L’industrie prolifique et pas très glamour de la pornographie a généré en 2018 – accrochez-vous bien! – 60 milliards de dollars. Son épicentre se trouve d’ailleurs au Québec, dans des bureaux très corpos, sur Décarie. Le Verbe a voulu donner un visage humain au fléau de la pornographie –qui touche probablement vos proches, si ce n’est pas vous – par des témoignages qui mettent en lumière les chemins parcourus pour se libérer, pas à pas, de cette réalité construite d’irréel.
La pornographie, c’est mal. Si l’affirmation parait discutable pour certains, rares sont les professionnels – sexologues, thérapeutes, psychiatres – qui vous diront n’avoir jamais rencontré au moins un client dont la consommation de pornographie affecte la vie conjugale, affective et sexuelle, ou pollue l’espace mental.
Le phénomène pornographique touche tout le monde. Il s’agit d’être lucide sans être fataliste. Si la porno est loin d’être banale, ses effets ne sont pas insurmontables. Il s’agit de lui faire la peau sans tomber dans les rouages infernaux de la culpabilité. Pour s’en libérer, la route n’est pas sans embuches, surtout lorsque la consommation est récurrente et prend les traits d’une dépendance.
Julien et Océane
Sortir le diable des beaux discours
«Il faut vraiment que je lui en parle», se dit Julien en se réveillant un matin, alors qu’il fréquente Océane (noms fictifs). «Parce que c’est une des seules choses qui pourraient la faire changer d’avis sur notre amour.» Tous deux ont 16 ans à l’époque. Tout de suite, il veut poser leur relation sur des bases solides, faire preuve d’honnêteté. L’intention est bonne, mais il «n’a aucun talent pour s’expliquer». Océane vit un choc. Elle connait très peu la réalité de la dépendance à la pornographie. Aller chercher de l’information et des explications scientifiques lui a permis de faire évoluer sa vision des choses. Ce qu’elle comprend d’abord comme un «mauvais plaisir» relève plutôt chez Julien de la dépendance. Cette connaissance nouvellement acquise les aide à prendre le taureau par les cornes.
«Enlevez le démon de là-dedans!» s’exclame Julien. Il a entendu trop souvent des discours moralisateurs sans aucune issue, sans ouverture pour se confier et être accompagné. Il ne s’agit pas de banaliser les impacts néfastes de la pornographie, mais d’ouvrir une porte d’espérance pour sortir du cercle de culpabilité parfois pernicieux qu’elle suscite. «Tu te sens anxieux parce que tu as consommé. Donc, tu recommences à consommer parce que tu te sens anxieux d’avoir consommé.» Sortir de ce cercle vicieux est essentiel. «Vouloir s’en sortir», c’est ce qu’il y a de plus important. Mieux vaut garder son énergie pour combattre sa dépendance à la pornographie que de la dilapider dans la culpabilité, un puits sans fond. Être présent sur les deux fronts en même temps n’est pas possible.
Il vaut mieux vivre le combat au jour le jour que viser l’arrêt immédiat et définitif. Plus de petites victoires, moins de grosses déceptions. C’est ce qu’a constaté Julien à travers son expérience. Le couple s’est marié il y a quelques années. Julien et Océane sont les parents d’un petit garçon. Le combat contre la pornographie s’arrime au reste, il ne peut pas prendre toute la place. Il s’agit de creuser à la racine de ses émotions pour comprendre le phénomène dans sa globalité. Julien est un tout. Il travaille non seulement sur sa dépendance à la pornographie, mais aussi sur la gestion de ses émotions, comme la colère ou la frustration qu’il peut ressentir parfois quand il revient du travail. C’est là qu’il est le plus vulnérable.
Le bon engrenage
Le plus grand piège? «Régler ton problème tout seul.»
S’épier? Se surveiller? Certainement pas! Une histoire à péter les plombs. Le fait d’en parler et de voir des progrès favorise une confiance en l’autre qui nourrit un «bon engrenage». Julien croit toutefois qu’il est également pertinent de trouver une autre personne vers qui se tourner pour en parler, pour ne pas tout mettre sur les épaules de sa femme. «La personne qui peut faire le plus de changement là-dedans, c’est lui», conclut Océane.
Claire
Tombée dedans quand elle était petite
«Tu retrouves tout: sexisme, racisme, misogynie. Tout va à l’encontre de mes valeurs.» Claire, 23 ans, consomme de la pornographie depuis une douzaine d’années. Après plusieurs vaines tentatives de s’en sortir, découragée, elle décide de consulter un psychiatre au début de l’âge adulte. Cette rencontre la fait réfléchir à ce qui l’a fait tomber dans la marmite si jeune. Avant, elle s’accusait et maudissait le «moment fatidique» où elle a vu ces images qui la dégoutent. Elle aurait voulu tout effacer. Avec le recul, elle se rend bien compte que ce serait sans doute arrivé de toute façon.
Pour elle, le sujet est peu abordé entre femmes. Pourtant, beaucoup ont le même combat. Les quelques fois où elle aborde le sujet avec d’autres, on lui répond: «Moi aussi…»
«Tu ne t’occupes de personne, personne ne s’occupe de toi»
Claire est croyante et aspire à se rapprocher de Dieu. La pornographie est comme une barrière entre elle et lui. «C’est une échappatoire: tant que je regarde de la porno, je ne vis pas pleinement ma vie avec ses difficultés, ses joies, parce que je m’en échappe. C’est une façon de ne pas vivre pleinement mes émotions.»
Elle voudrait se marier, avoir des enfants, une vie de famille. Tout le contraire des représentations véhiculées par l’industrie du X. «La pornographie, c’est l’indépendance. Tu fais ton affaire toute seule dans ton coin. Tu ne t’occupes de personne, personne ne s’occupe de toi.»
Claire veut croitre intérieurement et s’éduquer. Le fait de laisser entrer ces messages, même inconsciemment, lui semble être une barrière. «Ça m’empêche d’avoir une réflexion plus profonde, de grandir intellectuellement.» Ses propos sont étayés par la littérature scientifique sur le sujet.
La porno ne fait pas partie d’elle, mais elle lui colle à la peau. Le cheminement est douloureux.
Samuel
Un «comportement de drogué»
Le passage de l’adolescence est complexe. Tous les témoins s’accordent sur la question, «mais ce n’est pas là où l’impact a été le plus fort», explique Samuel, 24 ans. «C’est plutôt quand je suis tombé amoureux.»
Issu d’une famille où la sexualité est un tabou, Samuel comprend pour la première fois qu’il est un être «sexué, avec des désirs», les yeux rivés sur la porno. Une super bataille qui s’annonce.
C’est son «comportement de drogué» quant à sa consommation de matériel pornographique qui lui met la puce à l’oreille. À l’université, il entame une relation amoureuse et découvre la sexualité vécue à deux pour la première fois. Très vite, sa copine comprend le déséquilibre de Samuel, dont l’affection s’exprime de manière étroite. C’est tout ou rien, «un sens complet de l’amour disparu, grillé».
Après deux ans, rupture douloureuse. Il sait bien que quelque chose cloche, mais n’arrive alors pas à mettre le doigt dessus.
«En fait, c’est la peur de reconnaitre que tu peux changer», m’explique Samuel. Six mois et une dépression plus tard se produit un déclic. Il vit un retour marquant vers la foi, une soif fulgurante de rencontrer Dieu. Il déménage, change sa vie et rencontre une autre fille. Si la relation ne s’est pas poursuivie, elle lui a permis de mieux connaitre la chasteté. Une transformation s’opère. Il ressent le désir profond d’aller vers quelque chose de mieux.
«Ce qui m’a délivré, c’est d’avoir un objectif. Je me lève le matin et je veux ressembler à cette personne. Je veux devenir ce Samuel que je ne connais pas encore, mais que je sais meilleur.»
Se libérer de la spirale
Comment en arrive-t-il là? C’est en répondant à la question que Samuel pense gagner, petit à petit, du terrain. Dans son cas, c’est l’ennui, le manque d’activité physique et le fait de «rester dans sa chambre à ne rien foutre». Il dit aussi adieu aux réseaux sociaux. «Une fois que j’ai identifié les causes de mes soucis, je les ai virées de ma vie.»
Certes, des rechutes se produisent. Mais rien à voir avec avant. Il se connait: «Il faut être très humble, il n’y a pas d’acquis. Que l’on soit en couple ou pas», précise-t-il.
Il ne s’agit pas seulement d’apprendre à détourner son regard. Pour Samuel, il faut apprendre à «regarder Jésus dans l’autre». Parce que sa sexualité est certes salie par la pornographie, mais c’est par ce regard qu’il pourra la redécouvrir sainement. Un travail de longue haleine.
«Éteins ton téléphone et ouvre un livre. Ça te sauvera la vie», qu’il me dit en souriant.
Délivre-nous du mal
Tous les témoins accordent une place au sacrement du pardon dans leur cheminement de libération.
Samuel s’ouvre, dix ans plus tard: «Parce que, et c’est mon erreur, je n’arrivais pas à me dire que je pouvais aller en parler tant que je n’avais pas fait un vrai effort pour changer, il n’y avait pas eu de vrais résultats.» Or, après cette fameuse première confession, il ne se sent pas délivré. Il lui faudra plusieurs autres rencontres pour commencer à sentir le poids s’alléger.
Pour leur part, Océane et Julien se sont vite tournés vers ce sacrement et y ont vu des fruits concrets: «Dans les semaines qui suivent, c’est beaucoup plus facile. Un vrai nouveau départ chaque fois.»
Claire confie aller se confesser par période, quand elle se sent d’aplomb pour mener le combat et dépasser son découragement.
Bref, pas besoin d’être performant dans son combat pour gouter au renouveau et faire, pas à pas, la peau à cette porno qui, à long terme, met le moral et la libido dans les chaussettes! «À chaque jour suffit sa peine», nous dit l’évangile de Matthieu (6,43), ouvrant ainsi une porte d’espérance vers une liberté plus grande, en étant désenglué de cette industrie mastodonte. Non, la porno n’aura pas le dernier mot.
Des outils concrets pour s’aider à être plus libre:
– Fight the New Drug, pour s’informer des impacts de la pornographie et de son fonctionnement dans le cerveau. Un bel outil pour comprendre le caractère addictif de la porno.
– L’application mobile Fortify, conçue pour se libérer, étape par étape, de la pornographie en offrant des outils concrets et des explications qui permettent de cheminer progressivement.
– Le parcours numérique Se libérer de la pornographie, par la sexologue Thérèse Hargot, s’adresse aux consommateurs, et aussi à leurs proches ou à ceux qui les accompagnent. Ce parcours sur 40 jours encourage à se libérer de la pornographie et donne quelques pistes de réflexions et d’actions.
Petit traité neurobiologique de la pornographie
Regarder une image pornographique libère dans le cerveau les mêmes hormones que tous les autres plaisirs et agit sur les mêmes neurotransmetteurs. Cependant, la quantité d’hormones libérées est telle que cette hyperstimulation trace dans le cerveau des circuits difficiles à effacer et dérègle le système de récompense. À la longue, l’effet est le même que dans tout type de dépendance (alcool, cigarette, drogue, etc.). Sont libérées: – endorphines: Relaxation et apaisement du stress. – sérotonine: Sensation de plaisir et de satisfaction. La sérotonine est essentielle à la survie de l’espèce humaine, car elle permet la motivation et évite que nous nous laissions, par exemple, mourir de faim. Elle devient pernicieuse dans le contexte pornographique et dans tous les excès, en général. – ocytocine: Liée à l’orgasme (contractions), à l’accouchement et à l’attachement, l’ocytocine peut nous lier à des images pornographiques irréelles, impersonnelles et sans notion d’affectivité. – dopamine: Procurant de la motivation et poussant à la répétition d’un comportement, bon comme mauvais. C’est aussi par la dopamine que le cerveau construit la mémoire. Impacts majeurs d’une consommation de pornographie régulière ou à long terme: – modification du cerveau; – incapacité potentielle à se sentir bien et épanoui dans des relations sexuelles avec un partenaire réel; – dysfonction érectile et difficulté à atteindre l’orgasme; – dépression et anxiété; – objectivation croissante de l’autre dans les représentations mentales et les pratiques sexuelles; – investissement, au sens psychologique, de la sexualité, qui devient un mécanisme de régulation émotionnelle pour réduire l’angoisse et le sentiment de solitude; – imaginaire érotique appauvri.
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