Camps de jour, camps de vacances, camps scouts, camps familiaux, camps spécialisés: les parents ont l’embarras du choix. Qu’en est-il des camps où la spiritualité est au centre? Sont-ils sur leur déclin, boudés par des jeunes pour qui la religion est ringarde? Ou répondent-ils à un besoin réel? Le Verbe s’est intéressé à trois camps de vacances chrétiens au Québec : le camp Bonaventure, le camp Beauséjour et le camp Emmanuel.
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Sur une route de campagne à Saint-Philémon, dans le comté de Bellechasse, on tourne à l’enseigne «Les portes de l’Enfer» pour rejoindre la route de gravier qui mène au camp Bonaventure. On ne sait pas encore si l’on doit en rire ou si l’affiche augure une aventure qui risque de mal finir.
Quelques ponts chancelants et des ruisseaux plus loin, nous sommes transportés dans un univers où chaque enfant est appelé à vivre cinq jours sans jeu vidéo ni cellulaire. Ici, la seule connexion qui en vaille la peine est avec leurs frères, la nature et Dieu.
Pour rejoindre les 45 garçons de sept à douze ans partis se baigner, on emprunte une pente escarpée. Les cris que nous entendons nous conduisent sur un pont qui surplombe les entrailles d’un massif rocheux. Au creux du bassin, les jeunes se mettent au défi de plonger dans l’eau glaciale. «Xavier! Xavier! Xavier! T’es pas game!» Qui restera le plus longtemps?
Pas de réseau, plus d’amis
À 150 kilomètres de là, les frères du Sacré-Cœur ont l’habitude des cris d’enfants. Ils en accueillent à longueur d’année sur le bout de nature vierge qu’ils aménagent avec soin aux abords du lac Sunday, en Arthabaska. Loin des antennes paraboliques, ils s’efforcent de sortir les jeunes de leur zone de confort.
«Au camp Beauséjour, m’explique le frère Jasmin, on invite les jeunes à faire silence. Pour beaucoup de jeunes, c’est le moment le plus marquant de leur séjour de cinq jours. Ça les éveille à gouter pleinement à ce qu’ils vivent dans le présent, sans qu’il y ait toujours une vidéo ou une musique qui joue en arrière-fond.»
Même si les campeurs arrivent avec leurs cellulaires dans leurs bagages, ils en oublient l’existence dès le lendemain de leur arrivée. «Ils découvrent le bonheur d’être ensemble, de chanter autour d’un feu, de ne pas être chacun de son côté en train de gamer. Ça leur fait découvrir qu’autre chose est possible.»
Dieu hors les murs
«Vous êtes frères? Mais vous ne vous ressemblez pas!» À la vue des frères du Sacré-Cœur, les jeunes s’étonnent. Pour la majorité des jeunes campeurs, la pratique de la religion ne fait pas partie des mœurs.
Gravir une montagne, prier au sommet, redescendre et faire une traversée à la nage: l’alliance entre le plein air et la vie spirituelle est la formule parfaite pour des ados qui débordent d’énergie.
Au bout du fil, le frère Jasmin me raconte qu’à la suite de la déconfessionnalisation des écoles, les frères ont dû envisager autrement leur vocation pédagogique. «Avant, le système d’annonce de la foi était basé sur le système scolaire. Comme on n’est plus très présents dans les écoles, on a convenu que la famille est le moyen le plus efficace pour les jeunes de vivre une expérience de foi, de sens, de Dieu. C’est pourquoi, en 2014, on a lancé les camps Sacré-Cœur.»
Le frère Jasmin observe qu’au fil des ans, la demande pour les camps confessionnaux est grandissante. Des familles croyantes comme non croyantes s’inscrivent. Parmi elles, certaines s’inquiètent de l’avenir de leur église, quand leur curé âgé s’occupe de plusieurs clochers.
«Ces familles veulent continuer à vivre leur foi et souhaitent que leurs enfants aient des expériences signifiantes. D’où l’importance de développer de nouvelles façons de rejoindre les jeunes», m’explique le frère Jasmin, convaincu.
Gravir une montagne, prier au sommet, redescendre et faire une traversée à la nage: l’alliance entre le plein air et la vie spirituelle est la formule parfaite pour des ados qui débordent d’énergie.
Dieu grandeur nature
Sur le site du camp Bonaventure, il n’y a ni eau ni électricité. Un contenant d’eau potable de plusieurs litres, des bécosses et des lampes de poche suffisent. On vient puiser l’eau de vaisselle à même la rivière. C’est la vraie vie, à l’état de nature, sur un site de moins en moins prisé, vu l’exigence de sa rusticité.
«J’ai l’impression que la précarité, c’est quelque chose qui fait partie du camp. Elle permet de voir que Dieu pourvoit à tout, qu’il est plus grand que tout», me confie en souriant André Bisson, l’un des fondateurs, émerveillé de constater que l’initiative se soit poursuivie après la première édition, il y a quatorze ans de cela.
On prend tout de même la peine de s’habiller sur son trente-et-un pour la messe du dimanche en plein air. Dans les bagages, des chemises ont été soigneusement placées par les parents. Une manière de signifier qu’on entre dans un temps différent, sacré.
Le prêtre lit l’évangile, aborde la question du service avec les jeunes. Un enfant haut comme trois pommes se lève et prend la parole devant ses amis: «Je me rends compte que j’ai du mal à aider ma mère si je n’ai pas de récompense.»
À la tombée du jour, les jeunes se livrent à un bref examen de conscience. «Il y a souvent des petites chicanes, mais les moniteurs aident les enfants à se demander pardon mutuellement. Les réconciliations, c’est une des plus belles choses du camp», me témoigne André, avec gratitude.
Des camps pour tous
Au bout du fil, Pénélope Simard me parle des préparatifs de l’organisation des camps Emmanuel. Pour un été, la logistique est complexe, l’offre variée: camps pour enfants, camps familiaux, séjour de trois ou de cinq jours à l’ile d’Orléans ou au Témiscouata. Mais la plus grande préparation demeure l’animation spirituelle.
«Sœur Jocelyne Huot était une sœur de Saint-François d’Assise qui voulait répondre à la soif des enfants. Elle a fondé le mouvement des Brebis de Jésus en 1985 et dix ans plus tard les camps Emmanuel, pour faire vivre quelque chose de fort aux enfants durant l’été», m’explique Pénélope.
Chaque année, une thématique est choisie pour approfondir la parole de Dieu. Elle se décline sous de multiples facettes. En plus des temps de prière proposés, on met en scène l’évangile en jouant des personnages. On présente aussi la vie d’un saint. L’an passé, par exemple, un animateur jouait le rôle de mère Térésa à divers moments de sa vie. Dans le grand jeu, on donnait des contraintes aux enfants – comme de marcher sur une jambe – pour qu’ils comprennent l’importance de la solidarité quand on a des handicaps, à l’image de la réalité de Calcutta.
«L’entraide et l’amour, ce sont des thèmes qui reviennent souvent et toujours, remarque Pénélope en riant. L’esprit de famille, c’est vraiment cultivé au camp. On crée des liens tellement facilement ici. À chaque fin de camp, je pleurais et je ne voulais pas partir. Je voulais tout le temps revenir», se souvient la jeune femme de 22 ans, qui est finalement revenue tous les ans jusqu’à devenir animatrice.
Sain(t) dépassement
Si les temps changent, le frère Jasmin est rassuré de constater que les jeunes, eux, n’ont pas changé. Ils gardent leur nature fougueuse et exploratrice. Ils ne sont pas blasés. La preuve, c’est qu’ils désirent revenir au camp l’an prochain, plus aventuriers que jamais, parfois même pour donner au suivant. Les camps familiaux permettent aux plus grands d’aider les plus petits, aux adultes de passer un temps gratuit avec les enfants, différent de la routine à la maison.
Au camp Beauséjour, le risque est mesuré, encadré, vécu dans un environnement qui favorise l’apprentissage.
Les frères du Sacré-Cœur s’en donnent à cœur joie en transmettant «la pédagogie de la confiance». «Le regard de l’adulte sur le jeune peut le transformer autant positivement que négativement, le propulser ou engendrer chez lui des effets dévastateurs», constate le frère Jasmin, par son expérience tant avec des jeunes de la rue que dans les camps.
Au camp Beauséjour, le risque est mesuré, encadré, vécu dans un environnement qui favorise l’apprentissage. «Certains jeunes ont peur de l’eau ou manquent d’équilibre dans un parcours d’hébertisme. Ils n’ont pas l’occasion de faire ce type d’activités dans leur quotidien. On leur dit qu’on va avancer avec eux à leur rythme. Accomplir de petites victoires les aide à gagner confiance en eux. Ils peuvent l’appliquer ensuite dans leur vie», observe-t-il.
Tout est grâce
Au camp Bonaventure, après la baignade, on s’exerce à faire des nœuds tenseurs. Pas tant pour la beauté du savoir théorique, mais surtout pour le mettre en pratique dans l’expédition du lendemain: les jeunes devront construire un abri avec de la corde, des bâches et des branches de sapin pour se garder au chaud et au sec durant la nuit. Chargés comme des mulets, ils transporteront tout, qu’importe l’humeur de la météo.
À tout coup, les jeunes en sortent indemnes, mais pas sans avoir rencontré leurs limites. C’est la grâce du camp: pleurnicher, souffrir. Qu’à cela ne tienne, les jeunes sont heureux de s’être dépassés. Les quelques écorchures, les piqures de mouches, les angoisses ou les prises de bec n’ont pas le dernier mot.
Les plus vieux reviennent y travailler bénévolement comme animateurs, tant l’expérience les a marqués. André Bisson me désigne l’un d’entre eux: «Tu vois Louis, le chef? Il prend toutes ses vacances pour revenir au camp, et il est étudiant en médecine!»
Érigés en modèles pour les plus petits, ils souhaitent leur transmettre la rencontre de Dieu faite dans le soutien d’un frère, dans la beauté d’une forêt d’épinettes, en chassant les moustiques, en chantant sous la pluie ou en transportant son sac de couchage détrempé. C’est comme ça qu’on se sent vivre, qu’on accueille la grâce.
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