Le Comité de la fête nationale espère faire reconnaître la fête de la Saint-Jean, son défilé et son instigateur, Ludger Duvernay, au patrimoine immatériel du Québec. Pour appuyer sa demande, l’organisation a demandé à l’historienne de l’art et ethnologue Diane Joly de dresser un rapport relatant l’histoire de la fête.
Le « caractère festif » des célébrations de la Saint-Jean leur donne cette valeur patrimoniale, soutient Mme Joly. « Je démontre que c’est un événement historique important pour les Québécois. Et pas seulement le défilé. »
C’est dans les jardins de l’avocat John McDonnell, situés dans le faubourg Saint-Antoine de Montréal (aujourd’hui en partie la gare Windsor), que la première célébration de la Saint-Jean-Baptiste comme fête nationale des Canadiens français a eu lieu, le 24 juin 1834.
À l’initiative de Ludger Duvernay, qui était alors directeur du journal La Minerve, la fête a d’abord été conçue comme un banquet pour soutenir les idéaux du Parti patriote. Y participaient notamment Louis-Joseph Papineau et George-Étienne Cartier, autour de Ludger Duvernay. « Lors de ce banquet, raconte Diane Joly, il y a eu 40 toasts, dont 25 étaient à dimension politique, en lien avec les idées du Parti patriote. » On dit d’ailleurs qu’à la suite du banquet, les patriotes se reconnaissaient entre eux en se saluant avec un « bonjour Jean-Baptiste ».
« C’est Ludger Duvernay qui a convoqué le premier banquet, en 1834, au cours duquel on a décidé qu’on allait procéder à cette célébration tous les ans, en l’honneur des Canadiens français. Cela s’est fait pendant trois ans, pas seulement à Montréal. Ça s’est répandu très rapidement, surtout parmi les patriotes », explique l’historienne. La fête fait rapidement sa place dans les villages gagnés par les idéaux du groupe, dans la vallée du Richelieu, autour de Saint-Eustache, près de l’Assomption, sur la Rive-Sud ou dans la vallée du Richelieu. Au même moment, Ludger Duvernay forme l’ancêtre de la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB), une société qu’il appelle alors « Aide-toi et le ciel t’aidera ».
Les historiens s’entendent pour associer la création de la fête à l’échec des 92 résolutions présentées en février de la même année par le Parti patriote. Rédigées par Louis-Joseph Papineau, elles réclament des pouvoirs accrus pour l’Assemblée législative, poursuit Mme Joly. Cette impasse sera liée plus tard aussi aux rébellions des patriotes de 1837-1838.
Dualité laïque et religieuse
Depuis longtemps, la Saint-Jean-Baptiste, qui arrive peu après le solstice d’été, était célébrée en France. Ici, elle était associée à des célébrations autour de l’ouverture de la baignade dans le fleuve, considérée comme dangereuse avant cette date. La fête avait donc déjà un versant laïque et un versant religieux. Cette dualité, qui a marqué la fête de la Saint-Jean ici jusque dans les années 1960, existait déjà en Europe depuis longtemps.
« En France, malgré des pressions de l’Église, la Saint-Jean demeure une fête populaire tout en faisant partie des grandes fêtes religieuses chrétiennes avec une cérémonie liturgique, une procession sur les places publiques et une bénédiction des feux et des bûchers par le curé. L’Église persiste à restreindre la fête à une dimension religieuse. Toutefois, le Concordat de 1801 entre le pape Pie VII et Napoléon Bonaparte permet à la fête de conserver son caractère populaire », écrit Diane Joly dans son rapport.
Dès sa première célébration comme anniversaire des Canadiens français, la fête était accompagnée d’un défilé. « Héritiers des pratiques de leurs ancêtres, les convives se sont donné rendez-vous dans un autre lieu, puis se sont rendus ensemble au banquet en chantant les louanges de Saint-Jean », lit-on encore.
Et dans ses formes subséquentes, le défilé de la fête nationale se faisait en deux parties. « D’abord, les sociétaires défilaient jusqu’à l’église, où il y avait la messe. Ensuite, ils sortaient de la messe et il y avait un défilé patriotique », explique Diane Joly. La SSJB milite très tôt pour que la fête soit chômée dans l’ensemble du Québec.
« Au début des années 1860, de nombreux commerces, tant francophones qu’anglophones, ferment pendant le passage du défilé. Quelques entreprises donnent congé à leurs employés, au moins pendant quelques heures, afin qu’ils puissent participer au défilé ou y assister », écrit l’ethnologue.
Le défilé de la Saint-Jean-Baptiste prend de l’ampleur au début du XXe siècle. En 1926, il réunit 35 chars allégoriques et attire une foule de 250 000 personnes. Jusqu’en 1964, un enfant blond et frisé représente saint Jean-Baptiste, accompagné d’un mouton, sur un char allégorique, mais cette pratique est contestée par les partisans d’un défilé entièrement laïque.
Célébrations houleuses de 1968-1969
Le 24 juin 1968 est veille d’élections fédérales. Pierre Elliott Trudeau, qui sera élu premier ministre, participe officiellement à la fête de la Saint-Jean-Baptiste, malgré l’opposition du Rassemblement pour l’indépendance nationale et de son chef, Pierre Bourgault. Les manifestations contre la présence de Pierre Elliott Trudeau aux festivités donnent lieu à des arrestations musclées. On baptisera l’événement le lundi de la matraque.
L’année suivante, un autre épisode violent survient dans le défilé. Le char allégorique portant la statue de saint Jean-Baptiste est renversé, et celle-ci est décapitée. Dans un essai intitulé Jean-Baptiste décapité, la sociologue Geneviève Zubrzycki y voit le symbole de la rupture entre le séculier et le religieux au Québec. Durant les vingt ans qui ont suivi, il n’y aura plus de défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal.
En 1990, le défilé reprend enfin du service sur le thème « 30 ans de puissance tranquille ». Le mouton y refait son apparition, mais c’est cette fois un mouton de six tonnes de bois et d’acier qui représente le salut du français. La ferveur nationale est alors, selon Mme Joly, ranimée par l’échec des négociations constitutionnelles du lac Meech. Depuis, le traditionnel défilé de la Saint-Jean-Baptiste a été annulé trois fois : en 2001 à cause de la pluie, en 2004 suivant des coupes budgétaires, et en 2020 à cause de la pandémie.
La demande d’inscription de la fête nationale, de son défilé et de Ludger Duvernay a été acheminée au ministère de la Culture et des Communications du Québec l’automne dernier par la SSJB.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec