Maitre reiki, c’était plus qu’une profession pour Nelly. C’était une vocation. Pour faire le bien, pour répandre la lumière, la paix et l’amour. Partout. Pendant dix ans, ce n’était que pur bonheur pour elle. Elle «soignait» les âmes en peine, chercheuses de sens et de vérité. C’était le rêve de son enfance, le souhait de sa mère: «Un jour, tu seras médecin, pour guérir maman», lui avait-elle dit. Avec des clients à la tonne, un excellent revenu, et surtout ce pouvoir de guérir, Nelly Gillant vivait le rêve de sa vie. Il aurait fallu être folle pour quitter tout ça pour Jésus.
Le monde des morts
Dépressive, la mère de Nelly fait plusieurs tentatives de suicide. Un jour, elle en meurt.
«J’avais neuf ans. Mon père ne s’en est jamais remis. Il a tout perdu. Avec ma sœur, on a passé plusieurs jours sans manger. J’ai compris que les adultes ne pouvaient pas me protéger. Je voulais surtout savoir où était ma mère. Ça m’obsédait. Je croyais à la vie après la mort, mais comme personne ne répondait à mes questions, j’ai cherché les réponses par moi-même.»
Le copain de sa sœur les initie toutes les deux au spiritisme. Immédiatement, Nelly Gillant est fascinée. Elle dévore tout ce qui se publie sur le monde des morts. Elle tire aux cartes, comme sa mère.
«Je lisais Vous pouvez sortir de votre corps. Guide pratique du voyage astral, de Bernard Raquin. Je me nourrissais de tout ça, mais Jésus était une référence, la Vierge Marie aussi. Je portais ma croix, mais j’ignorais pourquoi.»
Elle devient adepte de Sathya Sai Baba, un maitre spirituel indien qui prétend être la réincarnation du gourou Shirdi Sai Baba. Elle parvient à la «lumière bleue» et autres dimensions énergétiques grâce à ses techniques de méditation. Elle flirte avec Sūkyō Mahikari (organisation religieuse japonaise guérisseuse et millénariste, dite «Lumière de vérité»), un nouveau mouvement religieux japonais, puis quitte le groupe, qu’elle soupçonne de dérives sectaires.
À 20 ans, elle tombe sur Le Sermon sur la montagne de l’auteur à succès Emmet Fox. «Cette lecture m’a ouvert les yeux. J’ai eu comme une vision du Christ qui me tendait la main en disant: “Suis-moi.” J’ai senti sa présence et sa paix toute la semaine. J’avais un malêtre omniprésent, et là je me sentais libre et joyeuse. Puis, ça s’est estompé. Je me suis dit qu’en lisant la Bible, ça continuerait. J’ai commencé par la Genèse avant de lire toutes les histoires de massacres et de guerres de l’Ancien Testament… Ce n’était pas la paix ni la joie que j’avais vécues! Comme il ne se trouvait personne pour me guider dans la lecture, j’ai fermé la Bible… pendant 20 ans!»
Dans l’intervalle, elle ne touche ni au vaudou, ni à la magie, ni au satanisme. Elle se consacre à la cartomancie, aux runes ou au pendule, car, dit-elle, elle voulait «faire le bien».
«J’étais naïve. Je parlais aux esprits, mais puisque mon objectif était de guérir et de faire le bien, je me disais que Dieu était d’accord.»
Elle plonge alors dans Écoute ton corps, de Lise Bourbeau, véritable porte d’entrée dans la nébuleuse Nouvel Âge. Ses aptitudes médiumniques s’intensifient. Lors d’une séance de spiritisme, elle dispose les lettres du Scrabble en cercle et demande les réponses de ses examens à venir. Elle les obtient.
Nelly quitte la France et s’installe au Québec, car, selon elle, c’est ici qu’il est le plus facile d’être «formé» en sciences occultes. Elle obtient rapidement un diplôme en hypnose. Elle tire aux cartes une esthéticienne, laquelle lui envoie ses clientes. «Mes clients en cartomancie vivaient toujours beaucoup de problèmes, alors je les avais aussi en hypnose. Très vite, j’ai eu une grosse clientèle.»
Toujours plus haut
Malgré ce succès, Nelly n’est pas en paix. Elle veut plus. «J’étais nouvellement diplômée en reiki, alors j’ai voulu devenir maitre reiki. Cependant, plus j’avançais dans les niveaux, plus je percevais énormément d’orgueil chez les maitres.»
Elle rejoint l’ashram de Mahavatar Babaji (maitre spirituel indien, réputé immortel). Elle remarque que des manifestations étranges, surnaturelles, se produisent dans son quotidien.
Avec Babaji, et ses techniques de kriya yoga, le but est d’atteindre la 5e dimension, communément appelée nirvana. «Tous les thérapeutes doivent atteindre ce nirvana, c’est-à-dire arriver à se désincarner, afin de pénétrer dans le grand tout. Le problème est que tu n’y arrives pas. Tu peux entrer dans l’extase totale, et puis paf! tu redescends brusquement. Et là, c’est le désespoir total. En fait, c’est une compétition. Tout le monde se compare et veut devenir maitre. Tu te fais dire: “Ah? Comment ça se fait que tu n’as pas encore atteint la cinquième dimension?” ou: “Tu n’utilises pas la bonne technique.”»
Un jour, elle y arrive pourtant. «L’esprit de Babaji est entré en moi. J’ai senti un débordement d’amour incroyable! Comment affirmer, alors, que c’est mal? Je veux dire, par rapport au christianisme? Parce que, dans le Bible, c’est clair qu’on ne doit pas jouer avec les esprits… Dans nos séminaires, on “conversait” avec la Vierge Marie pour atteindre les énergies christiques. On enseignait que Jésus était un maitre ascensionné; qu’il était allé en Inde pour apprendre les techniques de Babaji; qu’il n’avait pas vécu la Passion pour vrai, car il était sorti de son corps. Tout cet enseignement, ces notions, je dirais que c’est ce dont il a été le plus difficile de me défaire, de me déprogrammer, si je puis dire. Croire que Dieu s’est incarné, qu’il est vrai Dieu et vrai homme, c’était impensable!»
À la suite de cette expérience, ses aptitudes médiumniques décuplent. Ses clientes reviennent plus souvent. Quand elle se concentre, ou se canalise, sa voix change. «Une puissance se dégageait de mes mains. Aujourd’hui, je sais que c’était une force qui avait une emprise sur moi, qui me faisait croire que j’avais le contrôle.»
Nelly forme des élèves, puis des maitres, et prend part au Holy Fire Reiki, en provenance des États-Unis, avec les plus grands. «On travaillait avec Jésus – ce qu’on croyait être Jésus! –, mais on ne le disait pas aux élèves. Comme j’ai toujours aimé Jésus, je me disais qu’enfin j’avais trouvé le vrai reiki.»
Le Reiki est une technique qui a été mise au point au Japon dans les dernières années 1800 par Mikao Usui qui étudiait les textes bouddhiques. Le Reiki enseigne que la maladie est causée
par une perturbation ou un déséquilibre dans son « énergie vitale ». Pour effectuer
une guérison, le praticien place ses mains en diverses positions sur le corps humain
pour faciliter le flot de cette énergie vitale universelle. Diverses cérémonies utilisant
« des symboles sacrés » accompagnent l’initiation d’un praticien du Reiki.
Alors que tout son emploi du temps était consacré à faire le bien autour d’elle, Nelly arrive difficilement à exécuter les tâches quotidiennes les plus élémentaires, et les besoins de sa fille de trois ans l’irritent. «Toute la journée, j’écoutais des mantras. J’étais comme dans un monde parallèle. Un jour, j’ai pété les plombs. J’ai collé mon front sur celui de ma fille en hurlant! C’est là, après, que je suis tombé à genoux en implorant la Vierge Marie. J’ai crié: “Délivre-moi! Améliore ma relation avec ma fille!”»
Les jours suivants, Nelly ressent subitement une aversion pour les méditations, les mantras, les pierres. Sa massothérapeute lui révèle qu’elle s’est convertie au christianisme et qu’une éducatrice spécialisée qui fréquente son groupe d’études bibliques pourrait l’aider dans sa relation avec sa fille. Elle s’y rend. «J’écoutais. J’étais émerveillée. Personne ne m’avait parlé de la Bible comme ça!» À la troisième rencontre, cependant, une femme affirme que Jésus est seul médiateur entre Dieu et les hommes. En colère, Nelly rétorque que c’est faux. Elle claque la porte.
Elle demeure néanmoins obsédée par cette idée. Au bout de quelques jours, elle demande à Dieu de lui dire la vérité. Pendant la nuit, elle est réveillée par une parole: «Jésus est mon fils bienaimé. C’est le seul et l’unique. Mets-toi à genoux et confesse de ta bouche que c’est ton Seigneur et ton Sauveur.» Ce n’est pas du tout la réponse qu’elle voulait entendre! «Je voulais ouvrir mon centre reiki, moi! Je ne voulais pas suivre Jésus!»
Jésus à tâtons
Suivre Jésus? Oui, mais comment? À travers ses recherches, Nelly aboutit dans une église baptiste, puis évangélique. Les pasteurs répondent du mieux qu’ils le peuvent à ses nombreuses questions.
Un changement s’amorce: «Avec mes clients, je ne parlais que de Jésus. Ils repartaient avec des bibles! J’avais lu sur les dons du Saint-Esprit, alors je me disais qu’en obtenant ces dons-là, j’allais pouvoir opérer les guérisons, comme avec le reiki.»
Quand elle procédait à une initiation de maitre reiki, elle le faisait en invoquant le nom de Jésus Christ. «Dans le fond, je ne renonçais pas à l’idolâtrie. Et puis, il y avait l’aspect financier: comment allais-je gagner ma vie sans ma pratique? J’ai crié vers Dieu en disant que j’avais peur et que je n’arrivais pas à le suivre. C’était clair que des esprits m’opprimaient. Tu ne peux pas travailler avec les énergies comme ça et t’en sortir indemne. J’ai cherché “exorcisme” sur Internet et je suis tombée sur le site Web de mon diocèse. Quand j’ai vu que c’était catholique, j’ai laissé tomber. Je ne voulais rien savoir de l’Église catholique.»
Encore une fois, elle prie, à genoux, et demande à Jésus de la guider. Elle trouve une église pentecôtiste où elle vit un exorcisme qui dure trois heures. «Ç’a été une expérience difficile, terrifiante par moments. J’ai été libérée de plusieurs esprits. Je suis rentrée à la maison, j’ai tout raconté à mon conjoint, et le soir même, j’ai annulé mes rendez-vous avec tous mes clients. C’était terminé!»
Nelly poursuit son cheminement avec cette église. Des centaines d’objets prennent le chemin des poubelles. «C’était extrêmement joyeux et souffrant à la fois. Ma communauté m’aidait, j’ai bénéficié de plusieurs autres délivrances. Puis, j’ai demandé le baptême, mais on ne pouvait pas me le donner; je devais me marier. J’ai hurlé: “Vous ne comprenez pas! J’en ai besoin! Mon âme en a besoin!” Et puis, dans les assemblées, c’était trop exubérant. Ça criait, ça se jetait par terre… J’ai fini par quitter cette communauté.»
Découragée, elle téléphone à la cousine de son mari, qui est chrétienne. Elle l’assure qu’elle pourra recevoir le baptême.
«Je voulais faire une retraite pour préparer mon baptême. Je ne voyais pas de lieu de retraite chez les protestants. Il y avait l’abbaye Sainte-Marie-des-Deux-Montagnes, mais c’était catholique… Les églises protestantes que j’avais fréquentées m’avaient toutes enseigné que l’Église catholique était idolâtre. Alors, je me suis dit que j’irais tout de même, mais que les sœurs ne m’auraient pas.»
L’eucharistie, c’était trop pour moi! Cette fois-là, je me suis dit, intérieurement: “Nelly, tu t’es prosternée devant tant d’idoles, de gourous et d’hommes! Imagine, si c’était vrai? Imagine!”
Une fois sur place, une moniale l’invite à l’office. Assise à côté de Nelly, la sœur embrasse la petite image de Jésus qu’elle tient dans son bréviaire. Nelly lève les yeux vers le ciel en se disant que la bonne sœur ira certainement en enfer. «Je priais! Je devais la délivrer de l’idolâtrie! Et là, j’entends, intérieurement: “Qui es-tu pour juger mon Église? Ces femmes sont ici de leur plein gré, en louange et en adoration pour moi. C’est un avant-gout du ciel sur terre!” Je suis quasiment tombée en bas du banc! Je disais à Dieu: “Quoi? C’est ça la vraie Église?” J’ai regardé dans le cloitre: les femmes chantaient, je voyais des anges. Les chants étaient portés par les anges jusqu’au trône du Père.» Nelly s’effondre en pleurs. La petite sœur la console, la prend dans ses bras et l’emmène voir le prêtre, celui qui allait l’accompagner pendant plusieurs semaines.
Elle baisse les armes, tranquillement, mais pas totalement. Le groupe de prière qu’elle fréquente l’aidera. «La responsable du groupe se rendait souvent à la chapelle d’adoration. J’avais toujours refusé d’y aller. L’eucharistie, c’était trop pour moi! Cette fois-là, je me suis dit, intérieurement: “Nelly, tu t’es prosternée devant tant d’idoles, de gourous et d’hommes! Imagine, si c’était vrai? Imagine!” En disant cela, j’ouvrais une petite porte à Jésus… Et là, j’ai senti un truc de fou. Une douceur, un amour, un bienêtre! À un point tel que j’ai mis le genou par terre.»
À l’été 2020, Nelly reçoit la première communion ainsi que la confirmation. En septembre, elle et son conjoint se marient et leur fille de huit ans reçoit le baptême.
Sur le plan professionnel, elle cherche encore sa voie. Son mari est là, qui s’occupe de tout, qui l’a toujours soutenue contre vents et marées. «Mon mari est d’une extrême importance dans mon relèvement et ma reconstruction. Avant, tout mon temps passait à chercher l’illumination. Eux [la famille], ils passaient en second. Ma première vocation, maintenant, c’est mon mariage.»
Et ses mains, ce pouvoir, que sont-ils devenus? Nelly sourit. «Je sers la messe avec ma fille, je suis acolyte à la communion. Ça, c’est la très grande miséricorde de Dieu.» Ses mains, qui bafouaient son amour en servant d’autres dieux, donnent maintenant le Corps du Christ au monde.
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