Le vrai danger pour le droit à l’avortement

Le vrai danger pour le droit à l’avortement

L’autrice est avocate et chercheuse en droit des femmes. Elle a présidé le Conseil du statut de la femme de 2006 à 2011.

La ministre de la Condition féminine, Martine Biron, a sûrement de très bonnes intentions lorsqu’elle affirme qu’elle veut « visser » le droit à l’avortement. Toutefois, en tout respect, permettez-moi de dire que nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi qui vienne dire ce que l’état du droit actuel nous dit déjà ; le droit à l’avortement est légalement reconnu au Canada depuis l’arrêt Morgentaler en 1988. Le droit à l’autonomie des femmes sur leur corps a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Daigle c. Tremblay, aussi en 1989.

Ce droit a été reconnu comme faisant partie intégrante des droits constitutionnels des femmes protégés dans la Charte canadienne à l’article 7. Aujourd’hui, on pourrait ajouter que le droit à l’autonomie de décision et le droit à l’avortement sont aussi protégés par le droit à l’égalité des femmes consacré dans nos deux chartes.

Le plus grave problème des femmes en ce moment est l’accès au service d’avortement. Est-ce que tous les hôpitaux du Québec offrent les services d’avortement ? Laisse-t-on encore la responsabilité de ces interventions de santé à des cliniques privées dans certaines régions, dont certaines sont des cliniques à but non lucratif ? Est-ce que le difficile accès aux hôpitaux force encore certaines femmes à reporter l’intervention par faute de service ? Est-ce que le pénible accès à un médecin de famille est un obstacle à l’obtention de la pilule du lendemain ? Est-ce que les cours d’éducation sexuelle initient les élèves à ce droit constitutionnel afin justement de démystifier et de contrer les préjugés qui l’entourent ?

Voilà les défis urgents auxquels doivent répondre la ministre de la Condition féminine et son collègue de la Santé et des Services sociaux. Je suis bien consciente des intentions nobles de la ministre Biron, mais une loi serait dangereuse et risquerait de remettre en question le droit des femmes à l’avortement et à leur autonomie.

Le seul dépôt d’une loi comme tel relancerait le débat et permettrait à ceux qui sont contre l’avortement d’en revendiquer l’interdiction totale ou modulée selon certaines circonstances. Aussitôt adoptée, une telle loi serait contestée devant les tribunaux, et peut-être même par le gouvernement fédéral, qui y verrait une atteinte à son champ de compétence. Alors que, depuis 1989, il n’y a aucun obstacle juridique à l’avortement.

D’ailleurs, rappelons qu’une nouvelle tentative de ramener l’avortement dans le giron du droit criminel est en cours à Ottawa par un projet de loi privé à la Chambre des communes. Depuis trente ans, c’est plus de quarante projets de loi qui ont été déposés à la Chambre des communes pour recriminaliser l’avortement.

Le droit des femmes à l’égalité est toujours fragile, il faut éviter de le fragiliser encore plus. Comme la protection de la langue française ou comme la protection de la laïcité, l’égalité des sexes est une valeur qui ne fait pas l’unanimité.

Dans ce cas-ci, « le mieux est le mortel ennemi du bien ». Juridiquement, l’avortement se porte très bien !

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