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par Régis de Castelnau
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris condamnant Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert dans la fameuse affaire des écoutes a provoqué une certaine émotion, dans la sphère politique bien sûr mais également dans la sphère médiatique. Beaucoup des journalistes qui avaient assisté aux audiences de première instance et d’appel, et par conséquent constaté le vide du dossier, posaient la question d’une décision directement politique.
Pour ma part il y a longtemps que je serine sur cette question du dévoiement de la magistrature qui a fait de la justice, en violation de la séparation des pouvoirs, une force politique autonome sans légitimité de l’élection démocratique.
J’ai même consacré un ouvrage de 600 pages à l’histoire du phénomène. Il a été commenté, jamais réfuté.
Certains magistrats se sont émus du fait que la décision de la Cour ait été largement critiquée. L’un d’entre eux a écrit sous pseudonyme un article dans la revue juridique professionnelle « l’Actualité juridique ».
J’ai publié une réponse dans les mêmes colonnes. Mais on trouvera ci-dessous une version plus longue de mon texte qui développe un peu plus l’analyse que je fais de ce qui constitue un danger démocratique.
Il y a 20 ans, à l’occasion de l’audience de la Cour d’assises d’appel de Paris dans l’affaire d’Outreau, j’avais publié une tribune libre qui exprimait mon diagnostic personnel sur le fonctionnement de la magistrature, qui était déjà assez direct, ce qui ne surprendra pas ceux qui me connaissent. Je reproduis ici ma conclusion : «La tentation de l’autisme est pourtant une stratégie risquée pour le corps lui-même. Est-il sûr que l’opinion publique française s’en contente, alors qu’elle se méfie désormais de sa propre justice ? Quel intérêt de se vivre en forteresse assiégée au risque de se transformer en une «forteresse vide» ? Ne serait-il pas temps de relever les défis d’aujourd’hui ? Amis magistrats, encore un effort pour être vraiment des juges.»
La publication dans les colonnes de «l’Actualité juridique» de l’article de Étienne Ortecan magistrat parquetier sous le titre : «Affaire Sarkozy : la rhétorique toxique du peuple contre les élites» me démontre que non seulement cela ne s’est pas arrangé, mais que si la forteresse existe toujours, elle s’est remplie pour devenir désormais une force autonome qui entend exercer une influence directement politique sur la société française.
À la phrase figurant dans le chapeau «l’auteur dénonce les dangers d’une rhétorique, déjà utilisée par François Fillon, qui soutient la thèse d’une justice politique», je répondrai qu’il n’y a pas que François Fillon. Les gazettes sont remplies de tribunes qui s’alarment d’un certain nombre de dérives, en particulier après la condamnation en appel de Nicolas Sarkozy dans l’affaire «des écoutes». Qui présente une caractéristique particulière qu’avait reflétée les articles lors de l’audience de première instance. Le vide du dossier et les libertés prises avec un grand nombre des principes fondamentaux qui gouvernent le déroulement du procès pénal avaient sauté aux yeux des chroniqueurs qui ont enfin manifesté surprise et interrogations.
J’ai personnellement moi aussi adopté cette rhétorique, après un travail relativement approfondi, et la publication d’un livre copieux (600 pages) qui retrace ce qui constitue un dévoiement, sous le titre justement de «Une justice politique». Il a fait l’objet de chroniques, de recensions, d’interviews finalement assez nombreuses dans la presse sauf curieusement (ou pas) dans la presse dite «de gauche». Mais curieusement toujours, aucune réaction publique, discussion ou réfutation du côté des magistrats. Rien sur un certain nombre de mes affirmations dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles étaient souvent assez sévères. Le silence est comme chacun sait une autre méthode pour éviter le débat contradictoire qui est pourtant la clé de l’élaboration de la vérité judiciaire. Petit préalable habituel, l’auteur a toujours été un adversaire acharné du camp politique incarné par Nicolas Sarkozy et François Fillon. Donc critiquer la politisation de la justice est l’expression du souci d’un citoyen et non une défense des personnes concernées.
On travaille vite au PNF !
Le problème est que tout d’abord l’article de Étienne Ortecan utilise l’affirmation comme seul mode d’appréhension du réel, pour réfuter cette idée d’une politisation de la justice. Par exemple, il disqualifie la défense de François Fillon non pas sur le fond, mais sur les formes qu’elle a prises. François Fillon s’est incontestablement maladroitement défendu, alors on présente ses déclarations comme ridicules. Pensez donc, il a parlé de «cabinet noir», impossible n’est-ce pas ? Le problème c’est que deux journalistes du Canard enchaîné ont à ce moment-là publié un livre (Bienvenue place Beauvau) qui en décrivait la réalité et le fonctionnement. L’article de Ortecan poursuit : «le palmipède publiait toute une série d’articles mettant en cause l’ancien premier ministre». Que voilà une Drôle de présentation ! Il convient de rappeler mais pour cela il faudrait s’intéresser aux faits, qu’il s’agit d’abord d’un papier lancé comme une bombe par le Canard enchaîné dans son édition du 25 janvier 2017. Le même jour à 11 heures du matin le PNF annonçait l’ouverture d’une enquête préliminaire pour détournements de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits. On travaille vite au PNF ! Même si on a une lecture très sélective du Canard enchaîné. Il me souvient d’un article du palmipède pointant les pressions en forme de trafic d’influence de collaborateurs de François Hollande à l’Élysée pour obtenir du ministre du budget la remise des pénalités infligées à Mediapart pour ses fantaisies en matière de calcul de TVA.
On ne va pas ici multiplier les exemples sur l’étrange procédure Fillon, mais retenir celui de la publication par le Monde 10 jours plus tard d’une copie sélective d’un certain nombre d’éléments de l’enquête diligentée toute affaires cessantes. Les seuls qui avaient accès à ces pièces étaient les magistrats du PNF et les policiers qu’ils avaient mandatés. Il y avait donc eu une violation grave de la Loi française, commise soit par des policiers, soit des magistrats, tous assermentés et spécialement chargés de la faire respecter. Comme d’habitude, cette violation particulièrement grave en période électorale et constituant une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin présidentiel, n’a eu aucune suite judiciaire malgré la plainte déposée par François Fillon. On imagine qu’elle dort paisiblement dans une des armoires du parquet.
Un apolitisme vraiment étrange
L’article de Étienne Ortecan laisse apparaître autre chose comme une sorte d’ingénuité. La justice n’est pas politisée nous dit-il alors même qu’il laisse apparaître son propre engagement personnel dans les arguments qu’il développe. Il commence un de ses paragraphes par la formule suivante : «En effet, il s’agit d’une défense qui respire totalement l’air du temps. Le peuple contre les élites». Donc Sarkozy et Fillon sont d’horribles populistes qui osent dire du mal de la «gauche». Présentée comme victime de scandaleuses imputations : «Nicolas Sarkozy surfe sur l’ambiance actuelle qui est de disqualifier d’emblée tout discours ou toute expression venant de cette «gauche» systématiquement décrite comme violente et responsable de la montée de l’extrême-droite, qui terroriserait la population avec son militantisme, sa pensée unique, son wokisme et son islamo-gauchisme ». Du Libération dans le texte. Les opinions politiques personnelles de Étienne Ortecan sont tout à fait honorables et l’auteur en partage certaines, mais vouloir exonérer la justice de l’accusation d’être politisée en démontrant qu’on est soi-même engagé d’un côté, ce n’est peut-être pas très heureux. On retrouve d’ailleurs tout le langage de la Doxa du gauchisme culturel, à base d’accusations de complotisme, populisme, fourriers des heures sombres, et de favoriser «une tradition qui revient en force et s’impose peu à peu dans l’esprit des téléspectateurs assidus des chaînes de télévision comme BFM et CNEWS ou autres auditeurs fidèles à RMC et SUD RADIO.» Eh bien, voilà Monsieur le procureur qui affirme tranquillement, que les couches populaires et les masses sont stupides et incultes, qu’elles regardent ou écoutent les mauvais médias au lieu d’être abonnées à Libération et à Télérama comme tout le monde. Jolie démonstration finalement qui en dit long sur un des problèmes qui frappent la Justice aujourd’hui.
L’indépendance n’est que l’outil de l’impartialité
La liberté de conscience et d’opinion est quelque chose de fondamental, mais encore faut-il se rappeler que le juge est là non pas pour aider à disqualifier politiquement et médiatiquement un candidat à la présidence de la République en favorisant l’élection d’un parfait inconnu sorti de nulle part. Il n’est pas là non plus pour imposer sa morale à la société, mais pour arbitrer entre des intérêts contradictoires.
Et pour cela, l’indépendance du juge siège est quelque chose de fondamental, mais pas une fin en soi. Ce n’est que l’outil permettant d’utiliser le principe cardinal de l’impartialité. Or la définition quasi officielle de celle-ci se trouve dans un article publié par le Monde sous la signature de deux anciens dirigeants des deux principaux syndicats de magistrats à l’occasion de la fameuse affaire du Mur des cons : «une fois de plus cette affaire va servir à défendre une conception abstraite et surannée de l’impartialité du juge sous-tend le code de déontologie des magistrats publiés en 2010 par le CSM : le juge doit être transparent sans sexe sans opinion et sans engagement». Mais enfin, personne ne demande que les magistrats soient personnellement transparents, asexués ou sans opinions politiques, mais que leurs décisions le soient ! Elles ne sont pas rendues à titre personnel, en tant que femmes (ou hommes) en tant qu’électeurs, ou en tant que militants, mais au nom du peuple français. Comment peut-on être à ce point étranger à une telle évidence ?
Pas d’hypocrisie dans le débat !
Et puis au fond, la défense du corps des magistrats est quelque chose de légitime, et comme dans tout débat contradictoire la mauvaise foi est recevable, c’est l’affaire de celui qui écoute, à lui de faire le tri. Mais ce qui est plus désagréable, c’est une forme d’hypocrisie. Celle qui consiste à nier publiquement un certain nombre de faits, à revendiquer une forme de pureté, alors qu’en privé dans les couloirs, et dans les conversations discrètes on reconnaît l’existence de ces dévoiements. Reprocher à François Fillon, qualifié de complotiste, d’avoir parlé de l’existence : «un cabinet noir, d’une concertation entre adversaires politiques, journalistes et magistrats» alors que chacun sait que c’est exactement ce qui s’est passé, oui c’est de l’hypocrisie. Prétendre que la fulgurante et sans précédent première phase de l’instruction Fillon (47 jours) s’est déroulée normalement, uniquement dictée par les contraintes de la procédure pénale, c’est se moquer de ses interlocuteurs. Dire que les décisions piétinant le secret professionnel des avocats rendues à l’occasion de l’affaire des écoutes ne sont que l’application d’une jurisprudence traditionnelle, qu’il n’y a pas eu d’abandon du principe d’interprétation restrictive de la loi pénale, que la justice poursuit ceux qui violent les règles des secrets de l’enquête et de l’instruction, asséner que la répression de masse dont a été victime le mouvement social des Gilets Jaunes est une invention, que l’entourage de Emmanuel Macron ne bénéficie d’aucune mansuétude dans le traitement judiciaire des collections d’affaires qui le concernent, et enfin que les rapports entre les magistrats et les avocats sont ensoleillés comme jamais, c’est nier consciemment une réalité vécue.
La justice française est confrontée aujourd’hui à toute une série de problèmes. Le premier d’entre eux est évidemment le manque criant de moyens, le service public de la justice étant plus que jamais le parent pauvre budgétaire de notre pays. Mais cette question de la politisation du corps des magistrats devenue problématique en est le second. Cette dérive a une histoire et des causes. C’est le fruit d’un processus qui a vu, depuis une quarantaine d’années, le corps prendre une autonomie vis-à-vis de sa traditionnelle et séculaire dépendance vis-à-vis de l’exécutif. Malheureusement cette autonomie au lieu d’assurer son impartialité en a fait une force politique qui semble aujourd’hui vouloir utiliser ce nouveau pouvoir. Rendant boiteuse la séparation des pouvoirs et installant vis-à-vis du peuple au nom duquel sont rendues les décisions de justice une coupure qui peut s’avérer dangereuse.
Il y a une règle qui ne se dément jamais, si l’on assigne à la justice des fins et des objectifs qui ne sont pas les siens, cela ne peut se faire que par la violation des principes fondamentaux et par conséquent exposer aux risques de l’arbitraire
source : Vu du Droit
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