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par Chems Eddine Chitour
«Lorsqu’on voit ce que l’occupation allemande a fait comme ravage dans l’esprit français, on peut deviner ce que l’occupation française a pu faire en cent trente ans en Algérie». (Jean Daniel, «Le temps qui reste», 1972)
Résumé
L’Europe s’ensauvage ! Elle, qui se dit le sanctuaire des droits de l’Homme, a peur de l’étranger du mélanoderme, surtout s’il appartient à une religion qui sent le soufre.
Deux petits exemples : le premier se passa le 8 juin dernier, à Annecy, quand un homme a brusquement agressé des enfants dans un parc. L’horreur ! Heureusement, il n’y eut que des blessés. Au lieu de juger l’acte, on a jugé à tort la religion. Le ban et l’arrière-ban de la droite extrême se sont immédiatement déchaînés. Pas besoin d’enquête, le jugement fut sans appel : Haro sur l’Arabe l’islamiste musulman, le terroriste ! Résultat des premières investigations : nous avons affaire à un déséquilibré chrétien, dont la famille est installée en Suède, qui s’est écrié «Au nom du Christ» au moment de commettre l’innommable. Cela nous change du Allah Akbar… L’intervention du patron de la Droite devait être faite, elle fut annulée car le «terroriste» n’est pas un musulman
Le deuxième exemple d’ensauvagement concerne l’odieuse chasse aux migrants. Il nous vient de Grèce : «Sur une vidéo récente, on voit des hommes – présentés comme étant des gardes-côtes grecs – qui essaient de faire couler un Zodiac à bord duquel se trouve un groupe de réfugiés syriens. Il y a également eu une vidéo qui montrait des citoyens grecs sur la plage, criant en direction de réfugiés entassés dans une embarcation pour leur dire de rentrer dans leur pays. Depuis des années, on voit de telles vidéos tournées dans différents pays, de la Hongrie au Liban, de la Grèce à la Bulgarie. Elles montrent des Syriens frappés, humiliés, emprisonnés, leurs maisons ou campements incendiés. Et parfois, cela va jusqu’au meurtre.(…) Le cri de désespoir d’un journaliste syrien : «Qu’avons nous fait pour que le monde nous traite ainsi ? Quel crime avons-nous commis pour être ainsi mis au supplice ?»
Dans cette nouvelle contribution, nous traiterons de l’accord de 1968 scellé entre l’Algérie et la France. Nous parlerons de ses racines en mettant tout à plat, dans un devoir d’inventaire serein, et montrerons comment l’Algérie, pendant 132 ans, a fait preuve d’œuvre positive. Une œuvre à laquelle elle continue de s’atteler en ce XXIe siècle, en face d’une France qui parle de coopération avec des réflexes du bon vieux temps des colonies.
Il est dans l’intérêt des deux pays d’aller véritablement de l’avant, d’abord en réalisant un inventaire lucide de ce qui s’est passé, et ensuite en favorisant une nouvelle construction apaisée dans l’égale dignité des deux peuples, algérien et français, qui peuvent parvenir à regarder ensemble vers le futur, comme le recommande la nouvelle configuration mondiale.
Les tirs groupés des Droites populistes contre l’accord de 1968
En France, le débat sur l’immigration a réveillé certaines haines de la droite et l’extrême droite. Le grain à moudre de cette vindicte est offert par l’ancien ambassadeur en Algérie, Xavier Driencourt, qui, dans un brûlot, a déversé son fiel contre le pays où il représenta deux fois la France, de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020.
«L’Europe se droitise. Plusieurs pays de cette zone ont basculé ces dernières années. L’immigration est devenue la première préoccupation des nouveaux gouvernants et de la France, qui a jusque-là fait exception. En effet, la droite et l’extrême droite font pression pour voter une loi très restrictive sur l’immigration. Il manque à l’appel Éric Zemmour, Marine Le Pen. C’est dans ce climat que plusieurs personnalités politiques appellent à la remise en cause de l’accord de 1968 entre l’Algérie et la France. En effet, après l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, qui a appelé à la suppression de l’accord de 1968 avec l’Algérie, c’est au tour d’un ancien Premier ministre d’abonder dans le même sens. Il est temps de remettre en cause l’accord de 1968 avec l’Algérie. Xavier Driencourt, deux fois ambassadeur en Algérie, a appelé les autorités françaises à annuler l’accord de 68, même s’il faut aller au clash avec l’Algérie. Le diplomate n’a pas exclu qu’Alger réagisse à une telle décision par la rupture pure et simple des relations diplomatiques avec Paris, mais il a estimé nécessaire que la France franchisse un tel pas». Le président du Sénat, Gérard Larcher, a pour sa part estimé qu’il fallait «réexaminer» l’accord signé en 1968 avec l’Algérie sur les questions migratoires. «Sur certains points, les Algériens sont favorisés par rapport aux autres étrangers (notamment en matière de regroupement familial), sur d’autres ils sont perdants pour les étudiants».
Cependant, pour le moment, le gouvernement français a fait savoir que la révocation du texte n’était pas à l’ordre du jour.
Histoire de l’émigration algérienne en France
L’émigration algérienne est fondamentalement différente des autres migrations. Un rappel historique utile : «La présence algérienne en France s’inscrit sur plus d’un siècle d’une histoire singulière. Les Algériens nourrissent un flux migratoire précoce et important de coloniaux vers la métropole, dès la seconde moitié du XIXe siècle. Ni Français, ni étrangers jusqu’en 1962, les Algériens sont, tour à tour, «indigènes», «sujets français» puis «Français musulmans d’Algérie». Cette immigration qui ne dit pas son nom connaît pourtant bel et bien les difficultés de l’exil. Hommes seuls en métropole mais pas célibataires, ils sont bien souvent mariés par leurs familles avant leur départ, comme une façon de s’assurer leur retour au village. Leur salaire ne leur permet que de survivre en métropole, les sommes durement épargnées devant assurer la subsistance de leurs familles. Mais c’est la Grande Guerre qui amorce un mouvement migratoire représentatif vers la France. Près de 100 000 travailleurs d’Algérie auxquels s’ajoutent 175 000 soldats coloniaux sont recrutés entre 1914 et 1918. Les pouvoirs publics renvoient après l’armistice tous les travailleurs et soldats dans leurs colonies. Dès 1921, plus de 35 000 «sujets» algériens sont recensés en France, leur nombre atteint plus de 85 000 en 1936, le nombre des Algériens présents sur le territoire métropolitain passe de 211 000 en 1954 à 350 000 en 1962. (30 000 familles en 1962). L’apogée répressive intervient le 17 octobre 1961, au soir d’une manifestation de 22 000 Algériens, durant laquelle 11 538 personnes sont arrêtées et plus d’une centaine tués».
Les conditions qui ont prévalu pour l’accord du 27 décembre 1968
On aura rien compris aux accords de 1968, si on ne connaît pas leur genèse, c’est-à-dire ce qu’il a été prévu et ce qu’il est advenu par la suite, à force de retouches. Comme quoi, la «normalité» entre l’Algérie et la France est que la circulation des personnes entre les deux rives soit facilitée, à cause de l’importance de la dimension humaine de la relation algéro-française et surtout de l’existence de textes qui garantissent cette mobilité. «Le président algérien a cité les Accords d’Évian et l’Accord de décembre 1968 régissant les conditions d’entrée et de séjour des Algériens en France. Cette mobilité a été «négociée et il convient de la respecter», a estimé le président, en soulignant qu’il y a «une spécificité algérienne, même par rapport aux autres pays maghrébins».
Les Accords de 1968 ont été négociés dans une conjoncture particulière. Six ans après l’indépendance de l’Algérie, il fallait encadrer la nouvelle situation induite pour des dizaines de milliers d’Algériens se trouvant en France et qui, avant 1962, étaient Français. Le statut de l’Algérie était en effet différent des autres colonies françaises. Elle était subdivisée en 3 départements La garantie des intérêts des citoyens français et algériens après l’indépendance était prévue dans les Accords d’Évian. Dans le préambule de l’Accord de 1968, il est indiqué que le texte entre «dans le cadre de la déclaration de principe des Accords d’Évian relative à la coopération économique et financière» et vise à «apporter une solution globale et durable aux problèmes relatifs à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens sur le territoire français». Il faut noter le besoin de main-d’œuvre de la France, en plein dans les trente glorieuses, qui avait engagé alors d’importants chantiers d’infrastructures. Il prévoyait d’ailleurs l’entrée en France d’au moins 5 000 travailleurs par an.
La fin de l’émigration officielle décidée par l’Algérie
Devant une montée de la xénophobie à Marseille, suite à l’assassinat d’un conducteur de bus, le gouvernement du président Boumediene décida, le 19 septembre 1973, de suspendre l’immigration de main-d’œuvre avec la France. La décision algérienne intervint dans un contexte où la France avait déjà fait adopter, en 1972, la circulaire Marcellin-Fontanet mettant fin aux régularisations de sans-papiers.
«En 1973, écrit Marie Thérèse Têtu, l’Algérie devance la France dans la suspension de l’immigration de main-d’œuvre salariée. Dans un contexte français marqué par le racisme à l’égard des Algériens, la décision algérienne met fin à cent ans d’une libre circulation des travailleurs commencée durant la période coloniale. Les immigrés algériens en France sont, selon les données de l’Insee de 2011, au nombre de 702 811, soit près de 13% de l’ensemble des immigrés ; c’est la nationalité la plus nombreuse. Depuis la fin de la libre circulation entre la France et l’Algérie, en 1965, puis l’arrêt de la migration économique en 1973, seuls les migrations familiales et les va-et-vient «touristiques» entre les deux pays se sont poursuivis jusqu’à l’instauration des visas en 1986. Les conditions drastiques de délivrance de ces visas n’ont pas mis un frein à la tradition migratoire des Algériens, mais les ont poussés à emprunter la voie de la migration irrégulière : dépassement de la durée de validité des visas de tourisme ou même traversée des frontières maritimes ou terrestres sans passeport ni visa. L’implantation ancienne d’une communauté algérienne en France a permis de développer et de stabiliser un axe migratoire, un espace franco-algérien à l’intérieur duquel des circulations autant spatiales, matérielles que symboliques s’opèrent en dépit des obstacles administratifs ou des politiques d’intégration de la France. Les migrations, désormais irrégulières, peuvent toujours s’appuyer sur la présence d’une importante population d’origine algérienne répartie sur tout le territoire français».
Les «30 glorieuses» finissant, la France voulait se débarrasser de ses «tirailleurs bétons». Pour renforcer le flux du retour, le 30 mai 1977, une note ministérielle signée de M. Lionel Stoléru, alors secrétaire d’État au Travail, instaura pour la première fois l’aide au retour en faveur des travailleurs étrangers désireux de regagner leur pays d’origine ce fut le million Stoléru comme solde tout compte.
Le bénéficiaire s’engageait à renoncer à son droit au séjour, et recevait en contrepartie un pécule de 10 000 F, complété par une indemnité forfaitaire de voyage. C’était une façon de faire partir même ceux qui étaient en famille. À la fin de février 1984, 50 000 départs d’Algériens avaient été enregistrés.
Le chantage du visa
Les Algériens font face à un lourd fardeau financier lorsqu’il s’agit d’obtenir des visas Schengen. Selon cette étude, l’Algérie a enregistré la dépense la plus élevée en visas Schengen en 2022, sur le continent africain, à hauteur de 15 787 992 $.
L’an dernier, l’Algérie a été le pays où le taux de refus de visas Schengen a été le plus important, en grande partie à cause d’un différend avec la France. S’appuyant sur des données de SchengenVisaInfo (site d’information TSA), on constate que 48,2% des demandes algériennes ont été rejetées, alors que chez les voisins tunisiens et marocains, ce taux est de 30%. À la fin de septembre 2021, Paris avait en effet décidé de réduire de 50% l’octroi de visas. En tête du classement des pays dont les demandes de visa Schengen sont le plus refusées, figurent l’Algérie avec 48,2%, la Tunisie 29%, le Maroc 28,20% et l’Egypte 18.61%.
Les «atouts de la France» dans le rapport de force avec l’Algérie
La droite et l’extrême droite revendiquent, depuis plusieurs années, la suppression de l’accord de 1968 entre la France et l’Algérie. Et parmi les personnalités les plus hostiles à cet accord qui fâche, se trouve l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, qui a affirmé que la France ne peut engager un rapport de force avec l’Algérie. La France pourrait-elle remettre en cause l’accord de 1968 avec l’Algérie ?
«En dehors des visas déclare Xavier Driencourt, la France n’a pas d’atout pour faire pression sur l’Algérie. Le pouvoir algérien peut même faire pression sur nous avec le gaz qu’il nous vend. Les seuls atouts dont nous disposons, c’est effectivement les visas, la question migratoire». Sur le plan économique, nous ne pesons pas énormément en Algérie. L’Algérie a beaucoup plus de moyens de pression.
Ce que fut la colonisation de l’Algérie
La phrase de Jean Daniel citée en préambule résume à elle seule la tragédie de la colonisation. Et la dette atemporelle de la France. En réponse au négationnisme des «nostalgériques» partisans par petits enfants interposés du bon temps des colonies. La colonisation française ne fut pas un long fleuve tranquille. Nous allons décrire la spécificité de la relation Algérie-France que certains veulent banaliser. Tout au long de ces 132 ans, l’œuvre coloniale ne fut pas positive, car le fameux bréviaire fut décliné de toutes les façons possibles. Les traces de cette œuvre incontestable portent à jamais l’empreinte de la France. Elles ne profitèrent objectivement qu’à la population européenne et à la métropole, tout ayant été fait pour qu’il n’y avait pas d’industrie. L’Algérie fut pourvoyeuse de matières premières (blé, agrumes, liège, minerais, alfa, vin, dattes…) et, bien plus tard, en pétrole. Cet or noir qui a financé une partie des frais de la «pacification» en Algérie.
Certes, nous l’avons mis en exergue à maintes reprises, des instituteurs, des médecins, des Européens admirables tentèrent, à titre individuel, d’alléger les souffrances des Algériens, mais ils furent, hélas, en petit nombre. Nous leur serons à jamais reconnaissants. Les rares Algériens instruits furent, selon la belle expression de Jean El Mouhoub Amrouche, des voleurs de feu. Moins d’un millier d’Algériens formés en 132 ans, c’est cela la vraie réalité de l’œuvre positive de la colonisation que nous avons reçue en héritage, nous laissant un pays exsangue où le taux de scolarité était à peine de 20%. Ce fut un combat de tous les jours pour lutter contre la chape de plomb de notre condition et nous nous faisions un point d’honneur d’être certaines fois plus brillants que nos condisciples au lycée notamment dans les disciplines scientifiques.
L’œuvre positive de l’Algérie à travers l’histoire
La remise en cause de l’accord de 1968, qui est une pure provocation politicienne, me donne l’occasion de présenter la singularité, voire la spécificité de la relation Algérie-France, à travers le douloureux compagnonnage, sanglant et arbitraire, qui nous a été infligé un matin de 1830 et s’est prolongé pendant 132 ans.
À son corps défendant, l’Algérien a servi de chair à canon dans les guerres françaises, de sujet et d’émigré taillable et corvéable à merci, dont on se sert comme d’un kleenex. Ceci nous donne le droit d’un devoir d’inventaire, afin de rafraîchir la mémoire de tous ces politiciens français qui, pour beaucoup d’entre eux, sont plus «récents sur le sol français» que nombre d’Algériens eux-mêmes, mais qui en rajoutent dans la plus pure tradition du «plus royaliste que le roi».
Pour l’histoire, le maréchal Clauzel qui voulut, en vain, démonter l’arc de Triomphe de Djemila est symptomatique de tout le butin que renferment les musées de France et de Navarre. Un butin qu’il faudra bien un jour restituer, au même titre que les restes mortuaires, notamment des crânes des patriotes algériens. Nous allons brièvement rappeler quelques faits indéniables concernant les Indigènes, sujets de l’Empire, qui restent méconnus en France, quand ils ne sont pas carrément niés par le pays des droits de l’Homme…
Les Régiments de Tirailleurs Algériens qui ont versé leur sang pour la France
L’historien Pascal Blanchard écrit à propos des «engagés malgré eux» : «Longtemps occultée, la participation des populations coloniales aux efforts de guerre de la France est aujourd’hui un véritable enjeu de mémoire, au cœur des luttes politiques et juridiques des anciens combattants et des sans-papiers. Ces derniers ont contribué à sortir de l’oubli des milliers d’hommes, dont les sacrifices ne sont toujours pas reconnus. Il reste que l’image du tirailleur libérateur de la France occupée ne permet pas d’appréhender, dans toute sa complexité, l’histoire des troupes coloniales». Pour l’histoire, des Algériens furent recrutés dans les troupes françaises depuis 1837 (les fameux turcos) on parle justement de ces zouaouas (Berbères) recrutés par tous les moyens – la famine, la peur-) que l’on appela les zouaves au point que la statue du zouave du pont de l’Alma indique les crues de la Seine. Ils furent ensuite envoyés lors la guerre du Levant en 1865… Ensuite, ce fut la guerre de Crimée, la guerre de 1870 : parmi les plus braves, on cite les Algériens qui arrivèrent à enlever une colonne à Wissembourg, moins d’une centaine de rescapés sur les 800 au départ Après le cauchemar de Verdun et du Chemin des dames, des milliers d’Algériens y laissèrent leur vie. Du fait de la conscription obligatoire, pratiquement chaque famille eut un soldat engagé, qui mourut ou qui revint gazé ou traumatisé à vie.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, les troupes coloniales payèrent un très lourd tribut aux combats sanglants de mai et juin 1940. Plus tard, les troupes alliées, en débarquant en Italie, furent cependant bloquées à Monte Cassino. On fit appel, une fois de plus, aux troupes coloniales françaises constituées de tirailleurs algériens et marocains.
Elles défoncèrent, au prix de pertes très lourdes, les lignes allemandes, le 22 mai 1944. 450 000 soldats participèrent au débarquement allié en Provence, le 15 août 1944. L’opération a été menée par les forces américaines et françaises sous les ordres du général de Lattre de Tassigny.
«Jeunes de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, fils de l’Afrique occidentale ou de l’Afrique équatoriale, de Madagascar ou de l’Océan indien, de l’Asie, de l’Amérique ou des territoires du Pacifique, tous se sont magnifiquement illustrés dans les combats de notre Libération. Ils paieront un très lourd tribut à la victoire», avait déclaré le président Jacques Chirac lors du 60e anniversaire du débarquement en 2004 à Toulon. En effet, l’armée française, éclatée après la débâcle de 1940, se reconstitue sur le continent africain (…) Dirigée par le général de Lattre de Tassigny, sous le nom d’armée B, équipée par les Américains à partir de printemps 1943. C’est «une armée profondément originale, une armée qui compte moitié d’Européens et moitié de musulmans et de coloniaux». Fin 1944, elle compte près de 600 000 hommes, dont les deux tiers sont venus d’Afrique du Nord. On y compte quelque 176 000 «Européens» et 233 000 «musulmans», selon la terminologie utilisée à l’époque.
Parmi les 140 000 soldats algériens, 14 000 tombèrent au champ d’honneur et 42 000 furent blessés. Ce sont, en partie, ces soldats qui revinrent au pays pour voir leurs familles être massacrées, un jour funeste de mai 1945.
Les tirailleurs «bétons»
Il faut savoir que l’émigration algérienne en France a démarré dès la première guerre mondiale, les Algériens ont travaillé dans les mines du Nord de Saint-Etienne. Ils ont remplacé en partie les Français partis au front. Bien plus tard , elle continua à servir dans les mines, Ensuite au grès de la fermeture des mines, une partie travailla dans les usines d’automobiles de Renault et Peugeot. Après la Seconde Guerre mondiale, les Algériens apportèrent leur pierre à l’édifice en aidant à reconstruire la France dévastée notamment en étant confinés dans les métiers dangereux. Ce sera les «Trente glorieuses». De fait la contribution précieuse d l’Algérie en la matière est, assurément, à mettre sur le compte de son œuvre positive pour la France. Le succès des «trente glorieuses» doit aussi beaucoup à l’apport des Algériens qui, après avoir versé leur sang pour la France, travaillèrent massivement et à la sueur de leur front à sa reconstruction, jusqu’au jour où le président Giscard d’Estaing décida de les «expulser».
Ce fut le «million Stoléru» pour solde de tout compte d’un siècle d’humiliation et de rapine. On lit dans un communiqué : «Si aujourd’hui la grosse artillerie politico-médiatique est sortie pour la reconnaissance des tirailleurs venus des colonies, il n’en est pas de même pour les – «guerriers»- du BTP, des mines ou de la sidérurgie… La France n’arrive toujours pas à sortir de son hypocrisie coloniale. C’est trop facile de vouloir toujours réécrire l’histoire… Cela devient insupportable qu’une telle omerta règne dans notre pays sur le sort réservé aux vieux travailleurs immigrés maghrébins».
Les émigrés au grand cœur
Que dire aussi de ces émigrés qui, malgré leurs conditions sociales désastreuses, firent preuve d’un courage héroïque en sauvant, au péril de leur vie, des Français juifs, abandonnés aux Allemands par la majorité des Français restés fidèles au maréchal Pétain ?
Le tract suivant résume mieux que cent discours l’empathie de ces «Justes» algériens. Nous lisons : «Hier à l’aube, les juifs de Paris ont été arrêtés. Les vieux, les femmes et les enfants. En exil comme nous, travailleurs comme nous. Ils sont nos frères. Leurs enfants sont comme «nos propres enfants» – «ammarach nagh» La mosquée de Paris avec M. Mesli et le recteur Benghebrit jouèrent un rôle important en sauvant près de 1500 Juifs, rééditant le geste de l’émir en Syrie un siècle plus tôt en sauvant plus de 5000 chrétiens. Il y eut même des émigrés au grand cœur dans la résistance en France en sauvant notamment des pilotes anglais».
La dimension culturelle et scientifique
Au moment où la langue française perd de plus en plus de locuteurs, l’Algérie a continué à la «soutenir» en utilisant le français. Malgré le peu de francophones à l’indépendance, d’une façon ou d’une autre, 36 millions d’Algériens parlent, pensent et achètent français.
Et ceci, sans faire partie de la francophonie et ses relents de France-Afrique. C’est dire si l’Algérie continue à contribuer grandement au rayonnement de la langue française ! Un autre cadeau sera celui de l’académicienne écrivaine éclectique, Assia Djebbar, sans compter toute l’activité culturelle que l’Algérie offre à la France en poursuivant ses enseignements en français dans le supérieur, rendant rapidement opérationnels les milliers de diplômés universitaires.
La nouvelle immigration voulue par la France : «L’émigration choisie»
Depuis la présidence Sarkozy, tout est fait pour réduire l’émigration de Papa. Mélanie Travet écrit : «La France doit accueillir des étrangers auxquels [elle] peut donner un travail, qui ont besoin de se former en France ou qui répondent à ses besoins économiques». C’est ainsi que dans une lettre de mission de 2007, Nicolas Sarkozy rappelait l’un de ses thèmes favoris de campagne : celui de l’«immigration choisie». Même diplômé, il ne fait pas bon être étranger. Augmentation soudaine et radicale du plancher des ressources requis pour venir étudier en France délivrance de visas au compte-gouttes. La fabrique à sans-papiers marche à nouveau à plein régime : depuis le décret du 6 septembre 2011, les candidat·e·s au visa ou au titre de séjour étudiant doivent désormais justifier de plus de 7680 euros de ressources annuelles (contre 5400 euros en 2010). Sélection sur la fortune et la nationalité, les étudiant·e·s sont depuis bien longtemps les victimes «collatérales» de la fermeture des frontières. Ces jeunes doivent également se soumettre au tri effectué par les agences Campus France, chargées de sélectionner les «meilleurs» éléments. «Pour le ministère de l’immigration, il s’agissait sans doute de la mesure la plus emblématique de l’immigration choisie, permettant d’attirer en France la crème de l’immigration professionnelle, chercheur, ingénieur, artistes, intellectuels, médecins… (…) Dans un premier temps, le chiffre de 5000 cartes à délivrer par an a circulé».
L’hémorragie de la sève des diplômés algériens
C’est dans ce contexte que l’Algérie a, depuis 1968, perdu de nombreux cadres et travailleurs. Comme en février 2022, lorsque 1200 médecins formés en Algérie ont réussi d’un coup l’examen d’équivalence qui leur permet d’exercer dans les hôpitaux français. On parle de 15 000 médecins algériens qui exercent uniquement en France.
Reste à évaluer les pertes pour le pays, avec le départ d’un nombre aussi important de médecins formés aux frais de l’État. D’après les chiffres fournis par la Banque mondiale, L’Algérie ne compte que 1,7 médecin pour 1000 habitants en 2018, contre 6,5 pour la France, 4,9 pour l’Union européenne et 3,8 pour l’ensemble des pays de l’OCDE venaient d’Algérie (47,64% contre 41,73% en 2017, dont plus de 50,8% de femmes). Les Tunisiens, pour leur part, représentaient 19,2% des inscrits en 2018 (21,11% en 2017).
Selon les données de Campus France pour l’année scolaire 2021-2022, plus de 400 000 étudiants dans les universités françaises venaient de l’étranger. Parmi eux, ils étaient plus de 100 000, soit plus d’un quart, à venir du continent africain. On dit que l´Afrique a perdu, depuis les années 90, plus de 1 million de diplômés. Le Maghreb monopolise les premières places.
Graduellement, les candidats à l’émigration se trouvent de plus en plus dans les rangs des universitaires. Rien à voir avec «les tirailleurs Béton» des années 60 et 70, qui ont construit les infrastructures de la France. Plus de 70% d’entre eux étaient sans qualification professionnelle, et étaient orientés vers les emplois les plus pénibles, les plus salissants, les plus humiliants.
Nous observons aujourd’hui de nouvelles populations de candidats à l’émigration universitaire. Ces candidats-là n’ont plus besoin du pays qui les a formés pour faire leur «trou en France». Ce sont leurs compétences qui parlent désormais pour eux. Quant aux rares harraguas, ils nous sont renvoyés (OQTN).
Nos jeunes universitaires reviennent à l’Etat à environ 100.000 $ par an, selon les normes de l’UNESCO sans compter le pécule que le diplômé prend avec lui autour de 7500 euros. L’Algérie disposait d’un vivier de 31 000 étudiants chaque année. Pour un turnover de 3 ans, c’est au moins 10 000 diplômés qui enrichissent la France et qui auront coûté chaque année au pays 1 milliard de $. Cette dette, que la France contracte depuis 1968, s’apparente au mythe de Sisyphe, le mythe de l’éternel recommencement, qui fait que l’Algérie ne capitalise pas le savoir. C’est un chantier à ouvrir d’urgence.
Conclusion
Une certaine France n’a pas encore déprogrammé le logiciel de la mentalité de l’Empire colonisateur, avec l’esprit dominateur, celui des races supérieures, un avatar que l’on doit à Jules Ferry, le père de l’Ecole Républicaine en France et des écoles gourbis en Algérie. Il est clair que la psychose de l’invasion immigrée, exacerbée par les politiciens nostalgiques de l’empire de l’AOF, AEF, ou encore d’une «Reconquista» à rebours, voire du Grand Remplacement, est insensée et suicidaire à terme pour les pays où ils sévissent.
Que vaut ce fameux accord franco-algérien de décembre 1968, que l’on brandit comme une menace qui pourrait porter préjudice à l’Algérie ? C’était un accord gagnant-gagnant «win win», à travers lequel, à la demande de la France, l’Algérie participait activement par sa main d’oeuvre au développement de la France, après l’avoir aidé à recouvrer sa liberté.
Il ne peut pas y avoir de solde de tout compte d’un passé sans devoir d’inventaire. C’est un fait, l’immigration algérienne est en train de changer. Le temps des chibanis natifs des Aurès, de la Kabylie ou de Sétif est révolu. Ce sont désormais des jeunes de plus en plus instruits, qui rendront caduque cette épée de Damoclès brandie au-dessus de l’Algérie.
Au nom du sang versé, il ne peut être question de banaliser les apports inestimables des immigrés dans l’histoire tumultueuse algéro-française, longue de près deux siècles. Jacques Chirac affirmait à raison qu’un Français sur dix a des racines algériennes.
Pour toutes ces raisons, il faut au contraire trouver une solution de compensation pour les milliers de diplômés qui participent au rayonnement de la France. C’est cela l’ouverture d’un nouveau chantier du Savoir qui pourra, avec le temps, permettre de compenser le mal absolu de la colonisation. Le moment est venu d’ouvrir une nouvelle page, celle de la confiance et d’un dialogue constructif, sans condescendance, mais mus par le désir de faire enfin la paix !
Chems Eddine Chitour
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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