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Dans le texte qui suit Vijay Prashad commente les déclarations officielles formulées lors du G7 à Hiroshima, le 19 et 21 mai derniers. Il note quelques rappels historiques importants et souligne au sujet de ce sommet entre sept puissances : «Il s’agit d’un organe non démocratique qui utilise son pouvoir historique pour imposer ses intérêts étroits à un monde en proie à une série de dilemmes plus urgents».
Arrêt sur Info
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par Vijay Prashad
Lors du sommet du Groupe des Sept (G7) de mai 2023, les dirigeants du Canada, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon, du Royaume-Uni et des États-Unis ont visité le Musée du Mémorial de la paix d’Hiroshima, situé non loin de l’endroit où se tenait la réunion. Ne pas le faire aurait été le signe d’un immense manque de respect. Malgré les nombreuses demandes d’excuses adressées aux États-Unis pour avoir largué deux bombes atomiques sur des populations civiles en 1945, le président américain Joe Biden s’est abstenu. Ce dernier s’est contenté d’une phrase dans le livre d’or du Mémorial : «Que les témoignages exposés dans ce musée nous rappellent à tous notre obligation de construire un avenir de paix».
Les excuses, amplifiées par les tensions de notre époque, pourraient jouer un rôle sociologique et politique intéressant. Des excuses suggéreraient que les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945 étaient une erreur et que, par conséquent, les États-Unis n’ont pas acquis un ascendant moral sur la Japon lorsqu’ils ont mis fin à la guerre. Des excuses contrediraient également la décision des États-Unis, soutenue pleinement par d’autres puissances occidentales depuis 70 ans, de maintenir une présence militaire le long de la côte asiatique de l’océan Pacifique (présence établie grâce aux bombardements atomiques de 1945) et d’utiliser cette force militaire pour menacer la Chine avec des armes de destruction massive amassées dans des bases et des navires à proximité des eaux territoriales chinoises. Il est impossible d’imaginer un «avenir de paix» si les États-Unis continuent de maintenir leur structure militaire agressive du Japon à l’Australie, dans l’intention explicite de soumettre la Chine.
Le Premier ministre britannique Rishi Sunak a été chargé de mettre en garde la Chine contre sa «coercition économique» en dévoilant la Plateforme de coordination du G7 sur la coercition économique, destinée à suivre les activités commerciales chinoises. «La plateforme traitera de l’utilisation croissante et pernicieuse de mesures économiques coercitives visant à interférer dans les affaires souveraines d’autres États», a déclaré M. Sunak. Ce langage bizarre ne témoigne ni d’une prise de conscience de la longue histoire du colonialisme brutal de l’Occident, ni d’une reconnaissance des structures néocoloniales – y compris l’état d’endettement permanent imposé par le Fonds monétaire international (FMI) – qui sont coercitives par définition. Néanmoins, Sunak, Biden et les autres ont affiché une certitude pleine de suffisance en se targuant d’un statut moral inaltéré et en se donnant le droit d’attaquer la Chine pour ses accords commerciaux. Ces dirigeants suggèrent qu’il est parfaitement acceptable pour le FMI – au nom des États du G7 – d’exiger des «conditionnalité» de la part des pays criblés de dettes, tout en interdisant à la Chine de négocier lorsqu’elle prête de l’argent.
Il est intéressant de noter que la déclaration finale du G7 ne mentionne pas la Chine nommément, mais se contente de faire écho aux préoccupations concernant la «coercition économique». L’expression «tous les pays», et non la Chine en particulier, témoigne d’un manque d’unité au sein du groupe. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, par exemple, a profité de son discours au G7 pour mettre en garde les États-Unis contre leur recours aux subventions industrielles : «Nous devons établir un environnement commercial clair et prévisible à nos industries de technologies propres. Le point de départ est la transparence au sein du G7 sur la manière dont nous soutenons l’industrie manufacturière».
Les gouvernements et les groupes de réflexion occidentaux se sont plaints du fait que les prêts chinois au développement ne contiennent pas les clauses du Club de Paris. Le Club de Paris est un organisme de créanciers bilatéraux officiels qui a été créé en 1956 afin de fournir des financements aux pays pauvres qui ont été contrôlés par les procédures du FMI, stipulant qu’ils doivent s’engager à mener une série de réformes politiques et économiques afin d’obtenir des fonds. Ces dernières années, le montant des prêts accordés par l’intermédiaire du Club de Paris a diminué, même si l’influence de l’organisme et l’estime que suscitent ses règles strictes demeurent. De nombreux prêts chinois – en particulier dans le cadre de l’initiative «Belt and Road» (les Nouvelles routes de la soie) – n’appliquent pas les clauses du Club de Paris, car, comme l’affirment les professeurs Huang Meibo et Niu Dongfang, cela reviendrait à introduire en douce les conditionnalités du FMI et du Club de Paris dans les accords de prêt. «Tous les pays, écrivent-ils, devraient respecter le droit des autres pays à faire leurs propres choix, au lieu de considérer les règles du Club de Paris comme des normes universelles qui doivent être observées par tous». L’allégation de «coercition économique» ne tient pas s’il est établi que les prêteurs chinois refusent d’imposer les clauses du Club de Paris.
Les dirigeants du G7 se tiennent devant les caméras en prétendant être les représentants du monde entier dont les opinions reflètent celles de toute l’humanité. Il est intéressant de noter que les pays du G7 ne représentent que 10% de la population mondiale et que leur produit intérieur brut (PIB) cumulé ne représente que 27% du PIB mondial. Il s’agit d’États démographiquement et économiquement de plus en plus marginalisés qui veulent utiliser leur autorité, en partie assurée par leur puissance militaire, pour contrôler l’ordre mondial. Une si petite partie de la population humaine ne devrait pas être autorisée à parler en notre nom à tous, car ses activités et ses intérêts ne sont pas universels et on ne saurait lui faire confiance pour mettre de côté ses objectifs propres en faveur des besoins de l’humanité.
En effet, l’ordre du jour du G7 a été clairement défini dès son origine, d’abord sous la forme du Library Group (groupe de la bibliothèque) en mars 1973, puis lors du premier sommet du G6 en France en novembre 1975. Le Library Group a été créé par le secrétaire au Trésor américain George Schultz, qui a réuni dans la bibliothèque de la Maison-Blanche les ministres des Finances de France (Valéry Giscard d’Estaing, qui deviendra président de la République française en 1974), d’Allemagne de l’Ouest (Helmut Schmidt) et du Royaume-Uni (Anthony Barber) pour tenir des consultations privées entre les alliés atlantiques. Au Château de Rambouillet en 1975, le G6 (incluant les représentants de l’Italie et du Japon) se réunit dans le contexte de «l’arme du pétrole» brandie par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 1973 et de l’adoption du Nouvel ordre économique international aux Nations unies en 1974. Schmidt, qui a été nommé chancelier allemand un an après la formation du Library Group, a réfléchi à ces développements : «Il est souhaitable de déclarer explicitement à l’opinion publique que la récession mondiale actuelle n’est pas une occasion particulièrement favorable à l’élaboration d’un nouvel ordre économique conformément à certains documents de l’ONU». Schmidt voulait mettre fin au «dirigisme international» et à la capacité des États à exercer leur souveraineté économique.
Le Nouvel ordre économique international devait être stoppé dans son élan, a déclaré M. Schmidt, car laisser les décisions relatives à l’économie mondiale «à des fonctionnaires quelque part en Afrique ou dans une capitale asiatique n’est pas une bonne idée». Plutôt que de permettre aux dirigeants africains et asiatiques de s’exprimer sur des questions mondiales importantes, le Premier ministre britannique Harold Wilson a suggéré qu’il serait préférable que les décisions importantes soient prises par «le type de personnes assises autour de cette table».
Les attitudes affichées par Schmidt et Wilson en privé perdurent encore de nos jours, malgré des changements spectaculaires dans l’ordre mondial. Au cours de la première décennie du XXIe siècle, les États-Unis, qui commençaient à se considérer comme une puissance mondiale inégalée, sont allés trop loin sur le plan militaire dans le cadre de leur guerre contre le terrorisme et sur le plan économique avec leur système bancaire non réglementé. La guerre contre l’Irak (2003) et la crise du crédit (2007) ont menacé la vitalité de l’ordre mondial géré par les États-Unis. Pendant les jours les plus sombres de la crise du crédit, les États du G8, qui incluaient alors la Russie, ont demandé aux pays du Sud détenteurs d’excédents (en particulier la Chine, l’Inde et l’Indonésie) de leur venir en aide. En janvier 2008, lors d’une réunion à New Delhi (Inde), le président français Nicolas Sarkozy a déclaré aux chefs d’entreprise : «Au sommet du G8, huit pays se réunissent pendant deux jours et demi et, le troisième jour, invitent cinq pays en développement – le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique et l’Afrique du Sud – pour des discussions au cours du déjeuner. C’est une injustice pour les 2,5 milliards d’habitants de ces pays. Pourquoi ce traitement de troisième classe ? Je souhaite que le prochain sommet du G8 soit transformé en sommet du G13».
Pendant cette période de faiblesse de l’Occident, il a été question que le G7 soit fermé et que le G20, qui a tenu son premier sommet en 2008 à Washington, lui succède. Les déclarations de M. Sarkozy à Delhi ont fait les gros titres, mais sans aucune conséquence politique. En octobre 2010, l’ancien Premier ministre français Michel Rocard a déclaré à l’ambassadeur des États-Unis en France Craig R. Stapleton : «Nous avons besoin d’un véhicule qui nous permette de trouver ensemble des solutions à ces défis [la croissance de la Chine et de l’Inde], de sorte que lorsque ces monstres arriveront dans dix ans, nous soyons en mesure de les affronter».
Les «monstres» sont maintenant à la porte, et les États-Unis ont rassemblé leurs arsenaux économiques, diplomatiques et militaires, y compris le G7, pour les étouffer. Le G7 est un organe non démocratique qui utilise son pouvoir historique pour imposer ses intérêts particuliers à un monde en proie à une série de dilemmes plus urgents. Il est temps de fermer le G7, ou du moins de l’empêcher d’imposer sa volonté à l’ordre international.
Dans son discours radiodiffusé du 9 août 1945, le président américain Harry Truman a déclaré : «Le monde entier remarquera que la première bombe atomique a été lâchée sur Hiroshima, une base militaire, afin d’éviter, dans la mesure du possible, la mort de civils lors de la première attaque». En réalité, Hiroshima n’était pas une «base militaire» : c’était ce que le secrétaire américain à la guerre, Henry Stimson, appelait une «cible vierge», un endroit qui avait échappé aux bombardements américains sur le Japon et qui pouvait donc servir de terrain d’essai pour la bombe atomique. Dans son journal, Stimson a consigné une conversation avec Truman, datée de juin 1945, sur les raisons qui l’ont poussé à cibler cette ville. Lorsqu’il dit à Truman qu’il «craint un peu qu’avant que nous soyons prêts, l’armée de l’air n’ait tellement bombardé le Japon que la nouvelle arme [la bombe atomique] n’ait pas le temps de montrer sa force», le président «rit et dit qu’il comprend».
Sadako Sasaki, âgée de deux ans, était l’une des 350 000 personnes vivant à Hiroshima au moment des bombardements. Elle est décédée dix ans plus tard d’un cancer lié à l’exposition aux radiations de la bombe. Le poète turc Nâzım Hikmet a été ému par son histoire et a écrit un poème contre la guerre et la violence. Les mots de Hikmet devraient être un avertissement pour Biden qui rit de la possibilité d’un nouveau conflit militaire contre la Chine :
C’est moi qui frappe aux portes,
Aux portes, l’une après l’autre.
Je suis invisible à vos yeux.
Les morts sont invisibles.
Morte à Hiroshima
Il y a plus de dix ans,
Je suis une petite fille de sept ans.
Les enfants morts ne grandissent pas.
Mes cheveux tout d’abord ont pris feu,
Mes yeux ont brûlé, se sont calcinés.
Soudain je fus réduite en une poignée de cendres,
Mes cendres se sont éparpillées au vent.
Pour ce qui est de moi,
Je ne vous demande rien :
Il ne saurait manger, même des bonbons,
L’enfant qui comme du papier a brûlé.
Je frappe à votre porte, oncle, tante :
Une signature. Que l’on ne tue pas les enfants
Et qu’ils puissent aussi manger des bonbons.
source : Tricontinental : Institute for Social Research via Arrêt sur info
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