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par Al Hachem
En y regardant de plus près, l’évaluation de Poutine sur la Russie est l’une des questions les plus controversées au sein du mouvement ouvrier. On paie ici le manque d’approfondissement, à travers les catégories marxistes, sur la crise et l’implosion de l’URSS. Après une première phase, immédiatement après 1991, de conférences, débats, études, la question est archivée et disparaît de la scène politico-culturelle. Mais pire encore s’est produit pour l’étude de la Russie post-soviétique, le fait que la gauche a souvent et volontairement assumé sans critique les récits et les catégories interprétatives de la démocratie libérale. Dans plusieurs cas, le régime social russe est qualifié de dominé par les oligarques, sans continuité entre la phase de la présidence Eltsine et les suivantes de la présidence Poutine. Il n’y a pas non plus de tentative d’entrer dans le fond de la relation dialectique entre la structure socio-économique et la superstructure politique dans la Russie d’aujourd’hui. Il n’y a pas non plus de tentative d’enquêter avec les lentilles de Marx et Lénine, sur le système réel de la politique russe, le processus de médiations et les équilibres internes du groupe dirigeant actuel de la Fédération de Russie.
Ayant abandonné le terrain de l’analyse marxiste, on recycle la gelée toute faite des apologistes de la démocratie libérale, selon laquelle la Russie est un pays impérialiste gouverné par un autocrate animé par l’ambition néo-tsariste de reconstruire l’Empire…
Pour une évaluation non impromptue du rôle de Vladimir Poutine dans le processus de l’histoire russe et mondiale, il faut une prémisse méthodologique, élémentaire mais souvent négligée, qui s’applique également à tous les dirigeants des pays attaqués ces trente dernières années par l’impérialisme américain, de Saddam Hussein à Slobodan Milošević et Muammar Kadhafi : l’étalon ne peut être absolu et déshistoricisé, c’est l’Idée, ou le Mythe du grand, noble et pur leadership du peuple.
Aujourd’hui, ex post, onze ans après l’agression de l’Occident et la lâche exécution de son chef, la Libye, en plein chaos politique, économique, social, dévastée par des affrontements tribaux, révèle avec des preuves irréfutables à quel point la direction du «dictateur» Kadhafi était historiquement progressiste, elle qui avait racheté le pays de la domination coloniale et construit un ordre social et politique dans lequel la population vivait ensemble dans la dignité et jouissait d’un haut niveau de bien-être.
Pour évaluer les vingt années de rôle politique de l’actuel président russe, les communistes, les marxistes et tous ceux qui, avec honnêteté intellectuelle, considèrent les affaires humaines comme un processus historique complexe et non unilinéaire d’émancipation et de libération, devraient se demander si, en les conditions données historiques, dans la «vérité effective» machiavélique, et non dans une situation idéale imaginaire, la ligne directrice de l’action politique mise en œuvre a, dans son ensemble, un caractère progressif ou régressif. La Russie d’aujourd’hui ne peut être comparée à l’Union soviétique d’avant Gorbatchev qui, malgré les limites du «socialisme réel», jouissait du plein emploi, d’une protection sociale étendue et un rapport (aujourd’hui cela semble incroyable !) entre revenu minimum et maximum d’environ 1 à 3. La Russie des débuts de Poutine doit être comparée à la Russie ruinée, humiliée et offensée et aux Chinois des années 90, en proie aux raids des grands du capital occidental et des «oligarques» qui lui sont liés – un nouveau type de bourgeoisie compradore – qui avaient impunément volé en toute impunité la grande richesse sociale acquise en 70 ans par le travail du peuple soviétique. Un pays en miettes, qui avec sa structure étatique fédérale, risquait comme en Yougoslavie la balkanisation, dont les tentatives de sécession tchétchène et daghestanaise (septembre 1999) étaient des signes très concrets et inquiétants.
L’ascension de Poutine à la tête du pays, avec l’éviction d’Eltsine, en gants blancs et aux ponts d’or, marque un tournant important, arrête l’effondrement, entame une reconstruction non seulement économique et sociale mais aussi culturelle. Mais il n’y a ni le parti bolchévique ni la révolution socialiste derrière lui. Le «Prince» (pour revenir à Machiavel) doit opérer dans la situation historique donnée, il doit faire, comme on dit, le pain avec la farine dont il dispose, avec toutes les médiations et compromis nécessaires avec la bourgeoisie compradorede des oligarques, avec l’idéologie néolibérale dominante qui avait guidé les «réformateurs» dans la démolition de l’économie soviétique mais aussi avec l’Église orthodoxe et les différentes tendances d’une culture nationaliste qui avaient comblé le vide laissé par l’effondrement politique et idéologique du parti communiste soumis dans les années de la perestroïka à un bombardement concentrique qui a rendu ses messages schizophréniques de plus en plus incompréhensibles et éloignés de l’ouïe de la population.
La figure de Poutine émerge, avec une direction politique – qui au fil du temps devient de plus en plus claire et définie – Il faut racheter la Russie de la dépendance de l’Occident et de ses objectifs qui tendent à la réduire et à la maintenir en conditions semi-coloniales – Le chercheur propose dans un rapide résumé plusieurs points de réflexion sur le rôle assumé par Poutine vis-à-vis des oligarques.
La question nationale russe
Pour contextualiser et comprendre l’actualité, la date charnière n’est pas 2014, avec le coup d’État en Ukraine dit Euro-maïdan qui est aussi un tournant essentiel mais pas qu’autant 1991, la désintégration de l’URSS, «la plus grande catastrophe du XXe siècle», comme le dit Poutine.
Il y a alors eu le plus grand bouleversement sur la carte politique des États européens comme ce qui s’est passé en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais à la différence qu’alors étaient définis dans les conférences internationales, de Yalta à Potsdam, l’équilibre entre les puissances victorieuses. Il y a eu alors une reconnaissance mutuelle, l’ONU a été établie avec ses règles et le Conseil de sécurité dans lequel l’URSS siégeait avec le droit de veto. La Conférence de Yalta ouvrait la voie à la fois à la collaboration pacifique et à la coexistence, voire à l’opposition, comme le voulait la volonté anglo-américaine.
Au contraire, 1989-1991 dont émergea une nouvelle carte géopolitique de l’Europe – avec des répercussions à l’échelle mondiale – n’a donné lieu à aucune conférence mondiale définissant les coordonnées, les règles du monde qui allait se constituer. Les États-Unis, dans leurs documents stratégiques se sont définis comme les vainqueurs absolus, la communauté européenne s’est repositionnée comme l’UE avec le traité de Maastricht, les anciens États socialistes européens et la Russie sont restés à la merci des vainqueurs. Les États-Unis et l’UE ont commencé la conquête de l’Est (le précurseur était l’Anschluss de la République démocratique allemande par la République fédérale d’Allemagne). Ils ont travaillé de manière conservatrice : en général, l’OTAN a d’abord englobé les pays de l’Est et de l’ex-Union soviétique, qui ont ensuite rejoint l’UE.
Dans les années 90, le choix s’est consolidé, avec la perspective de retirer tout espace disponible à la Russie, sans exclure la possibilité de l’incorporer également. L’agression de l’OTAN contre la Yougoslavie (rappelons-le : en dehors de tout mandat de l’ONU) a été pour la Russie le dépassement de la ligne rouge qui a conduit quelques mois plus tard au changement de direction de la Fédération avec le passage de la présidence d’Eltsine à Poutine .
La question nationale russe se pose depuis 1991. Environ 25 millions de Russes se retrouvent du jour au lendemain citoyens de seconde classe, ou non-citoyens, dans d’autres Etats. Et sur cet énorme problème, il n’y a pas d’ouverture des vainqueurs occidentaux de la guerre froide à une solution, une reconnaissance, mais seulement la confirmation d’une politique expansive qui a repris le rêve allemand d’expansion à l’est, Drang nach Osten. Aucune attention de l’UE «démocratique» aux populations russes discriminées dans les pays baltes (en Estonie, elles sont une minorité substantielle, 25%). On peut faire l’analogie entre la Chine qui a subi aux mains des puissances impérialistes le «siècle des humiliations» jusqu’à son rachat par la proclamation de la République populaire de Chine en 1949 avec la Russie d’après 1991.
Dans les plus de trente années qui nous séparent de la dissolution de l’URSS, les classes dirigeantes occidentales ont délibérément ignoré la question nationale russe, au contraire, elles ont essayé de tirer parti des multiples et nombreuses ethnies et nationalités de la Fédération de Russie pour tenter de le désintégrer, ils ont favorisé le «terrorisme islamiste» et ont inlassablement continué à élargir l’OTAN et l’UE vers l’est vers la Russie, contre la Russie. Ils ont encouragé les tentatives de changement de régime avec les révolutions colorées essayant de les mettre en œuvre au cœur même de la Russie.
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