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par Thierry Meyssan
Au nom de la Chine, Li Hui est venu proposer aux Occidentaux de faire la paix en Ukraine en reconnaissant leurs erreurs. Son analyse est précise et étayée. Mais les Occidentaux ne l’ont pas écouté. Ils poursuivent sans relâche le discours qu’ils ont mis au point durant la Guerre froide : ils sont démocrates, tandis que les autres, tous les autres, ne le sont pas. Ils poursuivront leur soutien à l’Ukraine, même si celle-ci n’a guère plus de soldats et a déjà perdu sur le terrain.
La semaine dernière je rappelais, qu’en droit international, vendre des armes rend responsable de leur usage. Par conséquent, si les Occidentaux arment l’Ukraine, ils doivent s’assurer que celle-ci ne les utilisera que pour se défendre et jamais pour attaquer le territoire russe de 2014. Faute de quoi, ils entreront, malgré eux, en guerre contre Moscou.
Effectivement, ils veillent toujours à ne pas devenir co-belligérants. Par exemple, ils ont d’abord retiré certains systèmes d’armes des avions qu’ils ont promis à l’Ukraine avant de les leur livrer. Ainsi, ceux-ci ne disposent pas de la possibilité de tirer en vol, depuis l’Ukraine, des missiles air-sol sur des cibles lointaines à l’intérieur de la Russie. Cependant, à terme, les Ukrainiens pourraient se fournir le matériel nécessaire et en équiper à nouveau leurs avions.
Le petit jeu qui consiste à armer l’Ukraine sans lui donner les moyens d’attaquer Moscou est aujourd’hui contesté par la diplomatie chinoise. Le Wall Street Journal a relaté quelques aspects de ces contacts tout en masquant le fond de la position chinoise.
Li Hui, qui vient de visiter Kiev, Varsovie, Berlin, Paris et Bruxelles, a en effet posé les pieds dans le plat : sur la base de l’«Initiative de Sécurité Globale» et du «Plan en 12 points pour la paix en Ukraine», publiés par le ministère chinois des Affaires étrangères le 24 février, il a fait remarquer à ses interlocuteurs qui les avaient acceptés que :
• La Russie a raison en droit international d’entreprendre son opération militaire spéciale contre les «nationalistes intégraux» ukrainiens. Non seulement cela n’est pas contraire à la Charte des Nations unies, mais c’est une application légitime de sa «responsabilité de protéger» les populations russophones.
• La Crimée, le Donbass et la partie Est de la Novorossia ont légitimement adhéré à la Fédération de Russie par voie de référendum. Ces anciens Ukrainiens forment depuis des siècles un peuple très différent des Ukrainiens actuels.
Il a souligné que la Russie n’était pas exempte de torts :
• Elle doit respecter la décision du 16 mars 2022 de la Cour internationale de Justice (c’est-à-dire le tribunal interne de l’ONU) qui lui a ordonné de «suspendre» ses opérations militaires en Ukraine, ce qu’elle a tardé à faire, mais qu’elle respecte aujourd’hui.
Il a patiemment expliqué que les Occidentaux avaient de très grands torts :
• Celui d’avoir installé des dépôts d’armes et des bases militaires de l’OTAN à l’Est en violation de leur signature de la Déclaration d’Istanbul de l’OSCE (2013) ;
• Celui d’avoir organisé et soutenu un coup d’État en 2014 contre les autorités légitimes de l’Ukraine ;
• Celui de ne pas avoir appliqué les Accords de Minsk, signés par l’Allemagne et la France, (2014 et 2015) puis ratifiés par le Conseil de Sécurité des Nations unies ;
• Celui d’avoir pris des mesures coercitives unilatérales contre la Russie en violation de la Charte des Nations unies (1947).
Ce faisant, il a remis en cause non seulement l’ensemble de la narration occidentale, mais la manière dont ses interlocuteurs pensent ce conflit.
Il leur a fait remarquer que, contrairement à ce qu’ils prétendent, les États-Unis ne souhaitent pas la victoire de l’Ukraine. Celle-ci signifierait qu’un petit pays est capable de vaincre la Russie alors que les États-Unis n’osent pas l’affronter. Ce serait leur pire humiliation.
Surtout, il est clair pour les observateurs extérieurs que l’envoi d’armes de seconde main en Ukraine n’a pas pour but de vaincre la Russie, mais de la titiller jusqu’à lui faire révéler les nouvelles armes dont elle dispose. Les Occidentaux n’ont pas sérieusement observé l’armée russe en Syrie, trop occupés qu’ils étaient à faire détruire l’État syrien par des djihadistes. Lorsqu’en 2018, le président Vladimir Poutine a déclaré maitriser des missiles hypersoniques, des armes laser et des missiles à propulsion nucléaire, les Occidentaux ont hurlé au bluff. Ils savent aujourd’hui qu’il disait vrai, mais ignorent les caractéristiques de ces armes et s’ils ont les moyens de les contrer.
Dans le conflit ukrainien, Moscou fait preuve d’une très grande patience. Il préfère endurer des pertes que d’abattre ses cartes. Les seules armes nouvelles qui ont été utilisées sont d’une part les systèmes de brouillage des commandes de l’OTAN (expérimentés en situation réelle en mer Noire dès 2014, à Kaliningrad, au large de la Corée), et au Moyen-Orient ; et d’autre part les missiles hypersoniques Kinjal (expérimentés en conditions réelles en Ukraine depuis mars 2022). Certes, les Ukrainiens affirment en avoir abattus, mais cela ressort manifestement de la propagande la plus effrontée. Ils sont pour le moment invincibles et la Russie les produit désormais à la chaîne. Ils ont atteint des bunkers souterrains, le 9 mars, et viennent de détruire un système Patriot, le 16 mai.
Personne ne connait avec certitude et précision les armes dont dispose la Russie. Mais chacun à conscience qu’elle est devenue beaucoup plus puissante que les États-Unis dont l’arsenal n’a globalement pas été amélioré depuis la dissolution de l’URSS.
Depuis le premier envoi d’armes occidentales en Ukraine, la Russie déplore que cela ne joue pas de rôle significatif sur le terrain, sinon provoquer encore plus de destructions et de victimes. Les Occidentaux n’écoutent pas, convaincus à l’avance que tout discours russe n’est que de la propagande. S’ils cherchaient à comprendre, ils entendraient que ce qu’ils font n’a rien à voir avec les justifications qu’ils en donnent.
Revenons à la position chinoise. Li Hui n’a semble-t-il jamais évoqué le président Volodymyr Zelensky que les Occidentaux ont hissé au niveau des héros. En effet, alors que la communication occidentale personnifie tous les acteurs, les Chinois s’y refusent. Ils conservent ainsi une vision plus claire des forces en jeu.
Li Hui a par ailleurs déclaré à ses interlocuteurs qu’ils n’avaient aucune raison de s’aligner sur la position des États-Unis et devaient faire preuve d’autonomie. C’est exactement ce que le président Vladimir Poutine leur avait dit, en 2007, lors de la Conférence sur la Sécurité de Munich. M. Li s’est même risqué à leur dire que s’ils devaient se séparer économiquement de Washington, ils pouvaient se tourner vers Beijing.
Pour les Européens, ce discours raisonnable était inaudible psychologiquement. Ils n’ont pas reconnu les crimes des États-Unis du dernier quart de siècle et continuent à les dénier. En réalité, ils ne sont pas particulièrement dépendants de Washington, mais se trouvent intellectuellement sous son emprise.
Ils n’ont donc pas répondu à l’argumentaire chinois, mais on déclaré sans surprise qu’ils ne se découpleraient pas des États-Unis, qu’ils exigeait avant toute négociation le retrait des troupes russes d’Ukraine ; et qu’ils comptaient sur la Chine pour le conflit ne dégénère pas en guerre nucléaire.
Ce dernier refrain atteste que les Européens n’ont toujours pas compris ni la position des Russes, ni celle des Chinois. Le président Poutine a maintes fois expliqué qu’il n’utiliserait pas en premier l’arme nucléaire stratégique. Il n’y a donc aucun risque russe de voir ce conflit dégénérer. En outre, la Chine se considère comme l’alliée militaire de la Russie en cas d’affrontement mondial, mais pas dans les conflits qui ne la concerne pas, comme celui d’Ukraine. Elle n’envoie d’ailleurs aucune arme là-bas. Cette distinction entre allié stratégique et allié tactique est une caractéristique du monde multipolaire que Moscou et Beijing s’emploient à construire. Il n’est pas non plus question pour la Russie de former une coalition derrière elle pour aller la soutenir en Ukraine.
Il n’y a de pire aveugles que ceux qui ne veulent pas voir.
source : Réseau Voltaire
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