Dimanche 25 juin 2023 – Rassemblement en hommage au Chevalier de La Barre à Gruissan (Aude) – Intervention de Pierre Gueguen pour la Fédération Nationale de la Libre Pensée.
Pour en savoir plus sur le Chevalier de la Barre, voir cet article du Grand Soir :
https://www.legrandsoir.info/pour-le-chevalier-de-la-barre.html
Bonjour,
Merci à la Fédération de l’Aude de la Libre Pensée et à sa présidente, Brigitte Pastor, d’avoir invité la Fédération Nationale à ce rassemblement.
Je voudrais introduire mon propos par une interrogation.
Quelle est la force symbolique du martyre subi par le Chevalier de La Barre, il y a maintenant deux siècles et demi, pour nous autres libres penseurs et républicains ?
Est-ce l’indignation que soulèvent et sa condamnation, et la torture, et l’exécution pour un délit qui n’en est pas un ? Est-ce « l’atrocité de cette aventure [qui nous] saisit d’horreur et de colère », pour reprendre les mots de Voltaire ?
Certainement, mais pas seulement, étant entendu que cette révolte relève d’une émotion bien légitime.
Mais la force symbolique, qui demeure à travers les siècles, réside dans le caractère insupportable du droit de vie et de mort détenu par quelques-uns sur tous les sujets, taillables et corvéables à merci, dans le scandale de la soumission des pouvoirs à une Eglise qui fait de la justice son bras séculier au nom de l’ordre moral, et qui fait de la délation un système. C’est un système théocratique et policier.
Tel est le système de la monarchie absolue, dont la devise est « l’Etat, c’est moi ! » et dont les armoiries sont le Sabre et le Goupillon. Telle est l’essence de tout régime autoritaire, comme celui de Macron et de son gouvernement qui imposent contre vents et marées leur programme de destruction de lois fondamentales qui sont autant de jalons posés par les républicains comme Jean Jaurès, Ferdinand Buisson et Edgar Quinet pour encourager la marche vers la République sociale.
En 1789, l’Abbé Sieyès, avant les États Généraux, édite son fameux opuscule qui débute par ces mots :
– Qu’est-ce que le Tiers État ?
– Tout.
– Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ?
– Rien.
– Que demande-t-il ?
– À être quelque chose.
L’Internationale, écrite en 1871 par Eugène Pottier, donc au moment de la Commune de Paris, reprendra cette volonté exprimée par Sieyès, à la veille de la Grande Révolution :
Le monde va changer de base
Nous ne sommes rien soyons tout.
Au XXIe siècle, nous en sommes toujours là. Les millions qui manifestent des mois durant sont considérés comme « rien » et même « moins que rien » par un pouvoir qui se croit « tout » et même « tout permis ».
Les migrants qui fuient la misère et les guerres et meurent noyés en Méditerranée et dans la Manche ne sont « rien » aux yeux des puissants.
Les peuples ukrainien, russe, palestinien, yéménite, malien, etc. ne sont « rien » non plus, pour le plus grand profit des marchands d’armes et des Etats qui sèment le chaos pour mieux régner.
Mais comment passer du rien au tout ?
Fin 1784, dans sa Réponse à la question : « Qu’est-ce que les Lumières ? », le philosophe allemand Emmanuel Kant explique que « les « Lumières » se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. »
« Sapere aude ! », s’écrie donc le philosophe, ce que l’on peut traduire littéralement, pour conserver la force de l’injonction : « Aie l’audace de comprendre ! ».
Comprendre ! La conscience mène les individus et les peuples à leur émancipation en suivant les chemins de la Raison – la Raison tonne en son cratère, chante L’Internationale. Kant poursuivait les pistes de la pensée et de la recherche ouvertes par bien d’autres avant lui, comme Épicure, Lucrèce, Galilée, Descartes, Spinoza, ou encore Bruno et Vanini qui tous avaient en commun le rejet du dogme, de la Vérité révélée, de l’obscurantisme et de la superstition. Ils privilégiaient tous le doute comme point de départ de leur démarche empirique.
Jean Jaurès, dont l’assassin Raoul Villain fut acquitté et la veuve condamnée aux dépens – ne l’oublions jamais ! – affirmera après le vote de la loi de 1905 de Séparation des Églises et de l’État : « La loi de séparation, c’est la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison. » On cherchera en vain le terme de « laïcité » dans la loi qui en offre pourtant le cadre juridique. Les premiers mots de son article 1 en affiche sobrement mais fermement l’esprit : « La République assure la liberté de conscience. » Et cela suffit, car c’est bien la liberté de conscience qui permet le caractère laïque de la République et de ses institutions. C’est l’acquisition et l’exercice de la liberté de conscience qui enfante en droit la République.
Le législateur de 1905, d’une certaine manière, décline en républicain le raisonnement d’Emmanuel Kant, quand l’article premier de la loi énonce : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
Il s’inscrit aussi dans les pas des Révolutionnaires de 1789, en reprenant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui proclame dès son article 1er que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », et dans son article 10, assure pour la première fois la liberté de conscience, sans pour autant la nommer : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».
Et Aristide Briand, lors des débats de 1905, denses, souvent passionnément contradictoires, lancera aux députés : « L’État n’est ni religieux, ni antireligieux, il est areligieux ».
Un an auparavant, en juillet 1904 à Castres, Jaurès s’exprimait sur les liens entre la République, la démocratie et la laïcité :
« Démocratie et laïcité sont deux termes identiques. Qu’est-ce que la démocratie ? (…) « La démocratie n’est pas autre chose que l’égalité des droits. » Or, il n’y a pas égalité des droits si l’attachement de tel ou tel citoyen à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion, est pour lui une cause de privilège ou une cause de disgrâce. Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou sociale, la démocratie ne fait intervenir, légalement, la question religieuse. Elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes, mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale. (…)
Et si la démocratie fonde en dehors de tout système religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social, (…) si elle ne s’appuie que sur l’égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque, si elle se dirige sans aucune intervention dogmatique et surnaturelle, par les seules lumières de la conscience et de la science, (…) j’ai bien le droit de dire qu’elle est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. Ou plutôt, j’ai le droit de répéter que démocratie et laïcité sont identiques. »
A Abbeville, le monument érigé en 1907 à la mémoire du Chevalier de La Barre porte cette inscription : « Monument élevé par le prolétariat à l’émancipation intégrale de la pensée humaine ». Il s’agit d’un monument hautement symbolique auquel la Libre Pensée est particulièrement attachée. C’est pourquoi elle y organise chaque année un rassemblement, comme la Fédération de l’Aude le fait ici, à Gruissan, devant cette maison et ce buste du Chevalier de La Barre installé en 1931 par la Société de Libre Pensée.
Voilà quelle est la force symbolique du martyre du Chevalier de La Barre et de l’hommage qui chaque année lui est rendu, ainsi qu’à Voltaire, par la Libre Pensée.
Je vous remercie,
A bas la Calotte et vive la Sociale !
Pierre GUEGUEN
Fédération Nationale de la Libre Pensée.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir