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par Jean-Baptiste Noé
Entre annonces fracassantes et prévisions erronées, nombreux sont les experts atteints de pensée auto-réalisatrice : réaliser les analyses non pas en fonction de ce qui pourrait se passer, mais en fonction de ce que l’on aimerait qu’il se passe. Les récentes élections en Grèce, Espagne et Turquie l’ont encore démontré.
On se souvient de Donald Trump, qui ne pouvait pas être élu, et du Brexit, qui ne pouvait pas arriver. C’était surtout que nombreux étaient les commentateurs qui ne voulaient pas que cela arrive. Et qui ont projeté sur la réalité leurs propres pensées. Aujourd’hui, beaucoup continuent à expliquer ce vote par les trolls russes sur les réseaux sociaux et le «complotisme» : c’est parce qu’ils ont été influencés par de faux comptes russes que les Américains ont voté pour Trump et les Anglais pour la sortie de l’UE. Une façon de ne pas prendre la peine d’analyser les élections et les raisons du vote. Une justification bien commode, qui refuse de voir la situation telle qu’elle est.
Grèce : victoire des conservateurs
Les élections en Grèce ont encore été victimes de cette pensée auto-réalisatrice. Il était entendu que le parti Nouvelle démocratie, du Premier ministre actuel Kyriakos Mitsotakis ne devait pas gagner. Non pas que son bilan soit mauvais, mais parce qu’il est mal perçu par une grande partie des commentateurs. Premier ministre depuis 2019, il a réussi à redresser un pays à la dérive. La Grèce n’est pas encore sortie d’affaires, mais le pays va mieux. Chômage et dette diminuent, le tourisme repart, les infrastructures sont rénovées. Il y a encore beaucoup à faire, mais le bilan de Mitsotakis est globalement positif.
Mais en Europe, c’est Alexis Tsipras et son programme de gauche radicale qui a le vent en poupe. Premier ministre de 2015 à 2019, il a été battu par les urnes alors même que sa cote de popularité était grande en Europe. Discours habituel de rupture avec le capitalisme, de lutte contre les riches et les inégalités. Yanis Varoufakis, son ministre de l’Économie de janvier à juillet 2015, dispose d’une aura et d’une renommée bien plus importante à l’étranger qu’en Grèce. Idole des cercles anticapitaliste, il a pourtant subi une sévère défaite lors de ces législatives, son parti n’ayant pas dépassé les 2%.
Les commentateurs voyaient Tsipras devant Mitsotakis. Il n’en fut rien : le premier a fait 20% et 71 députés sur 300 ; le second 40% et 145 députés. Cette victoire n’a surpris que ceux qui croient plus en leurs rêves qu’aux réalités du pays. Mitsotakis a par ailleurs réalisé de grands scores dans les villes grecques ainsi que dans la jeunesse puisqu’un tiers des 17-24 ont voté pour lui. La réalité des urnes est donc très loin de l’image voulue par nombre de commentateurs. Tsipras est battu pour la seconde fois, preuve que les Grecs ne veulent pas des solutions de ce Mélenchon hellène.
Mitsotakis n’ayant pas obtenu la majorité absolue, de nouvelles élections auront lieu le 25 juin. La loi électorale grecque fait que celui qui arrivera en tête aura 50 sièges supplémentaires qui lui seront attribués, ce qui lui assure une majorité absolue. Terrible démocratie, qui ne répond pas toujours à ce que voudraient les commentateurs.
Turquie : victoire de Erdogan
En Turquie aussi, Erdogan devait être battu. Comme en Grèce, les sondages et les commentateurs annonçaient la victoire de son opposant. Parce qu’il est nationaliste, qu’il défend l’islam et le retour de la Turquie sur la scène internationale, Erdogan ne plait pas. C’est pourtant lui qui est arrivé en tête au premier tour et qui a gagné au second. Certes, son score est serré : 52%, mais après 20 ans de pouvoir c’est malgré tout une belle victoire.
La presse française et européenne s’est engagée contre Erdogan, confondant son rôle d’information avec un rôle de prescription. Il est vrai que la diaspora turque est nombreuse en Europe, mais on peut se demander dans quelle mesure ces attaques contre Erdogan ne contribuent pas à favoriser le vote en sa faveur. Près de 60% des Turcs vivant en Europe ont voté pour lui, des chiffres qui peuvent monter à plus de 70% dans certaines villes européennes. Ce qui confirme que les diasporas musulmanes votent davantage pour le candidat nationaliste et islamiste que les populations musulmanes dans leur pays. Il faudrait faire une analyse fine, intelligente et raisonnée de ce fait et ne pas se limiter à des banalités sur la laïcité et les valeurs de la République. Cette donnée électorale est un fait qui démontre les limites du discours républicain.
On a pu lire que la victoire de Erdogan était une défaite de la démocratie. On voit mal pourquoi. Les Turcs ont été libres de choisir leur candidat et une majorité a choisi Erdogan. Certes les médias d’État ont fait campagne pour lui, mais est-ce si différent de ce que certains pays d’Europe peuvent connaitre ? Les médias ont bien fait campagne contre le Brexit ou pour la constitution européenne et les électeurs ont majoritairement choisi le vote contraire. Quant aux fraudes, si elles sont possibles, elles n’ont pas été prouvées.
Il serait plus juste de reconnaitre qu’Erdogan dispose encore d’une solide base électorale et que beaucoup de Turcs, sans omettre les problèmes du pays, lui savent gré d’avoir garanti la stabilité du pays dans une région qui connait des problèmes majeurs. Nombreux sont ceux, aussi, qui ont refusé de porter au pouvoir un alévi, appartenance revendiquée par Kiliçdaroglu. Erdogan est toujours là, fort et installé, et les chancelleries européennes font devoir faire avec, comme elles vont devoir prendre en compte le fait que l’AKP dispose de racines profondes en Turquie et en Europe. Même si Erdogan venait à partir, ses idées et ses hommes seront toujours là.
Espagne : Sanchez vaincu
La troisième surprise est venue d’Espagne où le parti de Pedro Sanchez a été très lourdement vaincu, tant aux régionales qu’aux municipales. Plusieurs régions et villes historiques de gauche (comme Séville) sont passées à droite. Une victoire du PP et de Vox qui a conduit Sanchez à convoquer des législatives anticipées, qui se tiendront le 23 juillet. Ses jours sont désormais comptés et, sauf surprise, l’Espagne devrait avoir un nouveau gouvernement à la fin de l’été.
Cette victoire de la droite espagnole mérite là aussi une analyse plus approfondie que des commentaires superficiels. Le Parti populaire (PP) a réussi à se renouveler en profondeur, notamment en changeant sa direction et ses cadres. Dans les villes et les régions qu’il gouverne, il mène une politique de rupture par rapport au socialisme, et cela fonctionne. Madrid et la communauté de Madrid sont aujourd’hui la première zone économique d’Espagne. Madrid est une ville silencieuse, dont on parle peu en France. Elle a pourtant dépassé Barcelone en termes de dynamisme économique. L’activité économique et culturelle y est intense, la population qui y vit apprécie d’y être. Avec 3,2 millions d’habitants pour Madrid et 6,7 millions pour la communauté de Madrid, la capitale forme un ensemble homogène, dense et de poids. C’est plus que Lyon et Marseille et cela approche Paris et l’Île-de-France. Madrid et sa communauté sont pourtant dirigés par deux personnalités de droite, José-Luis Martinez à la mairie et Isabel Diaz Ayuso à la Communauté. Les deux sont très appréciés et les deux sont réélus. Voilà qui bat en brèche la thèse ancrée dans la droite française que les métropoles sont structurellement conçues pour voter à gauche.
Séville (700 000 habitants) est elle aussi passée à droite et l’Andalousie, bastion de la gauche jusqu’aux dernières élections, est restée au PP et à Vox. Une victoire du PP et une très lourde défaite du parti socialiste espagnol dont il a été peu question, l’inverse aurait pourtant été largement commenté. Là aussi, c’est un résultat électoral que beaucoup ne veulent pas voir. Selon toute vraisemblance, le PP devrait revenir au pouvoir en juillet. Reste à voir quelle politique il appliquera et s’il saura s’inspirer de l’exemple de Madrid dont Isabel Diaz Ayuso a mené campagne sur le thème de la liberté : liberté économique, liberté de circulation (elle s’était opposée aux restrictions du Covid). Pour un modèle français qui se cherche un souffle, la Grèce et l’Espagne pourraient être source d’inspiration.
source : Institut des Libertés
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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