les puits et salé le sol, transformant le paysage américain en une horreur de perversion anti-traditionnelle où règnent l'immoralité gouvernementale et l'anarchie, Haass trouve enfin en lui la force de s'inquiéter pour son pauvre pays :
» “Au cours du siècle dernier, l'Amérique a connu d'autres périodes de division et de discorde – [la Guerre Civile et les lois] Jim Crow, le maccarthysme, le Vietnam, les droits civiques, le Watergate. Les assassinats, les émeutes et la guerre qui marquèrent 1968 viennent souvent à l'esprit comme une année singulièrement misérable dans la vie de la nation. Mais Haass considère que ce moment est encore pire. “Il ne s'agit pas de menaces contre le système, contre le tissu social”, a-t-il déclaré. “C’est pourquoi je pense que ce moment est plus important”. »
En d’autres termes encore plus précis, Haass a fait écrire au New York ‘Times’, qui s’interrogeait pour savoir quel était l’ennemi le plus redoutable pour le monde entier et, surtout, pour les États-Unis eux-mêmes ?
« Mais alors qu'il se retire après deux décennies à la tête de l'organisation privée américaine la plus réputée dans le domaine des affaires internationales, le Docteur Haass est parvenu à une conclusion inquiétante. Le danger le plus grave pour la sécurité du monde à l'heure actuelle? La menace qui lui fait perdre le sommeil ? Les États-Unis eux-mêmes. »
Bien entendu, si Haass s’en va, il n’oublie pas de laisser derrière lui tout ce qui importe et fonde le simulacre pour que son médiocre successeur continue à tenir ce qu’il lui reste de rôle disponible dans ce ‘Clown World’ (selon Christoforou). Il sait bien qu’après lui la rengaine du simulacre se poursuivra mais son départ nous informe crument que, vraiment, avec toutes les fausses notes qui vont s’accumuler, plus personne n’a le cœur ni l’oreille d’écouter cette symphonie du simulacre qui est devenue une accumulation incroyable de désaccords et de désharmonies. Le départ de Haass après vingt ans de bons et loyaux services marque symboliquement, pour les initiés si l’on veut mais de façon ô combien convaincante, la fin du voyage d’un système qui, dès l’origine, portait en lui toutes les malfaisances qui le dévorent aujourd’hui. Il est vrai qu’il était, dès l’origine, à cause des penchants des individus et des manigances du diable, le porte-drapeau de la modernité. C’est tout dire et tout est dit.
« Tout, tout est fini… »
Dès l’année 1791, Jefferson, l’un des plus marquants des Pères Fondateurs, écrivait une lettre restée célèbre au président Washington dans l’administration duquel il servait. Il y dénonçait la corruption et les pratiques de malversation du Congrès qui, selon lui, mettaient en danger l’œuvre entreprise. Trente-quatre ans plus tard, il rendait son dernier soupir avec cette phrase qu’on a déjà citée plus haut, – « Tout, tout est fini… », – signifiant par là qu’après une vie au cœur du cœur de la politique de la Grande République, il mesurait combien un système diabolique était déjà en place et que nul ne parviendrait à le dompter sinon à le percer mortellement comme le plus prestigieux des toreros fait d’un taureau. Le simulacre était déjà en place, celui qui nous fait croire à la magie américaine, à sa révolution, à son monde nouveau, celui qui nous trompait et, dès1825 et la mort de Jefferson, remplissait Stendhal d’horreur.
Jacques Barzun, prestigieux intellectuel français du début du XXème siècle, émigré aux USA où il connut un succès considérable en devenant l’un des plus prestigieux universitaires américains de son temps en donnant à l’université américaine de nouveaux domaines littéraires à explorer, écrivit une somme considérable sur l’Occident, “l’Occident-collectif” aurait-on pu dire. Ce fut son remarquable ‘From Dawn to Decadence – 500 Years of Western Cultural Life’, publié en 1999. Sur la naissance de cette démocratie américaniste se voulant exemplaire et révolutionnaire, telle que les hommes du système de l’américanisme l’avait représentée en un simulacre qui ne tient plus désormais que par des débris de F-35,– là-dessus, Barzun écrivit dans son œuvre majeure, ceci qui définit le contraire d’une révolution :
« S’il y en avait un, le but de la Guerre d’Indépendance américaine était réactionnaire : ‘Le retour au bon vieux temps!’ Les contribuables, les élus, les marchands et négociants, les propriétaires voulaient un retour aux conditions existantes avant l’établissement de la nouvelle politique anglaise. Les références renvoyaient aux droits classiques et immémoriaux des Britanniques : autogouvernement par le biais de représentants et d’impôts garantis par les assemblées locales, et nullement désignées arbitrairement par le roi. Aucune nouvelle idée suggérant un déplacement des formes et des structures du pouvoir – la marque des révolutions – ne fut proclamée. Les 28 affronts reprochés au roi George avaient déjà été souvent cites en Angleterre. Le langage de la Déclaration d’Indépendance est celui de la protestation contre des abus de pouvoir, et nullement celui d’une proposition pour refonder le gouvernement sur de nouveaux principes. »
En vérité, Barzun avait sans doute défini ce que les Américains de l’origine recherchaient, qui se retrouve dans la démocratie localiste de Jefferson et, d’une façon plus générale, dans les programmes libertariens aux USA, avec un volet économique très accessoire et d’abord, et surtout, un volet politique fondamental qui se défie avec horreur et terreur de la puissance bureaucratique aveugle du gouvernement centralisateur, – de cet affreux Washington D.C. devenu “D.C.-la-folle”.
En effet, lorsque ‘Simplicius’ évoque les “vertus civiques” de la Déclaration d’indépendance comme il le fait dans l’extrait ci-dessous, ne désigne-t-il pas ce que Barzun observe dans la vérité du projet de l’indépendance américaine, ce “retour au bon vieux temps” contre lequel les globalistes comme Haass ne cesse de ferrailler, désormais depuis des siècles, et désormais de plus en plus vainement jusqu’à l’auto-immolation ?
« [Haass] ne se soucie pas de rééduquer les Américains sur les “vertus civiques” de la Déclaration d'indépendance, – tout cela n'est que du vent et du papier pour la galerie afin de nous distraire de l'effort réel.
» Ce qui a vraiment ébranlé leurs fondations, c'est que les Américains eux-mêmes redécouvrent ces mêmes vertus civiques que Haass et ses semblables ont travaillé si assidûment à piétiner sous le couvert de la campagne mensongère de masse du complexe militaro-industriel-corporatif-médiatique. Et ces vertus sont des menaces existentielles pour le CFR et les groupes de réflexions globalistes qui se sont attachés au cœur fibrillaire de l'Amérique comme des tumeurs parasites.»
Certes, pour restaurer ces “vertus civiques”, il faudra rompre. Haass, contraint et forcé, a commencé à le faire, en coulant avec lui l’arrogance et l’hubris du CFR désormais rangé au rayon des antiquités et des rêves brisés, prêt à suivre le ‘Titanic’ dans son odyssée.
Mis en ligne le 4 juillet 2023 à 17H10
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org