Haïti : une insolence de plus pour refuser l’oubli ! — Erno RENONCOURT

Haïti : une insolence de plus pour refuser l’oubli ! — Erno RENONCOURT

Dans ce second acte, je reviens contextualiser l’indifférence du collectif haïtien vis-à-vis des sanctions internationales contre ses élites comme un motif du génome de l’indigence qui déshumanise ce pays. Mon raisonnement soutient que : vivre dans l’oubli de ses erreurs et continuer à errer en ne recherchant que des finalités économiques relève d’une profonde médiocrité humaine. Pour soutenir mon insolence, j’ai convoqué à la barre, comme experts, Gaston Bachelard (formation de l’esprit scientifique), Hélène Trocme Fabre (théorie de l’apprenance) et Diego Gambetta (Homo œconomicus et la criminalité) pour donner corps au postulat de l’apprenance comme ultime finalité du vivant.

Dans le premier acte de cette tribune, le contexte a été mis sur l’indifférence de la société haïtienne, dans ses composantes les plus illustres, vis à vis des sanctions internationales contre les personnalités les plus influentes des milieux économiques et politiques du pays. Une telle indifférence interpelle. Pour cause, ceux épinglés et avilis par ces sanctions, à titre puissants manitous financiers et stratèges politiques de la grande criminalité qui déshumanise Haïti, ont été les fers de lance du mouvement socio politique Grenn Nan Bounda (GNB). Mouvement, rappelons-le qui s’était illustré notamment par le boycott des festivités de commémoration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti en 2004.

Cette métamorphose, par laquelle les sanctions internationales ont transformé en Zorros du gangstérisme légal les héros du GNB contre Attila (titre d’un documentaire médiatisant ce mouvement), nous semble trop structurante pour ne pas relier l’indifférence collective qui l’accompagne à l’impuissance d’Haïti devant son errance. À notre sens, ce lien n’est pas hasardeux. Il est à la fois anthropologique et sociologique. Pour tout dire, nous postulons que l’impuissance dont fait montre le peuple haïtien dans la prise en main de son destin est la version locale d’une défaillance humaine induite, dans le contexte haïtien, par une faille dans la mémoire collective. Elle s’est creusée dans un passé lointain, dont le conditionnement déshumanisant (la barbarie de l’esclavage) a déformé la conscience de l’Haïtien en maintenant (active) dans son inconscient la culture du marronnage comme une valeur sûre. C’est cette « intelligence adaptative », faite de malice, de coups bas, de mystification, d’impostures, de dissimulation, d’instrumentalisation et de déshumanisation de l’autre, qui a structuré l’indigence actuelle (IA). Comme une IA générative, elle produit par séquence des boucles d’instruction algorithmiques conçues pour verrouiller l’écosystème dans une défaillance séculaire pour tuer la vraie intelligence.

Puisque nous traitons cette problématique en profondeur dans le récit intitulé la spirale de l’indigence pour tous, nous allons nous concentrer ici sur la problématique de l’insignifiance et de l’impuissance dans le contexte de l’indifférence collective haïtienne vis-à-vis des sanctions contre les élites locales. Aussi, nous revenons, dans ce second acte, prouver que cette indifférence est un des motifs du génome de la non apprenance (l’indigence) qui déshumanise ce pays.

Précisons que selon notre axiomatique, l’indigence est une défaillance de la conscience qui se manifeste par des quantificateurs cognitifs primaires et grégaires (insignifiance, inconscience, irresponsabilité, indignité) qui tuent l’intelligence collective, érodent la dignité humaine et bloquent le processus de l’évolution par la transformation de soi. La charge médiocre de ces quantificateurs donne à la conscience les plis de lourdes courbures séculaires. Ce sont ces courbures qui déforment les postures du corps d’un être pensant, en le ramenant vers cet éternel cycle bas. Cycle marécageux d’où il devient impossible à celui qui s’y adapte d’avoir de la hauteur pour voir les obstacles qui s’opposent à son cheminement digne et humain. Et comme la posture rampante dans un milieu aqueux et gluant, gorgé de ressources insoupçonnées (réussites académiques, prix littéraires, distinctions honorifiques, réussite politique, réussite économique), permet de contourner les obstacles sans les traiter, le bipède pensant devenu indigent ne peut plus apprendre pour être. D’où son incapacité à réussir l’expérience de la vie.

Empressons-nous de dire qu’en revenant sur ce passé erratique, nous ne cherchons ni à embêter les GNBistes ni à faire l’apologie du régime lavalassien de Jean Bertrand Aristide, qui n’est pas exempt de responsabilité dans les malheurs collectifs. Notre perspective est profondément pédagogique, essentiellement éducative et objectivement éthique. Aussi, nous allons traiter l’indifférence collective haïtienne vis-à-vis de tout ce qui est signifiant comme une problématique de non-apprenance, pour ainsi dire d’indigence.

Évidemment, nous ne pourrons jamais empêcher qu’au nom de l’impensé culturel agissant qui sévit dans la conscience des élites haïtiennes, certains insignifiants (bipèdes pensants en perte de sens) chercheront à nous faire passer :

• Au mieux, pour des lavalassiens nostalgiques qui prennent leur revanche sur les héros du GNB, vainqueurs d’Attila ;
• Au pire, pour des défenseurs du régime actuel qui refusent de jouer l’apaisement et de faire l’unité contre les San koutya (sans dignité).

Ces précisions étant données, nous assumons le risque de l’aigreur, de l’amertume et de la frustration.

Le déficit de l’apprenance

Dans la trame de notre argumentaire sur l’indigence, la non-apprenance est l’incapacité (ou refus) d’un collectif à faire vivre le retour d’expérience si indispensable pour le progrès de la connaissance et l’innovation sociale. Cette attitude à mobiliser le passé, non pour le vénérer, mais pour apprendre des actions qui y ont été entreprises, en adoptant un point de vue du futur à travers des perspectives à finalités collectives, pour mieux agir sur son présent, serait donc le motif du génome de l’intelligence. C’est en tout cas ce qu’une lecture intelligente de l’œuvre de Gaston Bachelard révèle. On peut, pour le prouver, se référer à l’ouvrage La formation de l’esprit scientifique (1938) dans lequel, le père de l’épistémologie et de la pensée systémique par boucles, décrit le processus qui permet de cheminer d’une connaissance mal faite (erreur vaincue) à une connaissance rectifiée (vérité provisoire).

Dans un passage qui reste un délice à lire, Gaston Bachelard livre une formulation que nous nous approprions comme un motif du génome de la connaissance : la disponibilité permanente comme ouverture pour se confronter aux obstacles et l’assumation du retour incessant entre erreurs, expérience et innovation forment la boucle récursive de l’intelligence. En effet, à la page 16 de cet ouvrage fondateur, Bachelard pose le postulat de l’obstacle épistémologique en écrivant :

« Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique ».

Ce qui revient à dire que l’obstacle est constitutif du processus de la connaissance, et donc que nul ne peut connaître sans se confronter aux obstacles. Ce qu’Antoine de Saint Exupéry traduisait à sa manière en disant que « l’homme se découvre quand il se mesure à l’obstacle ». Mais comment s’y prendre pour se confronter et surmonter (vaincre) ces obstacles ? Pour enlever toute mésinterprétation sur sa pensée, et sans doute éviter que de petits malins caricaturent le verbe surmonter les obstacles en « contourner », Bachelard développe et précise, à la même page, que : « La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes ».

Et c’est là toute la pertinence du débat sur le paradoxe : l’énoncé « la lumière qui projette des ombres » suggère combien la pensée d’Héraclite sur l’union des contraires pour atteindre le tout comme un cycle (le vivant et le mort, le jeune et le vieux, la nuit et le jour, le beau et le laid) anime encore le paysage de la pensée scientifique. Voilà pourquoi ceux qui gouvernent avec intelligence ne le font pas avec leurs amis, leur famille, leurs partenaires d’affaires ou avec ceux qui pensent comme eux, mais en cherchant à compléter leur propre point de vue par des voix discordantes pour estimer la valeur d’une prise de décision. Ce n’est donc pas par convergence aliénante que l’on va vers la connaissance, mais par divergences structurantes pour mettre en marche l’appareil de raisons.

Par cette formule, Bachelard laisse également entendre que toute connaissance est toujours incomplète, et qu’en conséquence, elle s’accompagne nécessairement d’un effort de vérification, de remise en cause, de rupture pour la rendre plus en accord avec le réel, ou pour se rapprocher un peu plus près du soleil de la vérité (quitte à brûler ses ailes). Revenir sur ce qu’on a cru comprendre et connaître, voulu penser et faire pour identifier l’obstacle qui s’est interposé comme ombre entre la clarté du rayon de la lumière et la cible sur laquelle ce rayon était projeté, est un impératif de l’esprit scientifique.

C’est en ce sens que Bachelard écrit à la page 17, « la pensée […] n’est claire qu’après coup, quand l’appareil de raison a été mis au point. En revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation ». La pensée scientifique est donc non pas une pensée simpliste et linéaire, et la connaissance qu’elle vise à atteindre ne s’obtient pas une fois pour toute. C’est un processus qui s’initie par une question, un dérangement, un inconfort, un sentiment de gêne, une reconnaissance d’incomplétude que l’on cherche à surmonter pour progresser. C’est un processus qui se renouvelle par des allers retours entre hypothèse, essai, échec, expérience. Et dans ce cycle, rien ne va de soi, rien n’est donné, tout est provoqué.

Revenir sur son passé d’erreurs n’est pas de l’autoflagellation comme le pensent les papes de la militance d’imposture et de la pensée simplifiante haïtienne, mais une condition indispensable pour innover ce qui a été mal pensé et mal fait. Car l’acte de faire, parce qu’il induit toujours des ratés, des échecs, doit sans cesse être évalué pour détecter les obstacles qui ont nourri ces échecs. Puisque, c’est en revenant sur un passé d’erreurs que l’on découvre après coup les obstacles, il est manifeste que ceux-ci ne doivent pas être dissimulés, ignorés ou contournés, mais appropriés pour être maîtrisés et traités. C’est seulement ainsi qu’on peut éviter qu’ils ressurgissent. Ce retour d’expérience s’impose comme une condition nécessaire, voire indispensable, pour atteindre plus de clarté dans la pensée et plus d’intelligence dans l’action. C’est donc toujours en termes de rupture et de non continuité qu’il faut penser les actions humaines, d’autant plus qu’elles sont soumises au jeu des contraintes locales et des injonctions globales et suivent des logiques économiques qui répondent à des intérêts personnels ou de clans, des motivations individuelles ou partisanes.

Et c’est là le problème avec la posture insignifiante et inconséquente des GNBistes qui défendent leurs actions en 2004 contre vents et marées, ils ont incapables de se remettre en question pour donner du sens à leurs actions. Ils refusent de voir que ceux qui avaient rejoint de bonne foi ce mouvement, en croyant que c’était un nouveau départ pour un autre contrat social, ont commis une double erreur :

• D’une part, ils ont apporté leur caution et ont embelli un mouvement dans lequel se trouvaient les monstres du passé qui avaient fait de nos nuits des cauchemars sans fin. Cela prouve une défaillance de l’appareil de raisons qui a été mobilisé pour un engagement de si noble envergure. Car, aussi juste et démocratique que pouvait être la mobilisation contre le pouvoir despotique de Jean Bertrand Aristide, elle n’interdisait pas de questionner et de chercher l’alignement entre les valeurs revendiquées par le mouvement et les motivations des différents acteurs qui le constituaient. Il y a un principe éthique qui veut qu’aucune action ne doit être entreprise si elle comporte le risque de conduire à une solution qui puisse se révéler pire que le problème.

• D’autre part, tout en ayant la preuve que la solution, qu’ils ont facilitée, a été pire que le problème, ils ne se sont ni excusés, ni repentis, ni tentés d’expliquer leur errance. Mais pis encore, ils se proposent de nouveau comme guides de notre destin ; c’est-à-dire, sans avoir rien appris, sans avoir changé leur manière de penser, sans avoir vaincu les obstacles épistémo-éthiques qui les ont empêchés de questionner leur engagement aux côtés de trafiquants de drogue, de kidnappeurs, de trafiquants d’armes et de blanchisseurs d’argent.

De la non apprenance à l’indigence

Au moment où j’écris ces lignes, les mêmes anoblis qui ont alimenté, structuré, cautionné et profité de la criminalité se réunissent à l’Université Quisqueya pour réfléchir sur l’insécurité et préparer l’agenda électoral de la prochaine forfaiture que le Blanc veut à tout prix nous imposer. Or, depuis 1987, ces universitaires, ces publicistes économistes, ces juristes de la criminalité, ces militants de l’imposture, ces gens de la si vile société n’ont rien résolu comme problème. Leur seule réussite est d’avoir pu, et avec brio, mettre à contribution ces problèmes du pays pour leur rayonnement personnel. Et cela devient franchement révoltant. Car les experts d’urgence qui se proposent de nous sortir du pétrin sont les mêmes qui reçoivent les fonds des agences internationales pour implémenter les projets bidons qui creusent et structurent nos défaillances.

Et c’est du reste pourquoi ces projets ne sont jamais analysés et évalués avec rigueur, indépendance et objectivité pour faire ressortir les leçons qui auraient pu révéler leur insignifiance. Il y a une telle pauvreté éthique dans les lieux académiques et culturels haïtiens que ceux qui apparaissent sous les projecteurs de la réussite ne doutent même pas que la puanteur sociale et la puanteur des institutions de la gouvernance sont des émanations de leur propre défaillance humaine. Au fond, ils ne font que ce pourquoi ils ont été propulsés au sommet de la réussite : médiocres anoblis en lettrés pour cultiver l’errance collective. D’où leur incapacité à questionner le sens de leurs actions pour se remettre en question.

Prenons quelques exemples de cas de non apprenance. Vous souvenez-vous que l’un des membres influents du conseil électoral provisoire (CEP) de 2010 a été reconduit avec les honneurs comme président du CEP en 2015, alors même qu’il avait confié publiquement que c’est la communauté internationale qui lui avait intimé l’ordre de falsifier les résultats des élections au profit de Joseph Michel Martelly ? Vous souvenez-vous que dans les deux cas il avait été le représentant du secteur privé des affaires et que dans les deux cas les élections étaient frauduleuses ? Vous souvenez-vous que les réseaux des droits humains avaient écrit de nombreux rapports, statistiquement documentés, pour prouver combien la Carte d’Identification Nationale (CIN) dite Carte Dermalog, introduite par le pouvoir de Jovenel Moïse en 2019, était un outil au service de la corruption et de la falsification électorale ? Et avez-vous entendu quelqu’un agiter à nouveau la question, alors que l’Office National d’Identification (ONI), qui pilotait le projet, n’a été l’objet d’aucune réforme, depuis cette date ; sinon qu’il y a un nouveau Directeur Général ? Mais voilà que le même processus de production de CIN impulsé en 2019 continue sans aucun questionnement sur le passé ? Et comment ne pas rappeler que le Group Croissance, dont 3 de ses membres fondateurs les plus influents ont été des zélés ministres du pouvoir en place, a passé plus 3 décennies à faire la promotion des technologies pour la finance sans jamais s’attarder sur le dénuement méthodologique et technologique des institutions judiciaires ?

Or, qui ne sait pas que partout où la justice est défaillante, la performance de la finance ne peut servir qu’à performer la criminalité ? C’est bien ce que dit le chercheur italien Diego Gambetta, l’homo œconomicus, parce qu’il ne recherche que ses intérêts économiques, est le profil le plus adapté à la criminalité. Combien de fois le secteur privé des affaires en Haiti s’est-il penché, au cours de ces 35 dernières années, sur les besoins technologiques pour résorber les dysfonctionnements du système judiciaire du pays ?

Et voilà que comme quelqu’un qui se fait dessus et se contente de changer de vêtements sans penser à se laver, Haiti passe d’une indigence à l‘autre. Les mêmes publicistes, éditorialistes, analystes économiques, juristes de la criminalité et experts universitaires, militants socio-professionnels, militants des réseaux de passe-droits qui avaient intronisé le GNB en 2004 et nous ont conduit à l’abattoir du PHTK se retrouvent de nouveau à nous proposer des plans de reposoir contre l’insécurité en 2023. Or les sanctions internationales apportent la preuve que ce sont les acteurs, promoteurs et financiers du mouvement GNB de 2004 qui sont au cœur de la campagne de la criminalité que l’on prétend combattre. Le moins qu’on puisse dire est que il eût été décent, disons pédagogique, que les docteurs, les chercheurs en éducation de l’université Quisqueya prennent le temps de se poser deux questions que tout vrai éducateur compétent, tout être humain responsable, se pose toujours : Qu’avons-nous appris ? Que voulons-nous transmettre ?

Et on peut même s’autoriser à revenir en arrière : par quelle métamorphose des tortionnaires, des entrepreneurs et des universitaires, dont les secteurs d’affaires fleurissaient sous le régime des Duvalier et sous les gouvernements militaires de l’après Duvalier, auraient-ils pu conduire le pays à la transformation démocratique, alors qu’ils n’ont jamais connu ni sanction et n’ont jamais fait acte de contrition pour accéder à la rédemption ? Un retour en arrière qui invite à questionner le présent pour anticiper l’avenir : est-il probable d’accéder à la délivrance sans repentance et sans pénitence ? Et oui, je sais, cela fait beaucoup de questions. Mais, comme le dit Bachelard, « pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas de question, il n’y aura pas de réponse. Rien n’est donné. Rien ne va de soi ». Un certain proverbe d’un auteur inconnu stipule : si celui, qui a promis de vous conduire sous un reposoir vous a introduit dans un étouffoir, vous devez au moins lui infliger le purgatoire comme étape initiatique de sacrifice propitiatoire à son pardon ; sinon, c’est dans un abattoir qu’il vous conduira dans son prochain pèlerinage incantatoire.

Ce qu’il y a de malsain avec les élites culturelles et académiques haïtiennes (de gauche comme de droite), c’est qu’elles sont incapables d’avoir honte. Elles passent d’une indigence à l’autre sans essoufflement, sans même prendre le temps de se laver. Elles courent de Livres en folie à Jazz en folie en passant par Festi-rara en folie et Tafia en folie pour mieux revenir aux élections en folie par des forums académiques en folie. Et ce sont les mêmes acteurs, les mêmes chorégraphes du ballet de l’indigence qui se perfectionnent. Mais comment peuvent-elles mieux faire, si elles ne doutent pas que leur pas de danse puisse n’être qu’une glissade sur une surface gluante ? Or, celui qui ne sait pas se gêner, ne peut pas innover sa performance. Car, c’est la même compétence qui performe qui permet d’évaluer. Et là où l’évaluation est improbable, la médiocrité humaine n’est pas rétractable. Celui qui s’interdit d’avoir honte a perdu la noblesse et la dignité rattachées à l’humain. Le sentiment de gêne est le premier pas vers la remise en question pour la régénération. Quand ce premier pas ne peut pas être franchi, il faut douter que le cheminement puisse conduire à autre chose qu’à une nouvelle bacchanale.

C’est là dans ce blocage, que dis-je ! dans ce marécage qui caractérise le refus d’apprendre en questionnant les erreurs du passé, qu’il faut chercher les causes de nos stagnations et de nos régressions. En conséquence, loin de tout positionnement idéologique, ce sont les ressources économiques qui fédèrent les alliances en Haïti. Et c’est pourquoi elles sont souvent des mésalliances et des alliances contre nature entre crapules accréditées et couillons assumés. Tout laisse croire qu’au lendemain de l’indépendance, c’est ce pacte immonde et contre nature, entre des crapules (Malice) et des couillons (Bouqui), qui a scellé notre destin dans l’indigence.

N’avez-vous pas remarqué que, dans les nuits de grands cauchemars, préludes aux bacchanales électorales, on organise toujours des distractions pour nous détourner de ce qui se fait en sourdine ? On nous éloigne systématiquement de l’essentiel par des débats en continu qui utilisent des faux fuyants pour occulter les vrais débats : l’errance haïtienne est débattue comme une de crise de gouvernance et de médiocrité politique, alors que c’est faux. Comme en théorème de Pasqua, on invente un débat dans le débat parallèlement au débat pour occulter le vrai débat. Ceux qui sont intelligents savent que c’est le même artifice qui a été utilisé avec les Petro challengers pour maintenir le PHTK au pouvoir, alors qu’il était à u cheveu d’être mis K.O. par la mobilisation populaire en 2018. Comme par magie, un slogan a surgi et ce fut la médiatisation d’un mouvement (PetroChallenge) dans le mouvement (demande de justice sociale) autour du mouvement (populaire) pour contrer le vrai mouvement (libérer le pays du PHTK).

Faut-il encore rappeler que tout ce qui est médiatisé en Haïti, en symbiose par les grandes agences de presse internationales et les grandes agences de presse nationale, n’est jamais ce qui est pertinent, mais toujours ce qui est subventionné. Car c’est le même bras financier de la criminalité qui finance les projets éducatifs et sociaux, tout en conditionnant les réussites académiques, culturelles et sociales dans le pays. En Haïti, qu’on soit à gauche ou à droite, lumpems universitaires ou lumpems anaphalphabètes, marxistes, duvaliéristes ou patatis, si on ne vit pas comme portefaix des George Soros et publiciste des Clinton, on suce forcément les bouts d’os que jettent les Boulos et autres détenteurs de ressources du shithole. C’est d’ailleurs pourquoi toute critique contre les réussites économiques, académiques, culturelles et sociales dans ce pays est combattu férocement comme état une posture d’aigreurs, de frustrations.

Faut-il encore expliquer d’où vient l’indifférence collective vis-à-vis des sanctions internationales ?

Au final, si les héros improbables de 2004 se sont métamorphosés en zéros infréquentables en 2023 par les sanctions internationales, c’est parce qu’au fond, leur lutte contre Attila n’avait pas pour objectif de faire mieux, mais simplement de devenir, à leur tour, les Zorros du gangstérisme légal. Tout s’est fait au nom du Toupamisme : se tou pam ! (C’est mon tour) comme disait l’écrivain Gary Victor, dans une de ses pièces quand il critiquait Attila, dans son rôle d’héros GNBiste et actuel promoteur du mouvement politique la 3eme voie. C’est sans doute cette voie finale vers l’indigence qui se prépare dans la plus grande absence de disponibilité pour l’apprenance. Les agences internationales n’avaient-elles pas formulé l’objectif de faire d’Haïti en 2030 un pays émergent ? Et comme, tout ce qui vient de ces gens est toujours à double sens, il faut contextualiser cet objectif avec les valeurs locales pour comprendre que le vrai but recherché n’est autre que de faire d’Haïti un pays dans lequel l’indigence émergera te fleurira. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on est bien sur la bonne voie, et tout se fait académiquement pour nous plonger dans ces abysses où règnent les homo detritus.

Références bibliographiques :

i. Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, 1938, Vrin.
ii. Hélène Trocme Fabre, J’apprends, donc je suis, 1993, Éditions d’Organisation.
iii. Hélène Trocme Fabre, Né pour apprendre, 2006, Être et connaître.
iv. https://web.rnddh.org/la-carte-didentification-nationale-unique-entre-…
v. https://www.books.fr/diego-gambetta-les-criminels-sont-la-quintessence…

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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