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par Boris Egorov
Dans un premier temps, les princes russes ont traité les nomades de l’Est avec dédain. Ils n’ont pas tardé à le regretter.
L’invasion des Mongols a été un véritable désastre pour la Russie. Vaincues par les nomades, les principautés russes sont devenues politiquement et économiquement dépendantes du puissant empire oriental pendant deux siècles et demi.
L’invasion dévastatrice a eu lieu entre 1237 et 1241, mais les adversaires se sont rencontrés pour la première fois sur le champ de bataille quatorze ans plus tôt. Comment cela s’est-il produit ?
Intrus inattendus
« À cause de nos péchés, des peuples inconnus sont arrivés, des Moabites impies, dont personne ne sait exactement qui ils sont, d’où ils viennent, quelle est leur langue, quelle est leur tribu et quelle est leur foi », c’est ainsi qu’un chroniqueur russe décrit l’apparition des troupes des meilleurs commandants de Gengis Khan, Subötai et Djebé, dans les steppes de la mer Noire, en 1222.
Après avoir traversé l’Asie centrale, ils ont atteint la mer Caspienne, franchi les montagnes du Caucase et envahi les terres des nomades turcs des Coumans. Ces derniers avaient auparavant donné l’hospitalité à la tribu des Merkits, vaincue par les Mongols, et devaient être sévèrement punis pour cela.
Les tribus séparées des Coumans ne purent opposer une résistance digne de ce nom aux meilleurs guerriers d’Eurasie de l’époque et n’eurent d’autre choix que de se tourner vers leurs voisins du nord – les Russes, avec lesquels tantôt ils guerroyaient férocement, tantôt ils concluaient des mariages dynastiques et des alliances militaro-politiques.
Au début de l’année 1223, le chef de l’union tribale occidentale des Coumans, Köten, arriva à la cour du prince de Galicie, Mstislav le Téméraire, devenu son gendre. Lors d’un congrès des princes organisé à la hâte à Kiev, il commença à les persuader de s’opposer aux Mongols.
« Il apporta de nombreux cadeaux – des chevaux, des chameaux, des buffles et des esclaves – et, s’inclinant, les offrit à tous les princes russes, en disant : « Aujourd’hui, les Tatars ont pris notre terre, et demain ils viendront prendre la vôtre, aidez-nous » », rapportent les annales.
Craignant qu’en cas de défaite finale, les Coumans ne rejoignent les Mongols, les souverains de plusieurs principautés russes s’accordèrent alors pour repousser ces intrus indésirables.
La voie du désastre
Les forces des principautés de Kiev, de Galicie-Volhynie, de Tourov et Pinsk, de Tchernigov et de Smolensk, dirigées par deux dizaines de princes, se joignirent ainsi à la campagne commune. Début avril 1223, ils descendirent le Dniepr vers les steppes méridionales et, à la mi-mai, retrouvèrent les Coumans près de l’île de Khortytsia.
Le nombre de forces alliées défie tout calcul. Selon différentes données, il s’agissait de 40 à 100 000 personnes. Subötai et Djebé disposaient quant à eux de 20 à 30 000 soldats.
Face à un ennemi numériquement supérieur, les Mongols tentèrent de résoudre la question de manière pacifique. Des ambassadeurs arrivèrent au camp princier et déclarèrent qu’ils n’étaient en guerre qu’avec les Coumans, pas avec les Russes. Pour des raisons inconnues, les ambassadeurs furent toutefois tués, ce qui fut naturellement perçu par les nomades comme une terrible offense. La guerre était devenue inévitable.
Les Mongols, qui, selon les historiens arabes de l’époque, avaient « le courage d’un lion, la patience d’un chien, la prévoyance d’une grue, la ruse d’un renard, la clairvoyance d’un corbeau et le caractère prédateur d’un loup », ne s’engagèrent cependant pas immédiatement dans une bataille ouverte avec l’ennemi. Ils préférèrent se retirer du Dniepr vers la steppe, attirant ainsi les Russes.
Les opinions sur la manière de poursuivre la campagne divergeaient entre les princes. Certains soutenaient Mstislav le Téméraire, qui estimait plutôt faibles les qualités de combattant des Mongols et qui apparaissait impatient de se battre. D’autres, menés par le prince de Kiev Mstislav le Vieux, appelaient au contraire à la prudence.
Subötai, durant sa retraite, « nourrissait » l’ennemi de petites unités, tels des appâts, lui permettant de remporter de belles victoires. Finalement, l’armée russo-coumane s’engagea pleinement dans la poursuite.
La débâcle
Après une semaine de marche, les alliés arrivèrent à la petite rivière Kalka (aujourd’hui vraisemblablement dans la région de Donetsk), où une bataille décisive eut lieu le 31 mai (selon d’autres sources – le 16 juin ou le 16 juillet).
Une partie des poursuivants passa sur l’autre rive et se précipita sur les Mongols, alors que l’autre n’avait même pas commencé la traversée. Après avoir attendu que la distance entre les deux moitiés de l’armée ennemie soit de quelques dizaines de kilomètres, Subötai passa à l’attaque.
Imitant une retraite, la cavalerie lourde des Mongols tourna brusquement et frappa les Coumans abasourdis. Ceux-ci furent instantanément désorientés et se mirent à fuir, semant le chaos dans les rangs des groupes russes qui approchaient. « Les régiments russes arrivèrent dans la confusion, et la bataille fut funeste, pour nos péchés. Les princes russes furent vaincus, et il n’y avait rien eu de tel de toute l’histoire des terres russes », peut-on lire dans les annales.
Le prince kiévien qui se trouvait de l’autre côté de la rivière ne s’engagea pas dans la bataille. Il se retrancha dans un camp bientôt assiégé par les armées mongoles. D’autres groupes de nomades poursuivirent alors les restes des forces dispersées dans la steppe, leur infligeant de terribles dégâts.
Quelques jours plus tard, les Mongols proposèrent aux assiégés, qui commençaient déjà à souffrir de la soif, de se rendre, en promettant de les libérer contre une rançon. Au lieu de cela, les guerriers kiéviens qui se rendirent furent en partie massacrés et en partie capturés. Mstislav le Vieux et plusieurs princes et commandants furent placés sous des planches, sur lesquelles les vainqueurs organisèrent un festin, et moururent du poids insupportable et de suffocation.
Des leçons non retenues
Le premier affrontement armé entre les Mongols et les Russes s’est soldé par une terrible catastrophe pour ces derniers. De nombreux boyards nobles périrent, et sur les quelques dizaines de princes qui y avaient pris part, douze ne rentrèrent pas chez eux.
Il est impossible de calculer les pertes exactes des troupes russes, mais il est certain qu’elles furent énormes. Selon les chroniques, seul un soldat sur dix y survécut.
« Il y eut des pleurs et des lamentations dans toutes les villes et tous les villages », peut-on lire dans le Récit de la bataille de la Kalka, datant du XIIIe siècle. Le dédain généralisé des princes russes pour les nomades laissa ainsi place à une peur panique.
L’absence d’un commandement uni, le manque de cohérence dans les actions des unités et l’incapacité des princes à s’entendre entre eux face à la menace commune furent les principales raisons de la lourde défaite. Aucune conclusion ne fut tirée de ces événements malheureux, et les vieux problèmes non résolus refirent surface quatorze ans plus tard, lorsqu’une invasion mongole de grande envergure débuta directement contre les terres russes.
source : Russia Beyond
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